Quel rapport entre la question innocente d’une lycéenne, le dernier livre du philosophe Roger-Pol Droit et la céramique raku ? Vous allez voir ce que vous allez voir…

Lors d’une dédicace à un salon du livre, une lycéenne posait à chaque auteur une question épineuse, dans le cadre d’une espèce de mémoire : « Pensez-vous que le bonheur soit un but dans la vie ? ». Diantre.

Je lui ai répondu que justement « pas du tout », que c’était vouloir attraper une ombre et que l’essentiel, c’était plutôt de trouver pourquoi on était fait, pourquoi on vibrerait de toutes ses cordes à son arc. Trouver sa place et faire résonner ce qui fait de nous ce que nous sommes. Oui, la société de consommation a tout intérêt à nous faire croire que le bonheur, c’est d’être heureux avec ce que l’on réussit à acquérir. Elle a eu l’air tout à fait satisfaite, mais pas le moins du monde étonnée par ma réponse qui est sortie comme ça d’on ne sait où. Acte I.

Dans la semaine qui suit, je tombe sur le nouvel opus du philosophe Roger-Pol Droit : « La philosophie ne fait pas le bonheur…et c’est tant mieux. ». Un essai polémique contre les « dealers de félicité » qui confondent la philo et le fonds de commerce du développement personnel en promettant que la philosophie va changer leur existence, pacifier leur vie et les rendre heureux. En confondant la liberté du sage antique et le bonheur formaté d’aujourd’hui, cette philo-bonheur contribue en réalité au maintien de l’ordre et de la servitude… alors que la vraie philo tend plutôt à rendre lucide, critique et ironique. Monsieur Droit s’emploie donc à démonter les subterfuges du lavage de cerveau généralisé. Urgente mission. Acte II.

Et puis quelque temps plus tard, j’échange avec Catherine Le Baron, céramiste rouennaise qui tenait encore récemment boutique, avant de se consacrer aux expositions d’art. C’est elle qui me fait découvrir la technique japonaise du raku  (prononcer « racou » comme pour le pull ras du cou). Raku en japonais signifie « le bonheur par le hasard »… et c’est d’une grande poésie philosophique. Les craquelures que vous voyez sur la photo sont en effet le résultat d’une technique d’émaillage bien particulière. Après deux étapes de cuisson jusqu’à 1 000°, la pièce est sortie à température ambiante, subissant un choc thermique qui va craqueler l’émail de façon tout à fait aléatoire. Elle est ensuite placée dans un bac contenant des copeaux de bois : c’est la fumée ainsi dégagée qui va s’immiscer dans les craquelures pour les noircir. Chaque pièce est unique, plus ou moins craquelée comme ci ou comme ça.

Cet objet magnifique nous rappelle donc, à nous pauvres mortels, que le bonheur est fuyant par essence, fugace par nature et hasardeux comme il se doit. Il nous échappe quand nous voulons le domestiquer et l’enfermer dans une boîte. « Laissez le hasard vous l’apporter et, entre deux, pensez à autre chose » semble nous dire le raku. Acte III.

Merci Mademoiselle du Lycée. Merci Roger-Pol. Merci Catherine.

Rebonds heureux :

– « La philosophie ne fait pas le bonheur… et c’est tant mieux. » >> tout, vous saurez tout sur le site de Roger-Pol Droit

– La céramique raku et les créations de Catherine Le Baron >> suivez les chemins du gingko…