Conjuguez-moi le verbe être au présent de l’infini.

Alzheimer. On peut l'avoir et continuer à êtreJe sais que vous préféreriez que quelqu’un vous dise que ça va s’arranger, que la courbe du chômage va s’inverser, qu’on va arrêter de nous enfumer sur les retraites, que la cupidité cynique qui nous mène droit dans le mur va s’autodétruire le mois prochain, que la Syrie va directement passer de la dictature à la démocratie laïque… Ne comptez pas sur moi pour mettre un coup de peinture rose sur les fissures du plafond ! Non, j’ai choisi un sujet bien plus guilleret pour mon PHILO PUB de rentrée.

«Alzheimer. On peut l’avoir et continuer à être. »

Dans cette campagne qui a fleuri sur les abribus au mois d’août, on voit des personnes atteintes qui vivent justement un moment joyeux « en suspension » : peu importe que leur vie soit désormais reliée à un passé plein de trous et que leur avenir s’écrive en pointillés, on est dans l’instant à savourer, dans l’être pur. Qu’est-ce qui m’a touchée dans cette publicité de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer ? Un écho certain avec mon histoire personnelle puisque ma mère en est atteinte depuis plusieurs années ? Un fil rouge philosophique personnel qui me sert parfois à situer la posture de mes congénères : « Et celui-là, il privilégie l’Être ou l’Avoir ? ». Un questionnement éternel autour de l’identité, de ce que nous sommes vraiment ou faisons semblant d’être ? Sûrement un cocktail de tout cela dans mon petit bric-à-brac conceptuel. Au-delà du jeu sur les verbes être et avoir, cette phrase touche juste : on peut être et avoir été…

On peut être là malgré la maladie et « avoir été » pour les gens qui regrettent ce que vous n’êtes plus. Quand un proche est envahi petit à petit par ces troubles cognitifs, on le perd tout doucement, car les souvenirs ne sont plus partagés et les échanges deviennent confus. Les attentions peuvent à tort paraître vaines puisqu’elles seront oubliées demain. On est alors dans l’instant, dans le gratuit, dans l’éphémère. Cela n’a plus rien à voir : il n’y a plus rien à avoir, puisqu’il n’y a rien à garder, à thésauriser pour la rencontre d’après. Toute l’éternité tient dans l’instant. On n’attend rien. On tient la main. On met de la tendresse dans des banalités qui passent comme des cumulo-nimbus dans le ciel. Que ressent-elle vraiment ? Je ne le saurai plus. Des éclairs de lucidité la font-elle souffrir ? Je ne peux pas le savoir.

On peut être et avoir été. Refermer la boîte noire, se moquer du passé comme de l’avenir et refuser d’être trop conscient lorsque la lumière s’éteindra. Après tout, peu importe. Oublier… Se souvenir… Nous sommes faits de tout ce dont nous nous souvenons. Nous sommes aussi faits de tout ce que nous avons préféré oublier.

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6 réflexions sur “Conjuguez-moi le verbe être au présent de l’infini.

    1. Merci beaucoup Salianne. Sur ce sujet, on est toujours un peu au bord des larmes, mais c’est aussi un petite leçon de vie…de chaque instant.Un peu de conjugaison en cette rentrée des classes, ça ne fait pas de mal non plus 😉

  1. Très touché par ce post, si émouvant, si profond. Merci. Superbe titre ! Mon meilleur pote, mon frère, donne des cours de Taï Chi Chuan à des personnes âgées atteintes du syndrome Alzheimer : il me confiait la tonalité particulière de ces cours avec des élèves plus ancrés dans le présent que le meilleur de ses pratiquants habituels. Et peu importe s’il faut reprendre l’enchaînement au début à la prochaine séance…

    1. Merci beaucoup Stéphane. Oui effectivement, avec la pratique du Taï Chi Chuan, on se doit d’être absorbé par le moment présent. Cela doit aussi être très impressionnant et très enrichissant pour ce prof de voir comment des personnes atteintes de cette maladie s’approprient cette drôle de gym… Bonne rentrée.

  2. Excusez si je suis plus touché par la forme que par le fond. Mais touché quand même. Le « présent de l’infini » me comble.
    Ah au fait, on a le même jeu : « Et celui-là, il privilégie l’Être ou l’Avoir ? »

    1. « Etre ou avoir »… that’s the question. Pour quelqu’un qui dort dans la rue ou qui économise le moindre centime pour boucler les fins de mois, c’est une question déplacée. Pour l’Humanité globale, je me dis de plus en plus que c’est la question à laquelle on devrait répondre ici et maintenant à la croisée des chemins. On baigne tellement dans la culture du chiffre et de la rentabilité en tout et pour tout, que l’on ne voit même plus qu’il y a toujours un choix fondamental entre quantitatif et qualitatif. Où va nous mener cette oppression sourde et constante qui fabrique le consentement ? A une sorte de Métropolis où les moutons lobotomisés se gavent de divertissement numérique pour oublier ? A un sursaut né du chaos ? Néo, si tu as la réponse, sors de ce disque dur…

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