L’odeur de rentrée devient envahissante et aucun masque ne nous en préservera. Alors, nous avons fait du tri sélectif (admirez le pléonasme qui ne choque plus personne). Nous avons jeté quelques cahiers de CM1 qui survivaient encore discrètement dans un coin… Mon fils a même mis à la corbeille avec détermination le journal intime dont il avait cessé de remplir les pages. Un modèle avec cadenas s’il vous plait pour que les secrets soient mieux gardés. J’ai un gros pincement au cœur en imaginant la benne à ordures emporter sans le savoir ces lambeaux d’enfance, au milieu des épluchures de pomme de terre et des pots de yaourt. Il y a des mues qui sont à ce prix… et des chrysalides désormais superflues.
J’ai aussi préparé un carton pour la déchetterie avec de «l’électronique » atteinte d’obsolescence aggravée. Il est troublant de mettre en parallèle la préciosité de ces objets lors de leur acquisition et leur anéantissement pathétique lors de la première panne irréparable. Il va falloir aussi « transmettre » des livres à la bouquinerie ou au Secours Populaire, car la place manque cruellement dans les bibliothèques. Se demander pour chacun si on y tient, si on le relira un jour, s’il prend de la place pour rien. Trier est un exercice organique qui s’effectue au niveau de l’intestin psychologique. Objets généalogiques, aide-mémoires, tiroirs à souvenirs, poches à foutoirs, greniers à débris… : l’attachement irrationnel que nous avons pour certains objets nous laisse sans argument lorsqu’on essaie de nous les faire jeter. Le distinguo rationnel entre superflu et nécessaire n’existe plus dans ces contrées. Pour l’anéantir, il suffit d’un péremptoire « Parce que c’est lui, parce que c’est moi… ce machin, vois-tu je ne le jetterai pas. »
Mais bon voilà : à chaque changement de saison, votre magazine préféré vous conseille une petite cure de détoxification. Jus de pissenlit, de bouleau ou de radis noir ? Quelle que soit la plante qui sera l’élue de votre instinct nettoyeur, pensez à accompagner la démarche diététique de quelques séances de tri. Le nettoyage mental accompagnera à merveille le drainage physiologique. Dans ce tri désiré ou un peu forcé, vous risquez de déplacer de la poussière. Je ne vous l’ai jamais dit, mais j’ai une fascination poétique pour ce symbole méprisé de la fugacité de toute existence. Un sac d’aspirateur est une chose peu ragoûtante qui invite malgré tout à la méditation (et non à l’inspiration, malheureux). Matière étrange que la poussière qui rend visible à nos yeux aveuglés le délitement aussi microscopique qu’imperturbable de ce qui nous entoure. Cellules mortes, fibres textiles insoupçonnables, micro-miettes et acariens tenaces communient alors dans les interstices de notre quotidien. Entre cette poussière qui vient déjà du passé et l’odeur de cahier neuf, vous vous tenez là, entre la nostalgie du révolu et l’excitation de l’avenir… alors bonne rentrée à tous.
Rebond dans la poubelle…
Consommer, trier, jeter… : des activités hautement humaines mises en scène par le photographe Gregg Segal pour dénoncer l’accumulation de nos déchets.
Simplifier, simplifier, et encore simplifier… Plus amont peut-être ? Oui, contre l’envahissement généralisé, il faut savoir pousser un grand tri ! Merci de le faire et nous relancer avec un tel talent littéraire, ça passe mieux c’est certain.
J’aime beaucoup le côté libérateur de « pousser un grand tri »… Bravo;
Un article à ne pas jeter aux oubliettes, en tout cas. : )
CQFD.
J’encadre celle-là : « Trier est un exercice organique qui s’effectue au niveau de l’intestin psychologique »
Si j’avais su que je finirai dans un cadre, je serais aller chez le coiffeur 😉
Un teste un. Une question ontologique qui a dû faire chier Héraclite ou Parménide!💊
bravo pour ce blog
Merci Emmanuel pour cet encouragement philosophique ! Effectivement, il est de bon ton de transiter par l’opposition entre le changement permanent de l’un et l’être éternel de l’autre pour prolonger la réflexion… 😉