Le paradoxe de la moderne solitude

A travers un sondage datant de mai dernier, le journal Le Monde nous révèle comme ça, sans ménagement, que « près d’un jeune adulte sur deux se sent seul ». La larme à l’œil, je m’enfouis dans l’article pour étancher ma curiosité malsaine. Et là je découvre aussi ceci :

« En moyenne, les jeunes sondés disent avoir 7 amis, dont 4 à 5 sur lesquels ils peuvent « compter ». Sur Facebook, les jeunes disent avoir 178 amis mais ne communiquer qu’avec 12 % d’entre eux. 55 % des jeunes considèrent d’ailleurs qu’Internet « favorise la solitude ».

C’est pas plutôt le tricot qui favorise la solitude ?

Vous me voyez plongée dans un abîme de perplexité. Nous voilà dans une société où la parole s’est libérée et la mobilité accrue… alors que pendant des siècles le village et ses cancans pouvaient servir d’horizon à toute une courte vie. Nous voilà dans un monde où le moindre collégien troue ses poches avec un mobile…quand les ados des générations précédentes quémandaient pour accéder 5 minutes le soir au téléphone fixe de la maison. Nous voilà dans un monde où tous les savoirs, toutes les rencontres et tous les centres d’intérêt sont à portée de clavier dans un gazouillis numérique sans précédent… alors que Marco Polo a dû aller en Chine pour découvrir les nouilles.

C’est ce que je pourrais appeler le « paradoxe du trop fort potentiel ».

C’est lui qui crée dans notre société de consommation le vertige de l’hyper-choix qui tue le désir. C’est lui qui pousse l’étudiante amourachée à penser que l’homme idéal ne peut pas être celui qu’elle vient de rencontrer au cours de Lettres Modernes, vu le potentiel  qu’il y a sur les sites de rencontres qu’elle n’a pas encore essayés. C’est le « paradoxe du trop fort potentiel » qui fait penser à ce lycéen que quand certains ont 18 000 amis sur la toile, il ne peut pas se contenter d’une poignée de potes depuis le collège. C’est lui qui crée l’angoisse que je ressens régulièrement face à tous ces livres passionnants que je n’aurai pas le temps de lire, tous ces festivals de musique où je n’ai pas le temps d’aller, tous ces sites internet merveilleux que je n’ai pas encore découverts… Je n’aurai pas assez d’une vie pour tout découvrir et tout apprendre, et cela me rend parfois mélancolique. Le numérique met le monde à notre porte en permanence, mais nous ramène en même temps à notre finitude et nos triviales limites quotidiennes. Nous jugeons notre situation à l’aune d’un potentiel imaginé et c’est le moteur de notre insatisfaction.

Enfin, malgré toutes les possibilités offertes par le progrès technologique, le nombre de relations humaines qui comptent le plus pour nous reste encore paradoxalement limité. Une amitié qui compte se crée dans la durée avec une vraie personne et pas seulement avec un pseudo et une photo sur un profil. Humain, trop humain… Un jour, le personnage que nous nous créons à travers les réseaux sociaux ne fait que nous renvoyer à ce que nous sommes vraiment…  Rien de tel que de lever la tête de l’écran pour « tâter du vrai gens ». Oui, contre cette moderne solitude, les contacts démultipliés qu’Internet nous permet ne doivent surtout pas nous éloigner des échanges en 3D de la vraie vie. C’est donc là que je vous abandonne, car j’ai un bien sympathique rendez-vous 😉

>A lire aussi, les résultats d’une autre étude sur vraie vie sociale et vie en ligne : je clique

 

Publicité

7 réflexions sur “Le paradoxe de la moderne solitude

  1. Bien vu, d’autant que je ne suis pas sûr qu’avant l’avènement d’Internet nous avions plus de 7 amis que lesquels nous pouvions compter. Foutu potentiel !

  2. Si Marco Polo ne manquait pas d’amis, alors pourquoi être revenu de Chine avec une poignée de nouilles ? Hein ?

    1. Rétrospectivement, peut-on imaginer l’Italie sans ses pâtes ? Non. C’était la mission de Marco avant même d’avoir plein d’amis chinois sur Face de Bouc.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.