
Il y a des expressions qui sont de véritables pièges à poncifs, posés là par je ne sais quel inconscient collectif… « Refaire sa vie » en fait partie. Lorsque j’ai vu que le philosophe Charles Pépin en faisait le sujet d’un de ses lundis-philo au cinéma MK2 Hautefeuille à Paris, j’ai donc réservé un aller simple pour « Peut-on vraiment refaire sa vie ? ».
Véhément contre les vessies qu’on voudrait nous faire prendre pour des lanternes, Monsieur Pépin remet les pendules à l’heure. Franchement, n’en déplaise à ceux qui se raccrochent au cycle des réincarnations, la vie est précisément ce qu’on ne refait pas et c’est justement ce qui lui donne son prix… Alors, on refait quoi ?
Notre philo-consultant y voit d’abord une injonction très contemporaine amplifiée par la vague de la pensée positive : celle qui veut nous vendre de bonnes méthodes pour faire de notre vie un modèle de performance souriante. Nous aimons entendre parfois « Faisons aisément table rase du passé et oublions promptement nos échecs ». Deux trois exercices d’auto-persuasion par ici ? Une cure détox du cœur et des neurones par là et c’est reparti ? Fumisterie… Où avez-vous vu qu’on pouvait tourner la page d’une vie comme celle d’une encyclopédie ? D’après Charles Pépin, le bourrage de crâne façon « on peut se remettre de tout » peut même s’avérer toxique et produire l’effet inverse. C’est le même type d’injonction contemporaine qui nous enjoint à « faire le deuil » parce qu’il faut oublier, tout peut s’oublier… et après on est comme neuf, ma bonne dame. Hors, la lucidité et la conscience que certaines choses ne passeront pas donne au contraire le courage d’avancer si on sait les regarder en face. Quand nous sommes tentés de faire aussitôt « contrôle Z » après un échec, il faut d’abord se rappeler que c’est précisément cette tentation hâtive de « refaire sa vie » qui peut s’avérer toxique à long terme : c’est une idée qui fait du mal, car elle nous fait perdre une occasion de digérer ce qui s’est passé. On ne refait rien tout à fait… à part « refaire » les mêmes erreurs. L’échec a quelque chose à nous apprendre. Il a une vérité à délivrer et nous oblige à nous arrêter et à écouter. Il faut même « arrêter de vouloir », selon une expression de Charles Pépin qui m’a frappée. Repartir fièrement dans l’action en faisant table rase et en refoulant, c’est le meilleur moyen de préparer la répétition des erreurs passées. Car c’est quand nous voulons oublier obstinément que justement le souvenir prend le pouvoir sournoisement… Car, comme nous y incite Bergson ou Nietzsche, ce n’est qu’en accueillant entièrement ce que nous sommes et ce qui fonde notre héritage, que nous pouvons nous réinventer sans cesse.
Monsieur Pépin, vous avez été très convaincant et surtout parfaitement dérangeant, comme la philo se doit de l’être. Vous avez dû néanmoins décevoir certaines personnes « d’un certain âge », nombreuses dans la salle… Comme on ne peut pas vraiment refaire sa vie, il est donc urgent de suggérer à tous de s’intéresser à la philosophie bien avant 60 ans. Cela m’a aussi inspiré un nouveau thème pour vos causeries de l’année prochaine : « Peut-on vraiment bien vieillir ? »… Une vie, c’est long et court à la fois, et visiblement, ce n’est pas « extra ball, same player, shoot again »…
REBONDS
La page des lundis philo de Charles Pépin au MK2 Hautefeuille – Paris
BIBLIO DE CE LUNDI PHILO :
« Revivre » de Fréderic Worms (un autre « bergsonien ») – Flammarion
« Et tu n’es pas revenu » de Marceline Loridan-Ivens – Grasset La lettre bouleversante d’une fille survivante au père, qui n’est pas revenu des camps nazis… parce qu’il y a des choses avec lesquelles on doit vivre toute sa vie.
Excellent… Alors pour éviter de tilter commençons par arrêter de flipper !!!
Merci merci Monsieur Guiphone. Je vois en tout cas que ce sujet a fait tilt. J’aurais aussi pu filer la métaphore du jeu vidéo… qui aime multiplier les « vies ».