Veuillez attacher votre système de divertissement.

système de divertissement campagne EmiratesUn jour, cher Blaise Pascal, tu as dit quelque chose de très important : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir  demeurer en repos, dans une chambre. » (Pensées, 139). Tu voulais nous rappeler un truc flippant : ne rien faire du tout peut vite nous confronter à l’absurdité de notre condition humaine, voués que nous sommes à une fin funeste… et en même temps nous obliger à une réflexion indispensable sur le sens que nous pourrions quand même donner à notre existence. Bon, tu as dit cela alors que la VOD, la Play Station 4 et les smartphones n’existaient pas. Tu ne parlais donc sans doute pas du même « divertissement ». Qu’aurais-tu pensé de cette campagne web pour une compagnie aérienne qui vante son « système de divertissement à bord » ? La tête du jeune ahuri, casté pour l’occasion, n’aurait pas manqué de t’interpeller, certes. Mais c’est sans doute ce diable de mot « divertissement » qui aurait aussitôt fait tilt…

Comme tu le vois, Blaise, le fait de se « divertir » ne semble pas poser aujourd’hui le problème que tu voulais soulever… en avion ou ailleurs. Un « système de divertissement à bord » ? Pour nous faire oublier que l’avion pourrait être détourné par des terroristes ? Pour nous faire oublier les angoisses que le miracle avionique peut nous coller si on commence à trop cogiter ? Descends de l’avion, mon cher Blaise, le divertissement n’est pas réservé au long courrier : il est désormais partout. L’ennui est un pêché ringard, même s’il est pourtant idéal pour nous obliger à penser ou déclencher des connexions imaginatives inédites. L’ennui est à combattre, des fois qu’il nous ferait nous interroger sur notre condition humaine de consommateur apathique. Il faut que je te le dise : ce divertissement est même devenu à la fois une industrie florissante et une façon aisée de couper à tout le monde l’envie de réfléchir. Le robinet coule en illimité pour éviter tout temps mort et toute rêverie subversive. Pour échapper à l’angoisse d’un avenir incertain, la jeunesse et la moins jeunesse se maintiennent sous perfusion de gaming, de séries à donf, de vidéos trop LOL et d’échanges socio-numériques chronophages. C’est rudement fun et tout le monde en redemande. De là à penser que divertir revient, chez les moins instruits (oh quel mot terriblement stigmatisant et désuet), à abêtir, il y a un pas que nous ne franchirons pas pour rester cool et dans l’air du temps. Profitons-en plutôt pour souligner un paradoxe comme on les aime : si ce siècle sacralise le divertissement-roi, il vénère pourtant également la performance à toute vitesse et la rentabilité de chaque milliseconde. C’est parce que nous sommes productifs en travaillant, mais tout aussi rentables et dociles en nous abreuvant de divertissements. La boucle est bouclée et les neurones sont bien gardés. Les derniers remparts à cette occupation du temps de cerveau disponible à 360°, ce sont à la fois le bon vrai sommeil que les lois du capitalisme ont du mal à coloniser et le temps mort destiné à autre chose qu’à l’industrie du loisir. Une résistance « passive »… à moins qu’elle ne devienne éminemment subversive. Mon très cher Blaise, si tu m’entends, peux-tu donc, à tes heures perdues, nous refaire une petite mise à jour de ta Pensée N°139. Tu serais bien aimable.

LECTURE à REBONDS

Parce qu’une activité sans répit ni pause, c’est un grand rêve capitaliste… qui ne doit pas se réaliser ! >> Lire « 24/7 – Le capitalisme à l’assaut du sommeil » de Jonathan Cray (La Découverte)

Parce que c’est la drogue du divertissement qui donne raison à Huxley (Le Meilleur des Mondes) plus qu’à Orwell (1984) >> Lire l’article sur Slate.fr

Parce qu’être débordé, c’est une vaine assurance contre le vide existentiel… >> Lire la méditation de l’écrivain Tim Kreider sur cette posture hautement contemporaine

Parce qu’il ne faudrait pas confondre la fuite divertissante et la reconquête du temps perdu… >>Lire « La Mélodie du tic tac et autres raisons de perdre son temps » de Pierre Cassou-Noguès (Flammarion) et écouter une interview de l’auteur

 

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Une réflexion sur “Veuillez attacher votre système de divertissement.

  1. Tellement vrai, tellement bien dit… Quand je vois l’hyper-activité mentale permanente de mon dernier fils (16 ans), je me dis que le chemin sera encore long dans l’acceptation de l’oisiveté-créatrice. L’oisiveté, mère de toutes les bonnes questions et de toutes les vraies réponses ? A l’aise Blaise !

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