#experiencephilo 2 – Se définir en attendant le train

Voici ma deuxième expérience philo inédite, proposée à l’occasion de la publication par Roger-Pol Droit de son livre «Petites expériences philosophiques entre amis » (Editions Plon)

« Vous êtes arrivé sur le quai un peu en avance, car il est bien connu que les conducteurs de train ne peuvent attendre les retardataires. Vous voilà dans un espace-temps de 10 minutes, consacré à la patience et à la flânerie intellectuelle. Vous pourriez tuer ce temps immobile avec votre mobile… mais vous prenez le parti de l’étrange avec une nouvelle expérience philosophique : vous vous donnez 10 minutes pour énumérer vos caractéristiques fondamentales. Comment faire sans que cela ne finisse par un jugement introspectif un tantinet subjectif, indulgent ou accusateur ? Vous commencez par ce qui vous définit aux yeux du moindre statisticien : homme, 35 ans, né à Bordeaux le… Vous essayez ensuite de vous décrire physiquement le plus objectivement possible, mais cela s’avère ardu et sans fin avec de simples mots. Vous énumérez aussi vos goûts et dégoûts, les endroits où vous avez habité, les écoles et les sociétés fréquentées… Entre la fiche d’état civil et le curriculum vitae, vous sentez alors que vous n’avez exploré que la couche supérieure de votre identité profonde. Le train n’est pas encore là : vous avez encore le loisir d’imaginer ce que vos proches pourraient dire de vous pour vous résumer, ce qui resterait dans votre nécrologie si jamais le train n’arrivait pas à bon port. Vous vous torturez l’esprit pour trouver ce qui fait que c’est vraiment vous cela et personne d’autre. Là, tout à coup, vous sentez l’infini trouble qui consiste à réaliser que ce qui vous définit est immense : toute une vie de projets et  de hasards, d’échecs et de réussites, de rencontres et de voyages. Entre le tissage et la chimie. Pire : vous réalisez peut-être que celui que vous croyez connaître aujourd’hui aura encore changé dans une semaine. Qu’est-ce qui reste et ne change pas, à part vos empreintes digitales et votre état civil ? Le train arrive… et vous sauve du vertige. Lui, il porte un numéro, part d’une gare et arrive précisément dans une autre. Les certitudes peuvent reprendre leur train-train. »

Lire mes 2 autres expériences philo :

Devenir une goutte d’eau sous la douche

Inventer une nouvelle unité de temps

 Ces trois textes s’inscrivent pour moi dans l’#experiencephilo collaborative initiée par les @EditionsPlon et @orange à l’occasion de la publication du livre du philosophe Roger-Pol Droit, que j’ai eu le plaisir de rencontrer dernièrement en compagnie d’autres blogueurs. Je vous encourage à savourer chacun des voyages intérieurs que l’auteur nous propose dans « Petites expériences philosophiques entre amis »… du miel pour les neurones.

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10 réflexions sur “#experiencephilo 2 – Se définir en attendant le train

    1. Les temps d’attente sont surexploités par l’utilisation de nos compagnons numériques… mais attention de ne pas pour autant éjecter la rêverie de nos interstices de vie. C’était un message de la SNCF;-)

    1. Le temps est la matière même de la vie. Sa gestion est donc hautement stratégique. Soit on accepte de le perdre, soit on décide de bien le remplir. C’est le projet de toute une vie, Cher Bernard 😉

  1. Savoureux post, merci ! Au bout de cette rumination introspective, il est envisageable (c’est personnellement ce que je fais dans les trop rares trouées de ce turbo-temps-réel de nos obligations) d’entrer en silence. Au bout de cet inventaire que vous évoquez, il y a en effet quelque chose qui donne peut-être le vertige mais peut-être aussi, au contraire, si on accepte cette explosion des certitudes, un profond recentrage. Comme le dit le philosophe Bernard Stiegler : « Quand on fait silence, « ça » commence à parler ».

    1. Merci merci ! Y compris pour cette citation de Bernard Stiegler, qui souligne que le « bruit » permanent de nos vies peut aussi nous faire perdre le fil. Indispensables aujourd’hui et déterminants en terme d’éducation : la maîtrise de la déconnexion et un solide esprit critique face au déluge d’information (voir mon néologisme informitose… que je préfère à infobésité, car on ne stocke par l’information, on est démangée en permanence par sa quête).

  2. J’adore ce billet amusant. Pour beaucoup des Anglais, la philo est un pays aussi étranger que la France. L’enseignement de la philo dans les écoles est presque inconnu et l’expérience de prendre le temps de réfléchir peu commune. Je suis donc très admiratrice de l’attitude générale des Français envers la réflexion. Et un peu d’humour ne fait mal à personne.

    1. Merci Salianne pour cette intervention extra-hexagonale indispensable ! C’est vrai que pour moi, l’année de philo avant le bac a été plutôt une révélation… mais je ne sais pas si c’est le cas pour tous les lycéens français !!! C’est sûr qu’avec la philosophie, on forme plus des citoyens que des consommateurs dociles. ll faut que cette matière résiste à l’instrumentalisation économique de l’enseignement le plus longtemps possible 😉 Quant à l’humour, il permet justement de rire de soi-même au lieu de rester sentencieux. Indispensable !

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