
Récemment, j’ai assisté à une conférence au collège de notre fils. Oui, c’est plus fort que moi, j’adore écouter des gens qui savent des trucs que j’ignore encore. Un éminent professeur en toxicologie nous a appris que le nombre de décès directement imputables au tabagisme (73 000 par an) représentait l’équivalent d’un krach de Boeing par jour. Voilà une image qui vous bouche illico les alvéoles pulmonaires. En même temps, je vous connais : avec votre soif du spectaculaire, si on vous annonçait tous les jours qu’un Boeing rempli de fumeurs s’est écrasé dans un cendrier, vous deviendriez complètement blasé et vous oseriez dire « Oh c’est bon maintenant, c’est encore pareil qu’hier ». Pourtant, niveau spectaculaire, un Boeing chaque jour, ça relativiserait presque les dommages collatéraux des pilotes de l’air dépressifs…
Donc, un petit matin frisquet, je croise un camion poubelle bien vert sur une artère parisienne, surveillé par des employés municipaux… en train de s’en griller une. Il porte cette affiche ci-dessus qui m’interpelle, avant même d’avoir siroté mon arabica Caméra Café à 25 centimes. Oui, parfois je m’étonne, car aussitôt, je me dis comme ça, sans caféine dans les veines : « Mais comment qu’ils ont fait les employés de la Propreté de Paris pour peser tous ces mégots ? » Ils ont un pèse-mégots dans la benne. Ou alors, ils ont encore inventé une appli pour ça…
Non même pas… l’émerveillement techno-utopique retombe. Mais malheureusement, je n’ai pas réussi à retrouver sur le site de la mairie de Paris les règles de ce calcul fumeux, fondé sur une estimation du pourcentage de fumeurs parmi les habitants de Paris, les touristes et les extra-terrestres. Car c’est bien gentil les mathématiques, mais que fait-on des gens qui fument chez eux et jettent les mégots dans la poubelle plutôt que par la fenêtre ? En même temps, une fois arrivés à 300 tonnes, on n’est pas à quelques tonnes près.
Me voilà surtout en train de me dire que les chiffres pèsent toujours leur poids dans notre cerveau impressionnable. Ils donnent un impact irremplaçable à toute argumentation, car nous ne pouvons pas passer notre vie à vérifier que tous les chiffres qu’on nous sert sont précisément vrais… alors il est plus simple d’y croire pour l’instant avant de les réfuter aux calendes grecques. Le chiffre porte a priori le sceau de la véracité, tout comme le cycliste la marque de bronzage sur le cuissard. Ici, pas de quoi fouetter un fumeur en place publique : à quelques tonnes près, le problème de fond reste de toute façon identique. Mais, en parallèle, combien de chiffres-clés maquillés, gonflés juste ce qu’il faut ou goupillés de travers exprès ? Dans un monde malade du chiffre, car le strict quantitatif emporte tout sur son passage, on a paradoxalement autre chose à faire que d’interroger tous les calculs de la Terre. C’est humain tout de même. Vous ne voudriez pas que l’on raisonne en permanence comme un algorithme ?
En tout cas, on apprend sur le site de la mairie du XIIè arrondissement que les clopes ne polluent pas que les poumons : « Les jets de mégots sur l’espace public constituent un problème majeur de propreté à Paris : les mégots ont un fort pouvoir de nuisance environnementale puisqu’ils mettent entre 4 et 12 ans pour disparaitre et dégagent des métaux lourds et des polluants comme la nicotine, le cadmium et le plomb, substances nuisibles à la flore et à la faune. Envahissant et salissant l’espace public, ils polluent les eaux usées lorsqu’ils sont jetés dans les caniveaux et atterrissent dans les égouts. Sur les grilles en pied d’arbre, ils sont aussi nocifs et réduisent la vie des arbres.»
Un fumeur prêt à risquer le cancer des poumons en toute désinvolture se préoccupera-t-il plus de la flore et de la faune ? Si vous avez un sondage, un chiffre, une estimation sur ce point précis, je suis sûr que nous serons tous ultra-impressionnés.
Tu ne serais pas en train de « mégoter » ? ; )