Pour ceux qui sont nés avant 19XX, ce détournement est celui du fameux slogan chocolatier « Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes »… et ce détournement est le titre du dernier livre de Gilles Vervisch, agrégé de philosophie et « passeur » de sagesse sur l’antenne de la radio Le Mouv’ à une heure où toutes les questions existentielles refont surface : 7 h 32. Oui, Monsieur Vervisch a le don de faire descendre la philo dans la vraie vie… et également le don du titre. Mon premier déclic face à son œuvre s’est produit sur une couverture de livre qui portait celui-ci : « Comment ai-je pu croire au Père Noël ?». Un peu fâchée avec la conduite, j’ai ensuite beaucoup souri à la lecture de « Tais-toi et double ». Et lorsque je lui fis dédicacer « De la tête aux pieds » pour un passionné de football, il me confia qu’il réfléchissait à un projet d’ouvrage sur la communication. Philo promise, philo due… voici que l’opus est sur les étals. En tant que publicitaire, j’ai ouvert le livre comme une tablette de chocolat…
De « Juste fais-le » à « Ne vieillissez pas trop vite », Gilles Vervisch déroule les ficelles du marketing en citoyen-philosophe interloqué. Il y a une gravité irritée dans cet ouvrage dont la tonalité est nouvelle. Des centres commerciaux qui sont les nouvelles cathédrales, des marketeurs de la haute-technologie qui sont divinisés par leurs fans, des préceptes qui nous rappellent constamment que le bonheur c’est d’avoir… Pour Gilles Vervisch, on pourrait plutôt voir des tonnes de « philo » dans la pub tant les marques nous martèlent des préceptes de vie. Mais voilà, c’est le problème : « La publicité, c’est le Canada Dry de la philosophie. »… puisque cette dernière est plutôt la fille du doute et de la perpétuelle remise en question. Dans la publicité, l’auteur pointe du doigt la machine à concepts qui manie le paradoxe en prônant, par exemple, l’individualisme affiché pour mieux se conformer à tel achat.
Qu’est-ce que le bonheur ? La nature fait-elle bien les choses ? A quoi reconnait-on qu’une science est une science ? Qu’est-ce que la religion ? La publicité a-t-elle remplacé le politique ? Qu’est-ce que la liberté ? Qui suis-je ? Cela a-t-il un sens de vouloir échapper au temps ? Derrière ces chapitres, à vous le plaisir intellectuel de détricoter les constructions du marketing pour les mettre en résonance avec les concepts philosophiques.
A travers ce procès philosophique de la pub, l’auteur ne s’attaque pourtant qu’à la partie émergée de l’iceberg. La publicité n’est que le témoin des ressorts de la société de consommation et le reflet des valeurs du moment. La publicité n’est qu’un miroir. On peut détester le reflet qu’elle nous tend. Reste à savoir si c’est la publicité qui vraiment nous avilit… ou si elle sert simplement au consommateur ce qu’il a envie d’entendre. Le serpent (qui se mord la queue) du Livre de la Jungle a peut-être la réponse…
Ce qu’il faut enfin souligner, c’est que les spots TV et les affiches ne sont plus qu’une partie des enjeux contemporains de la communication. L’explosion des usages numériques et la recherche de nouveaux modes d’influence ont déjà largement changé la donne : aujourd’hui, chaque consommateur est un média et un influenceur potentiel qui peut recommander une marque, chaque internaute est à la fois un contributeur et un « produit » dont les données numériques valent de l’or. La déclaration de principe sur une affiche ne suffit plus : l’avenir de toute marque, c’est désormais de créer du sens, de se construire une histoire dans la cité pour préempter une valeur qui sera son territoire, d’aller chercher de l’engagement qui va au-delà d’un achat lié au hasard. L’ère de la transparence étant ouverte, ce sont les marques qui le feront avec le plus de sincérité qui en tireront des bénéfices durables. Et si le citoyen ne sait plus à quelle promesse politique se vouer, le consommateur attend de plus en plus de l’entreprise qu’elle montre la voie… Mais j’y pense, Monsieur Vervisch, une fois que tout sera devenu communication, comment ferons-nous pour distinguer la fausse vraie publicité de la vraie fausse manipulation ?
La voix de l’auteur : pour podcaster les 3 minutes matinales de Gilles Vervisch sur Le Mouv’, on clique là et on cherche « Façon de penser » (interventions alternées avec celles de Thibault de St Maurice).
Une vidéo avec l’auteur dans le cadre des conférences TED. Le thème ce jour-là : la diversité…
Finalement, il y a de la philosophie partout, même dans une boîte de petits pois. Maintenant, je ne les regarderai plus de la même manière… 🙂
Si les petits pois peuvent nous éviter de devenir de gros légumes sans esprit critique, je dis « vive les petits pois » !
Ah, la collusion des valeurs morales et des stratégies marketing ! Très intéressant post, bien vu. Je pense que je vais me craquer le livre… Qui n’a rien d’un « coup d’éditeur », on peut en être assuré ? Quand on rentre dans ce type de parano, c’est sans fin 😉