
Certains lancent des pavés dans la mare. D’autres ont la nostalgie des pavés sous la plage. Moi, j’ai mis un pavé sur la table basse. Oui, j’y ai posé ce pavé intitulé « 1 kilo de culture générale ». La réponse iconoclaste à ceux qui veulent tout dématérialiser et laisser penser que puisque tout est sur la Toile, il suffit de ne rien savoir pour l’avoir toujours à portée de main. Inquantifiable, insoupçonnable et pourtant éminence grise de toutes vos prises de position, la culture se la joue générale. Elle se dit générale pour mieux cimenter notre socle commun. Mais, dans notre bonne société égalitaire, la culture se la joue sournoise…
Culture sournoise, culture de classe ?
Dans les dîners professionnels ou autour de la machine à café, elle peut servir de marqueur social sans en avoir l’air. Dans les examens d’entrée, elle fait le tri entre le potasseur de dernière minute et le bien élevé qui a grandi dans les bonnes écoles et une famille cultivée. La culture dite générale fait donc la différence entre ce qui a résisté au temps passé et ce qui ne dépassera pas les 790 000 vues sur Youtube dans le présent. La culture nous met aussi sur un autre pied d’inégalité : celui de la mémoire. Celle qui vous cause et qui a toujours la réponse sur le bout de la langue, sait de quoi elle parle !
Une culture qui pèse son poids.
La culture peut paraître aussi insaisissable que l’air que nous respirons. C’est pour cela que « 1 kilo de culture générale », ça a le mérite d’ancrer les choses dans le concret. On pèse, on achète et on en aura pour son argent. C’est tellement une bonne affaire qu’ils nous en ont mis plus de 800 g de plus. La publicité mensongère dans le bon sens en somme. Vous séchez sur les Sumériens ? Vous ne savez plus où ranger Charles X ? Vous avez un problème de haut Moyen-Âge ? Vous feuilletez et vous aurez pris un gramme de culture qui ne se verra pas sur les hanches. C’est délicieusement plus désuet, je vous l’accorde, que de pianoter « sumériens wikipédia » avant de cliquer sur la petite loupe. C’est comme la différence entre la soupe maison et le sachet déshydraté : une question de mérite qui commence par la quête de l’épluche-légumes. En plus, un jour de désœuvrement sur canapé, on peut ouvrir une page au hasard façon « J’ai de la chance » sans consommer le moindre micro-watt d’électricité.
Une enclume qui ne se la joue pas « Petite Poucette »
Avec son côté ventripotent intransportable, « 1 kilo de culture générale » m’a replongée aussi dans une vieille réflexion sur « Petite Poucette », un livre de Michel Serres. Son ouvrage est aussi mince que ce « 1 kg de culture générale » est obèse. C’est l’élan d’un grand-père épaté par ses petits-enfants « digital natives » qui règlent leurs problèmes exclusivement de façon numérique… et d’un prof qui enseigne à Stanford plutôt qu’en ZEP. Sa réflexion m’a dérangée sur un point : elle semble faire fi de la différence entre « connaissance mise à disposition » et «savoir intégré, digéré » : c’est ce dernier qui doit permettre aux enfants du XXIè siècle, comme à ceux du XXè, de se repérer dans le flot croissant des informations multi-sources. C’est lui la garde avancée de l’esprit critique. S’il vaut mieux une « tête bien faite qu’une tête bien pleine », peut-on réfléchir pour autant avec une tête simplement externalisée sur le net ? Il parait que la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié… y compris son smartphone. Tiens, vous l’avez mis où d’ailleurs ?
REBONDS
Un article richement intéressant sur le pavé en question
Un entretien avec Michel Serres sur l’ère « Petite Poucette » et ses enjeux
>La campagne de la Fondation Cultura, qui se donne pour mission de faciliter l’accès à la culture :
Excellent post où chaque mot est pesé ! Oui, savoir « organiser la pensée » c’est ça aussi pour moi l’idée d’une « culture gé » utile VS la pesante confiture des soirées qui s’étalent, ou des machines à café de la « culture express » Au passage, ça fait du bien de voir qu’une bonne « campagne typô » ça marche aussi de temps en temps. Allez, on continue de faire passer le message aux « poucettes » pour qu’elles sachent aussi se faire « opposables » en connaisance de cause.
Merci Stéphane. Oui il faut à tout prix encourager les « digital natives » à interroger sans cesse les sources et à développer leur bagage culturel pour déjouer les manipulations. Pour moi c’est l’enjeu éducatif urgent (oui plus qu’une deuxième langue dès la 5eme mais ne polémiquons pas inutilement… )
A ce poids-là, la culture est physique.
J’aime beaucoup le pavé dans la « marre ».
Merci Claudio. C’est corrigé. Mon lapsus orthographique m’a bien fait marrer !
Hé oui, quand on n’a pas de disque dur sous la main, celui avec les octets, mieux vaut ne pas avoir le disque mou, celui avec les neurones.