Aujourd’hui, l’opérateur Orange nous propose de télécharger aussi vite que nous parlons. Pour illustrer le propos, les personnages de la publicité échangent leurs impressions non pas avec des mots, mais en montrant à leur interlocuteur des images sur leur tablette tactile. Le raccourci hyperbolique me plonge dans une drôle de réflexion, articulée pour l’instant par des phrases. Imaginez qu’en 2 500 après J.C on ne se parle plus avec des mots, mais par images interposées transmises entre smartphones depuis notre cerveau… Quelques reliquats primitifs sortiraient encore accidentellement de notre gorge : des cris d’effroi ou les râles de plaisir ! Nos prothèses numériques nous permettant de discuter à la vitesse de la lumière par télépathie 5.0, nous ne nous donnerions plus la peine de tourner des phrases avec des mots approximatifs… pour des interlocuteurs qui lisent tous des choses différentes entre les lignes. Seul hic : sans une fonction « mensonge » sur ce nouveau bio-logiciel, le bobard serait une espèce en voie de disparition ; on ne pourrait plus faire un compliment gravement hypocrite ou dire qu’on était au bureau alors qu’on roucoulait avec le beau brun du service financier ou la fille du 6ème. Mais qu’importe, tout serait plus simple puisque nos neurones seraient branchés directement sur l’écosystème communicant du monde… le meilleur des mondes.
Oui, comme ça, vous vous dites que c’est impossible. Le langage verbal ne peut pas disparaître… comme il est apparu. Peut-être. Mais nous avons bien perdu une partie des poils qui recouvraient nos membres d’homo habilis. Notre mâchoire s’est bien modifiée à force de ne plus déchiqueter le cuissot de sanglier. Moi, je vous dis ça comme ça, sans ménagement, parce qu’il se passe quand même deux choses essentielles : d’un côté le poids croissant de l’image dans notre civilisation et de l’autre le développement des neuropuces et autres joyeuses technologies destinées à combiner informatique et biologie et à révolutionner l’interaction directe entre notre cerveau et son environnement.
Aujourd’hui déjà, on se gave de vidéos, on s’envoie des MMS, des émoticônes ou on s’exprime par clichés Instagram captés et transmis par nos nouvelles prothèses numériques. L’image ne demande pas de long apprentissage grammatical et orthographique… l’image s’offre immédiatement à tous. Notre langue est constituée d’un nombre limité de mots… alors qu’une palette iconographique mise en ligne pourrait être infinie et sans cesse enrichie d’un clic par les photos ou images de chacun. Combien de temps cela pourrait-il prendre ? L’amoureuse des mots qui vous parle n’en sait fichtre rien. Pour les premiers êtres humains souhaitant s’exprimer la voix était le meilleur matériau à portée de langue. Pour la diffusion de cette parole, la transcription par signe sur un support matériel s’est imposée. Pour les mutants que seront nos descendants, d’autres formes de transmission du sens offriront peut-être de nouveaux avantages à une humanité ultra-connectée et de plus en plus interdépendante. Les œuvres de l’esprit n’auront alors plus rien à voir avec la Critique de la Raison Pure ou Madame Bovary… car de nouveaux territoires cognitifs auront été explorés. Pourra-t-on quand même les traduire pour les analphabètes du verbe ? Le prochain Google aura peut-être un algorithme pour cela…
N’est-ce pas l’aboutissement logique de notre société de l’image ?
Et le malheur, c’est que nous ne serons plus là pour se dire entre nous « on nous l’avait bien dit »… tout ça en images bien sûr !
Très bon post qui n’a, malheureusement, rien de fantaisiste. Je me souviens d’un graphiste qui me disait : « en fait, ton métier c’est cool, c’est juste d’écrire les mots qui te passent par la tête ». Ben oui, les mots c’est « cool », c’est même tellement facile qu’on essaye de plus en plus de ne plus avoir à les utiliser. Personnellement, je suis entré en résistance du tout-à-l’image : mais bon avec nos métiers, c’est bien la moindre des choses qu’on puisse attendre de nous chère consoeur, non ?
Malheureusement quand les mots manquent, ils ne sont pas toujours remplacés. Certains jeunes n’ont pas 500 mots de vocabulaire, et ils s’expriment non pas avec des images avec de la violence : ceux-là reçoivent bien les images mais n’en n’émettent pas !
Oui. Cela me rappelle un sujet de philo que j’ai eu au bac sur les rapports entre le langage et la pensée : de qui la poule ou l’oeuf ? J’ai besoin de mots pour orienter ma pensée. Plus mon vocabulaire est riche, plus je peux nuancer ma pensée et sortir des simplifications binaires, violentes ou sectaires.
j’émettrais quand même une nuance : peut être que certaines images peuvent remplacer certains mots. Mais l’association des deux reste malgré tout fondamental.
Merci Bernard. Bien sûr, je ne parle pas d’aujourd’hui, je parle d’un temps que nous ne verrons pas et donc, c’est très confortable, car ça ne m’engage à rien de me tromper sur les années 2 500 ;-). Et sur la probabilité de certaines avancées technologiques, gardons tout de même à l’esprit, que si tu allais parler du smartphone à Louis XV, il te prendrait juste pour un fou…