Pas son genre

Pas-son-genre-emilie-dequenne - Loïc CorberyOn peut le dire : ce n’est pas trop mon genre de me jeter systématiquement sur le livre qui a servi de base au film que je viens de voir… car vu le nombre d’adaptations au cinéma, toutes mes heures de lecture y passeraient. Mais en sortant de la salle où je venais de rencontrer les personnages de PAS SON GENRE, film de Lucas Belvaux, je me souviens avoir déjà eu envie d’en savoir plus sur eux. La rencontre en dédicace avec l’auteur du livre, Philippe Vilain, m’a pour ainsi dire donné le signe du destin pour cette lecture nécessaire. Si vous ne l’avez pas encore vu/lu, je vous résume la problématique comme on dit… François, un jeune professeur de philosophie très parisiano-mondain, se voit muter à Arras, par manque cruel de points. Le voilà donc projeté dans l’ennui consternant de la province septentrionale (point de vue du personnage, on est d’accord…). Ouf, il réussit à grouper ses cours sur deux jours d’apnée et revient vite fait respirer l’air de la capitale intellectuelle. C’est peut-être l’affaire d’une année, ma foi. Ayant quitté une parisienne parce qu’il ne souhaitait décidément pas s’engager, le voici qui erre le cœur vide dans des rues « arrassantes » (mille excuses, c’était trop tentant). Mais son rendez-vous chez le coiffeur va lui donner l’occasion de remplir ce vide par une nouvelle relation amoureuse, avec Jennifer, coiffeuse de profession. Est-ce fait pour durer ? L’aime-t-il vraiment ? Est-ce comme dans les contes de fées où l’amour triomphe de la distance sociale, culturelle et intellectuelle… parce que les bergères qui épousent les princes, c’est vraiment le top du cool ?

Pas son genre Philippe VilainJennifer, charmante divorcée passionnée par la presse « people » et le karaoké peut-elle suffire à un fils de hauts-bourgeois qui lit assidument Proust, Kant et Kierkegaard… et réciproquement ? Pas si simple… Le mélange de romantisme et de lucidité de Jennifer est incarné à merveille par Emilie Dequenne. L’indécision énigmatique de François est parfaitement campée par Loïc Corbery. Elle est, dans le livre, le sujet d’une réflexion aussi passionnante que dérangeante, qui complète en finesse les sensations et interrogations du film.

Le film est bien plus une fable sociale et philosophique qu’un film d’amour. Dans le livre, c’est François le narrateur qui raconte a posteriori cette histoire. On y approfondit donc les ressorts psychologiques de son indécision, une analyse sans complaisance du sentiment amoureux au-delà des clichés romantiques et des non-dits. L’amour est facilement présenté comme un sentiment vertueux au-dessus des contingences socio-culturelles : Philippe Vilain nous rappelle que notre angélisme est souvent démenti par une réalité moins romantique et surtout plus complexe où le sentiment est aussi un fait social. Il y a longtemps, quand la SNCF était un modèle de ponctualité, une expression soulignait « qu’on ne parlait pas des trains qui arrivaient à l’heure ». Les couples très « mixtes » socialement, sont un peu comme les trains qui arrivent en retard : on les remarque juste beaucoup plus à cause de leur rareté.

Exercice personnel auquel je me suis prêtée avant de vous le soumettre : transformez votre dulciné(e) en son opposé socio-culturel… l’auriez-vous autant aimé ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ? Voilà qui mérite plus de sincérité qu’une réponse de normand…

Pas-son-genre-film -Lucas-BelvauxEXTRAITS

Sur l’indécision sentimentale et chronique de François :

  • « L’indécision (…) m’a dispensé des alliances d’intérêts auxquelles consentent les hommes de mon milieu ; elle a sûrement fait de moi un être seul, mais elle m’a permis d’échapper au conformisme de ma bourgeoisie, à ses préjugés, et, ce faisant, elle m’a fait comprendre combien nos choix, nos décisions sont moins le fait de la résolution que de l’obligation, moins le fait du désir que du renoncement, et que ce sont le plus souvent les autres, les circonstances, qui nous décident. »
  • « Je me fais une représentation si précise de la femme supposée me convenir, une idée si claire de ce qu’elle devrait être, et je suis si résolu à l’obtenir que je finis toujours par trouver assez d’imperfections aux femmes avec lesquelles je sors, je veux dire, pour m’engager avec elles. (…) La perversité de cette croyance, ou disons, son côté ludique, est que, me faisant comparer les femmes à cet idéal, elle finit par me les indifférencier toutes, et ainsi, me conforter dans l’indécision : ne pas choisir, c’est choisir de rêver. Mon indécision n’est pas tant l’irrésolution du lâche que la résolution du rêveur. »

Sur la fascination de Jennifer pour la vie privée des « people » :

  • « J’étais agacé que Jennifer vénère ce monde sans voir sa vanité, les discriminations qu’il impose sous ses dehors vertueux, le cynisme de ne choisir et de n’aimer qu’entre soi, élus de la notoriété, l’impossibilité qu’il y aurait pour elle, la coiffeuse, de prétendre être aimée un jour par ceux-là mêmes qu’elle admirait ; sans mesurer combien le principe de l’amour se fonde sur l’intérêt, sur le choix d’un prétendant qui vaut sur notre échelle et nous paraît le plus estimable, le plus digne de ce que nous croyons valoir, sans voir que l’amour a un prix, sans penser que la grande question de l’amour n’est sans doute au fond que de savoir à qui l’on peut prétendre. »
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5 réflexions sur “Pas son genre

    1. Belle référence au titre d’un de ses albums. Le cynisme aussi subtil qu’hilarant de l’illustrateur Voutch convient à merveille au débat… même s’il nous éloigne encore un peu plus de l’hypocrisie romantique !!!

  1. J’aime beaucoup ce post : the secret marriage is never can be broken… Il existe donc bien autre chose qui électrise la rencontre au-delà des attributs de la persona : physiques, intellectuels, culturels… Et cela est rassurant. Un « couple socialement mixte » n’est-ce pas là un pléonasme ? Je pose la question, si vous vouliez bien juste lâcher ce foutu Closer deux minutes Mademoiselle !

    1. Merci Stéphane pour ce pas de côté. Je crois qu’on a encore tendance à nier un peu vite les réalités de l' »entre-soi », qui perdurent, même dans les milieux les plus « cool, hypra-ouverts et franchement tolérants. » Promis, j’arrête d’aller trop souvent chez le dentiste, juste pour me jeter discrètement sur la presse people…

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