L’injonction d’assurer

la sérénité c'est votre victoireDepuis un moment déjà, nous savons que nos grands sportifs ne mangent pas que des épinards au petit-déjeuner. En plus des drôles de piqûres administrées à certains à l’insu de leur plein gré, ils sont boostés par leur coach au niveau du mental. Contre la peur de gagner ou le genou flageolant, les athlètes visualisent et positivent avec l’aide de gourous de la gnac*. Leur plus grande difficulté, c’est justement d’arriver à combiner habilement combativité et zen attitude… Alors cette affiche qui les représente en pleine gloire m’a tout de suite laissé un goût de paradoxe. Si vous avez déjà éprouvé de la sérénité en piquant un somme sous un arbre ou en caressant un chat qui ronronne, vous n’avez sans doute pas ressenti exactement ce qu’on pourrait appeler la bouffée enivrante de la victoire. La véritable sérénité qui touche à la plénitude n’est-elle pas justement au-delà de l’idée même de victoire ?

En tout cas, l’assureur qui nous parle a réuni sur son affiche (peut-être sans le vouloir) les deux injonctions modernes toutes puissantes : la performance sportive érigée en mode de vie et la maîtrise de soi obligatoire. Si chacun, caissière ou manager, doit désormais vivre son métier comme une compétition permanente, c’est aussi parce que la performance sportive a envahi sournoisement de nombreux domaines de notre existence… avec sa cousine la « gestion » qui nous intime de tout gérer, de nos affaires de cœur à l’éducation de nos enfants en passant par nos accès de déprimes. Il faut être compétitif, se fixer des objectifs, relever des challenges… et bien sûr pratiquer une activité sportive pour formater son corps. Derrière cette religion sportive qui irrigue nos petites vies, il y a le « mental », son pendant cognitif… car pas de gagnant sans un « mental de gagnant ».

Le mental, c’est un peu le psychisme abonné à une salle de sport, qui grignote des barres protéinées pour rester positif, tendu comme un string vers le succès et le bonheur. Alors, l’idéal pour ce mental, c’est bien sûr d’être dopé à la sérénité et au développement personnel. J’en suis moi-même un peu friande du « développement personnel », car j’aime bien l’idée qu’on puisse reprendre le contrôle sur nos conditionnements, nos habitudes, les travers de nos caractères. L’espoir qu’on puisse changer par nous-mêmes… puisque ce changement-là est une porte qui ne s’ouvre que de l’intérieur. Mais là en voyant cette affiche, je me dis que cette sérénité-là ne doit jamais devenir l’antalgique universel qui nous empêche de nous poser des questions qui grattent, de ne pas être d’accord, de pester contre le n’importe quoi, de sentir la révolte qui monte aussi vite que la moutarde…

Je vois bien un Big Brother moderne placarder des affiches du type «L’obéissance de chacun est la tranquillité de tous.», «Le bonheur est dans l’instant : confiez-nous votre avenir.», «L’esprit critique nuit à la santé.», « Restez tranquille : on s’occupe de tout. »  Je ne veux pas de ce nouvel opium du peuple. Finalement, je serais plutôt « La sérénité, si je veux ! ».

*en cherchant l’orthographe du mot gnac, niaque ou gnaque, je découvre qu’il est originaire du Sud-Ouest et issu de « gnaca » qui veut dire « mordre ». Tiens, j’ai une envie de mordre dans du confit de canard moi après ça…

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5 réflexions sur “L’injonction d’assurer

  1. Un bon point pour la position critique des « dictatures » qui nous envahissent sournoisement. Un autre exemple : l’indignation.
    Cela dit, la conjonction entre une concentration forte vers un but (pas toujours avec un esprit de compétition) et une détente totale (active, type méditation) a un nom, ça s’appelle l’état d’excellence. Idéalement il pourrait être notre état normal à condition de savoir « gérer » ;-), d’apprendre à doser… ainsi les « Big Brother » iront s’occuer de quelqu’un d’autre.

    1. Pratiquant la sophrologie, je vois ce que vous entendez par cet état d’hyper-conscience… il est assez ironique que l’état « d’excellence » reprenne un terme du champ lexical de la… performance. On n’en sort pas malgré nous ! Je pense qu’on peut tout simplement être à la fois positif et en alerte critique, confiant et méfiant, selon les circonstances et les domaines.

  2. Bon, si ne suis toujours pas d’accord avec Claudio quant à une soi-disante injonction à l’indignation (l’époque est au conformisme, à la passivité et au ludique), oui je le suis quant à l’existence d’un état de grâce dans la performance. Il s’agit d’un état d’hyperconscience que l’on appelle aussi le « flow » ou « être dans la zone » : c’est en quelque sorte le satori du sportif. On est dans la pleine possession de son art, de ses moyens physiques et techniques. Ueshiba qui évacue une attaque à peine esquissée par son adversaire. L’improbable panier à trois points du basketteur à l’autre bout du terrain. Pour autant, je vous suis pleinement sur les dérives possibles de ce type d’injonction appliqué à notre quotidien de travailleur. Il en faut parfois des concepts à deux balles, tirés par les cheveux, avant d’accoucher de la campagne qui tue. Et puis, un directeur de créa me disait qu’il faut toujours regarder dans la poubelle d’un concepteur-rédacteur : on est parfois ultra-performant à l’insu de son plein gré !

    1. Merci Stéphane pour cette précision sur la performance fluide et éclairée qui sonne comme une évidence quand elle arrive. Une sorte de satori ? Quant aux campagnes qui s’étalent sur nos murs, loin de moi l’idée effectivement de les vilipender direct : je sais trop ce qu’il peut arriver entre les idées de départ et les compromis collectifs à l’arrivée !!!! Je préfère inciter à la minute de réflexion qu’elles peuvent générer bien malgré elles…

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