Apologie de la punition…ou éloge du rachat ?

apologie de la punition jaffelin« Apologie de la punition », le dernier livre d’Emmanuel Jaffelin, c’est un peu comme de la grenadine verte. Il y a ce qu’on appelle en psychologie comportementale une erreur d’attente… Si vous ne connaissez pas l’auteur,  le titre peut en effet vous faire penser à un livre moralisateur et nostalgique, limite réactionnaire. Et pourtant, l’humanisme qu’on y rencontre joue dans une tout autre cour… Quelqu’un qui peut concilier dans sa bibliographie « Éloge de la Gentillesse » et « Apologie de la punition » démontre justement un niveau de nuance de la pensée des plus dignes d’intérêt dans un monde facilement binaire. Si la gentillesse est pour l’auteur la noblesse qui consiste à rendre service à quelqu’un qui vous le demande, la punition serait le « service » réparateur et ré-intégrateur que doit rendre la société à quelqu’un… qui évidemment ne l’avait pas demandé tout de suite. Encore faut-il donc que la fameuse punition serve à réintégrer et pardonner plus qu’à mettre à l’écart. C’est sur cette nuance que tout repose…

Qu’y a-t-il de commun entre l’enfant roi qui ne trouve plus ses limites, les professeurs démunis face à l’impunité croissante des fauteurs de troubles et l’indigence carcérale doublée de récidive croissante ? Il y a le constat fait par Emmanuel Jaffelin de l’inquiétant rejet par notre société de l’idée même de « punition », à laquelle on préfère sans trop se l’avouer la lâcheté hypocrite des mises au placard. Oui, car quoi de plus politiquement incorrect aujourd’hui que de déclarer que notre société ne sait plus punir, à l’heure où les « modernes » hurlent aussitôt au réflexe réactionnaire quand ils entendent le mot « punition ». Le philosophe a choisi un sujet glissant et clivant, mais il met aussi dans la balance son expérience auprès des détenus dans le cadre de ses « ateliers philo » pénitentiaires. La première partie de cette « Apologie de la punition » est un constat saisissant dans plusieurs domaines. Dans la famille, les excès du règne de l’enfant roi ont remplacé ceux de l’autoritarisme maltraitant. À l’école, des enseignants démunis gèrent le désordre lié à l’impunité croissante des élèves, dans un système qui ne se donne plus les moyens d’offrir un cadre strict au fameux « vivre ensemble ». Quant à la justice, une fois la peine de mort abolie, le tout-prison a laissé un impensé pénal qui se contente d’isoler le condamné du corps social sans lui demander réparation pour mieux le réintégrer quand c’est encore possible. Les taux de récidives, l’engorgement des tribunaux et le manque de suivi des criminels sexuels devraient pourtant souligner la nécessité d’une remise à plat de l’adaptation des peines.

Après cet état des lieux, le livre s’engage sur une voie humaniste qui contredit la provocation apparente de son titre. Il y est question de rachat et de pardon… sans quoi la justice n’est que mise à l’écart et fixation humiliante dans un statut éternel de paria fautif. Les propositions faites sont fondées sur l’absolue nécessité de distinguer de façon pragmatique les différents crimes, délits et infractions afin de sortir du « tout incarcération » manifestement inefficace. Elles seraient trop longues à exposer ici et méritent une lecture attentive… avec en prime un détour inattendu du côté des justices amérindiennes et maori. Un livre dérangeant qui fait ressurgir des questions civiques et morales essentielles bien au-delà des querelles politiques.

Comment les propositions audacieuses de l’auteur pourraient-elles être « testées » ? Notre garde des sceaux a-t-elle procédé à la lecture de ce livre ? Que sait-on aujourd’hui au juste du caractère dissuasif ou non du système pénal actuel ? Parmi toutes les autres questions qui me taraudent, il en reste une, bien plus anecdotique : pourquoi le choix provocateur du mot « apologie » pour le titre ? Éloge et apologie peuvent paraître synonymes… et pourtant, on s’aperçoit dans le langage courant, que l’éloge est souvent accueilli positivement et comme pleinement justifié, tandis que l’apologie prend une connotation abusive et discutable, comme par exemple… l’apologie du crime, bien incompatible, vous en conviendrez, avec celle de la punition.

La page de l’éditeur : Emmanuel Jaffelin « Apologie de la punition »

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4 réflexions sur “Apologie de la punition…ou éloge du rachat ?

  1. Très interpellé par ce post alors que, parmi mes multiples casquettes, je suis aussi formateur au Quartier des Mineurs d’une Maison d’Arrêt des Alpes-Maritimes. Le thème de la punition est effectivement un débat complexe qui appelle la nuance. Je lui préfère l’approche de « réparation »… Oui, comme Mme Taubira, je pense en préalable que la prison n’est pas la réponse pour beaucoup de cas. Que fait en cellule un individu qui n’a pas payé sa pension alimentaire, ou insulté un agent, ou promené sa consommation de chit ? En tout cas, merci plein pour ce conseil lecture : il est d’ores et déjà programmé dans ma liste de printemps. Voilà un ouvrage très intéressant… Et quant à la nuance éloge-apologie, il me semble que le second a plus volontiers une connotation prosélyte. D’où ma curiosité piquée quant à l’intention de cet ouvrage. Si c’était pour acheter les deux, c’est réussi : c’est ce que je m’apprêtes à faire. La curiosité est un bien joli défaut dont la punition est dans un surcroît d’attention et la récompense dans un surplus de discernement…

    1. Merci beaucoup Stéphane pour ce commentaire…de quelqu’un qui manifestement doit être confronté concrètement à toutes ces notions. Je serai bien sûr très intéressée d’avoir à nouveau votre point de vue après lecture. L’auteur, nouvellement abonné à ce blog, a également une adresse email indiquée dans le livre, pour recevoir vos impressions. J’aime beaucoup votre dernière phrase sur la curiosité…

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