La singularité devrait toujours être l’essence du luxe. C’est ce qui pousse parfois certains à être originaux à tout prix. Dans le domaine du parfum, il est par exemple assez désagréable et fort troublant de croiser l’odeur du sien dans le sillage de quelqu’un d’autre. On bascule alors dans la fadeur de l’ordinaire. Mon nez intellectuel est donc par principe à la recherche de parfumeurs qui officient en dehors des sentiers battus… question aussi de statistiques de population et de probabilités. Parmi eux, il y a une griffe olfactive qui ne se laisse pas émouvoir par les faux-semblants du packaging ou les clichés usés du glamour. ÉTAT LIBRE D’ORANGE, c’est le nom de ce parfumeur français, est bien loin des jus marketés et consensuels. Son credo : rester furieusement libre et constamment révolutionnaire, comme le symbolise la cocarde qui orne les flacons. Mais pour une amoureuse des mots, le plaisir est aussi dans le nom de baptême des jus créatifs de la maison. A la question « Ça sent bon. C’est quoi ton parfum ?», il faut donc vous tenir prêt(e) à répondre : « Rien », « Putain des Palaces », « Éloge du Traître », « Fat Electrician » ou « Nombril Immense »…
Pour l’instant, après avoir donné en hiver dans le « Noël au Balcon », j’ai dernièrement opté pour « Divin’Enfant ». C’était en boutique, rue des Archives à Paris, après avoir longuement hésité avec « Eau de Protection » et « Rien ». L’occasion de vous narrer une anecdote. Mes tergiversations furent à peine interrompues par la visite d’une « shoppeuse ». Oui, je préfère la résumer à l’aide de ce vilain néologisme anglophone. Elle entre, sûrement intriguée par une boutique qu’elle ne connaissait pas encore (impossible…) et au nom franchement étrange… Etat Libre d’Orange ?
Après avoir approché ses narines de l’orifice de quelques flacons, elle assène au parfumeur-conseil :
-Lequel vendez-vous le plus ?
Question vulgaire et tellement hors sujet… Vieil habitué, il lui lâche avec un sourire :
-Celui qui vous ira, Madame…
On voit que ça mouline à cause de son plissement de sourcil : la surprenante réponse fait chauffer les circuits de la dame, mais provoque une ERROR 404. Encore une trentaine de secondes et la voilà définitive, mais décidément incapable d’assumer un choix :
-Je les aime tous…
J’adore traîner les gens dans leur propre démagogie et je lève mon nez pour lui dire :
-Alors prenez-les tous. Vous ne le regretterez pas.
Quelques secondes se traînent puis, finalement, elle s’éclipse, toute troublée comme une anisette. De toute façon, je ne la voyais pas repartir avec « Charogne » qui l’aurait forcément enthousiasmée comme tout le reste. Sentant sans doute qu’elle allait devoir attendre avant qu’on s’occupe d’elle, elle nous laisse à notre hésitation, en train de comparer les mérites de la fève tonka et du cuir de Russie… parce qu’on s’en fiche bien fort de ce qui se vend le plus.
La singularité ne se laisse apprivoiser que par ceux qui la désirent sincèrement, avec avantages et inconvénients. Oui, je suis une peste parfois, c’est la raison pour laquelle je porte « Divin’Enfant ».
Pour demander l’asile olfactif : ETAT LIBRE D’ORANGE
Et je ne peux que vous conseiller un autre « parfum » unique en son genre : celui de Süskind !
Un monument de la parfumerie littéraire effectivement… et un grand souvenir de lecture.
ça faisait trop longtemps que je n’étais pas venu sur un de mes blogs préférés, disons le top 5… Et de le regretter à la lecture de ce post ô combien jubilatoire. Ma plus profonde révérence pour « troublée comme une anisette ». Bon, sinon je me sens soudain bien conformiste avec mon « Habit Rouge » qui n’a paradoxalement rien de révolutionnaire. Je dois « monter » à Paname dans l’été pour une interview : bien que pas très cocardier dans l’âme je cours dans cet état libre à la recherche de « mon » parfum. Le seul nom de « Noël au Balcon » a déjà quelques relents coquins, non ? Mais « Rien » pourrait coller avec le bonhomme. reste à sentir… Et sinon, votre livre est toujours programmé sur ma liste d’été. Mon Mac pour une semaine façon « Alexandre le bienheureux » ! A suivre…
Merci Stéphane pour ce retour sur Vous Tombez Pile. Ne vous remettez pas trop vite olfactivement en question : Habit Rouge est une grande création d’un vrai parfumeur qui s’appelait Guerlain ! « Rien » joue sur une autre tonalité avec beaucoup d’encens, de cuir et d’ambre…. Ce serait un vrai virage dans le sillage ! Pour la lecture de mon livre « C’était Mieux Demain »… évidemment, tenez-moi au parfum. Bonnes vacances en tout cas, si elles se profilent à l’horizon.
Pour ma part, je porte Sécrétions Magnifiques principalement, mais Vierges et Toréros n’est pas mal non plus. Et le nouveau Rien Intense est un orgasme olfactif.
Merci et bienvenue sur les terres du Voustombezpile. Effectivement, chaque parfum de cette maison est une aventure en soi. Je n’ai pas encore eu l’occasion de découvrir Rien Intense… je vais aller y balader mes narines.