En matière de bandes dessinées, on peut dire que Marc-Antoine Mathieu est plutôt du genre difficile à mettre dans une case. Ce n’est pas étranger au fait que chacun de ses albums est ouvert par mes soins comme une pochette surprise, avec une gourmandise intellectuelle très particulière. Entre récit philosophique et fantaisie rhétorique, on jubile et on peine à identifier les zones du cerveau qui sont ainsi sur-stimulées. Après la mise en abîme réussie de 3’’ et la fable de DIEU EN PERSONNE, celui qui n’a de cesse de tester les limites de la narration a encore frappé fort avec le dernier album sorti le 6 mars : Le Décalage. Dans le rayon de votre libraire, vous allez d’abord relever une étrangeté : la couverture de cet album n’est pas une couverture mais… déjà une planche. A partir de là, évitez absolument de le feuilleter, car vous allez vous gâcher la surprise. Vous allez peut-être remarquer au dos cette mention : « Attention. Cet album comporte des anomalies qui sont parfaitement volontaires et en constituent même le sujet. » Vous voilà prévenu…
Si un journaliste maladroit commence à vous dévoiler les surprises de cet album comme on vous raconte la fin du film, empêchez-le de vous nuire. Le Décalage est une expérience de lecture qui ne doit pas être gâchée par d’indélicats bonimenteurs. Comment vous suggérer quand même de quoi il retourne ? Eh bien, en commençant par vous dire, que perdre son héros dès le début de l’histoire, ça ne fait pas peur à Marc-Antoine Mathieu : c’est même à la base de la chose. A bord d’un lit supersonique, notre Julius Corentin Acquefacques, loufoque et kafkaïen, fait le rêve de trop et passe le mur du temps : le voilà aux prises avec un décalage narratif qui l’exclut du récit. Les personnages secondaires se retrouvent donc sans histoire, dans le grand rien du scénario en plein hors-piste métaphysique. A quoi ressemble le néant ? Comment s’écoule le temps ? Vous sirotez votre vertige au fil des pages ; vous savourez le décalage… en vous demandant où tout cela nous mène. Ce qui est sûr, c’est que vous aurez fait un achat rentable et judicieux : un album comme celui-ci peut se relire en boucle avec un plaisir renouvelé. Un plaisir rare, de connaisseur, à apprécier tranquillement au milieu de nulle part. Là où il y a de l’humour décalé, il y a toujours de l’espoir…
Deux interviews intéressantes de l’auteur :
1>>Sur le site des Editions Delcourt 2 >>Sur le site BDgest
A ne pas lire en cas de décalage horaire, sinon on n’y comprend vraiment plus rien, non ?
Je ne peux en dire plus… mais le décalage horaire, c’est bien peu de choses par rapport au hors-piste existentiel. Bonne lecture amis de la quatrième dimension.
un livre mystérieux
Un commentaire qui l’est tout autant…
ça fait longtemps qu’on ne m’avait pas mis à ce point l’eau à la bouche d’un seul pitch. Merci ! On sait déjà au-moins une chose : ce nulle-part est un monde de bulles…
Merci Stéphane. « Un Monde de bulles » était justement jusqu’à janvier dernier une des rares émissions de télé consacrées à la BD sur LCP (sinon la seule ?). L’absence du 9ème art à la télévision ne cesse d’ailleurs de me laisser perplexe… La dernière émission ici pour les bédéphiles : http://www.publicsenat.fr/vod/un-monde-de-bulles/speciale-bruxelles-la-derniere/126179
Un joyau, un régal, une vraie surprise… Un grand Merci !
Je suis ravie d’avoir servi de « passeuse » dans cette 4ème dimension de la BD !