Chronicide (n.masc. ou adj.)

montresAvez-vous réalisé que notre civilisation était en train de tuer le temps mort ? Regardez le moindre humain attendant le bus ou prenant la pause à la terrasse d’un café… et vous constaterez que la proportion de personnes qui baguenaudent et rêvassent se réduit comme la surface cultivable. Bras armé du chronicide généralisé, le mobile intelligent, communément appelé smartphone, a porté l’estocade au temps mort résiduel. Le chronicide a gagné un terrain considérable en offrant avec le mobile une gestuelle et une posture qui dit à ceux qui vous croisent « je suis moderne, je suis important, je suis sur la brèche ». Vous êtes peut-être vous-même chaque jour le complice innocent de ce chronicide : appeler un ami avec votre forfait illimité dès qu’un quart d’heure se présente, tenter de battre le record de votre jeu sur mobile préféré entre deux rendez-vous, vérifier vos courriels en attendant le plat du jour, jeter un œil sur Twitter en vous brossant les dents… La manie du multitâches a déjà fait faire des gains de productivité considérables à notre course quotidienne des 24 heures du vent. Les nouvelles technologies nous incitent à être ici et ailleurs, tout partout à la fois. Dans ce nouvel ordre multidimensionnel, le temps mort est mal venu. Il doit être éradiqué comme un parasite. Sus à l’ennui… pourtant propice au vagabondage mental. Le chronicide est une nouvelle manie qui remplace la rêverie par la distraction insatiable et l’interaction constante. Un jour peut-être, une confrérie d’allumés déconnectés fera redécouvrir, dans des spas clandestins, un luxe inouï réservé aux initiés : apprendre à savourer les temps morts comme des grains de caviar et revenir aux sources de l’ennui qui fertilise l’imagination. Mais Big Brother les pourchassera peut-être pour que les foules continuent à se distraire au lieu de réfléchir…

9 réflexions sur “Chronicide (n.masc. ou adj.)

  1. Si Corneille avait vécu au XXIième siècle, je suis sûr qu’il n’aurait pas écrit le Cid, mais le Chronicid, après avoir lu ta chronique, bien sûr.

  2. Merci de mettre des mots aussi justes sur cette évolution des comportements qui m’insupporte de plus en plus… et qui m’inquiète parfois.

    1. Merci merci Cédric. Il se passe effectivement quelque chose de très troublant dans l’espèce humaine à cause de cette nouvelle prothèse relationnelle qu’est le smartphone. Accueillons le progrès avec curiosité tout en restant critique au sens noble du terme…

  3. Effectivement…Il va être de + en + difficile d’apprendre l’ennui aux jeunes enfants. Et pourtant, c’est le terreau de l’imagination…

    1. Merci Max. Oui… et nous sommes parfois les premiers à remplir leur agenda avec des activités à l’année ou des ateliers, à les inciter à s’occuper vite fait quand on les voit s’ennuyer. Et si on commençait peut-être par soigner notre propre angoisse de l’ennui ?

  4. Toujours aussi délectables ces posts, même sur les phénomènes les plus inquiétants. Vous mettez le doigt, je crois, sur la névrose la mieux partagée au monde, au XXIème siècle. Chacun de nous parmi la confrérie des rêveurs sent bien qu’il lui faut beaucoup d’énergie pour ne pas céder à ces réflexes toxiques de génération Poucette. Car…
    « En tuant le temps, on blesse l’éternité » (Thoreau)

      1. Merci : très intéressant en effet cet article ! On y parle ici de « tuer l’ennui ». Bien sûr, Il s’agit seulement d’un sursis pour tous ceux qui s’acharnent à refuser la rencontre avec cette éternité/vacuité que rien finalement ne saurait jamais tuer. Aussi vrai que rien ne nous remplit mieux que le « Vide »…

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