Un an, un mètre carré, une merveille… et une boucle des saisons bien bouclée. David G. Haskell est biologiste. C’est sûr : on aurait tous aimé l’avoir comme prof de biolo pour faire des balades en forêt qui se seraient transformées en leçons d’émerveillement. Avec son livre « Un an dans la vie d’une forêt », qui lui a valu le Prix de l’Académie des sciences des États-Unis, l’auteur nous livre le carnet de bord d’un fascinant voyage immobile : après avoir délimité un mètre carré au calme dans la forêt des Appalaches, il revient scruter chaque semaine l’évolution de ce microcosme, en s’interdisant toute intervention aussi inutile qu’intempestive. Il n’y a pas que de l’humus et des doryphores dans ce carré-là. On y rencontre surtout un concentré d’intelligence, à déguster au fil des saisons. Mettez vos bottes…
Son carré, David G. Haskell ne l’a pas rempli de poudres colorées comme un mandala, mais il y médite tout autant, comme penché au bord du monde. Cycles de la vie, cohabitation des espèces, réactions en chaîne : il commente pour nous cet écosystème fascinant qui nous échappe lorsqu’on passe à toute vitesse en VTT… Rien de scientiste dans les quarante-trois petits essais qu’il nous offre mais plutôt l’épopée respectueuse de « David au Pays des Merveilles ». On y apprend une myriade de choses sur la grouillante vie forestière mais pas que… L’ingéniosité de tout ce petit monde pour survivre encore et encore est une source d’anecdotes étonnantes et de réflexions philosophiques incarnées. Des histoires de tuyauterie qui déterminent la capacité des arbres à gérer la sève et donc à s’adapter aux rigueurs de l’hiver au « pourquoi » de la forme hexagonale des flocons de neige ; de la stratégie érotique des fleurs pour favoriser la fécondation à la diversité de forme des fruits ailés de l’érable, David G. Haskell sait faire partager sa jubilation savante devant autant d’ingéniosité.
Je ne sais pas encore si l’auteur m’a fait comprendre pourquoi la forêt m’a toujours autant attirée, comme un havre chargé en énergie, une source de vie irremplaçable. Il n’est pas rare par exemple qu’au cours d’une balade, j’enserre quelques instants un tronc d’arbre avec mes bras pour essayer de sentir l’énergie tranquille qui monte jusqu’au ciel. Je ne suis pas druide et je n’entends pas la sève circuler, mais je rends hommage au géant immobile qui se contente de prendre racine, puits de carbone digne et majestueux.
Avec « Un an dans la vie d’une forêt », on se fait également bien remettre à notre place : l’Homme, s’est cru au centre de la nature, prédateur surpuissant et plus malin que tout le monde, alors qu’il est simplement intégré à un grand tout aux équilibres subtils, tissé d’interdépendances. Holistique et d’une intelligence phénoménale, l’histoire que nous raconte David G. Haskell est une leçon d’humilité et de diversité.
Qui sait ? Un biologiste extra-terrestre est peut-être penché au bord de notre monde, dans une dimension qui nous le rend invisible. Qui sait ? De janvier à décembre, il scrute le comportement des Terriens pour essayer de comprendre ce qui les rend uniques… et s’interroge en même temps sur ce qui rend tout ça dangereusement fragile. Entre le carré de forêt de David et notre grosse boule de glaise, il n’y a peut-être qu’une question d’échelle…
« La nature ne fournit pas de boussole morale. L’extinction de masse est un autre de ses multiples parfums. Nous ne trouverons pas non plus de réponse dans notre obsession culturelle des think tanks, des rapports scientifiques ou des joutes juridiques. Selon moi, les réponses ou leurs commencements peuvent être trouvées dans nos petites fenêtres ouvertes sur le tout de la nature. C’est seulement en examinant la trame dont nous faisons partie et qui nous sustente que nous pouvons voir quelles sont notre place et nos responsabilités. Une expérience directe de la forêt nous donne l’humilité nécessaire pour replacer notre vie et nos désirs dans le contexte plus large qui inspire toutes les grandes traditions morales. » – p. 97 Collection poche Libres Champs – Flammarion – 9 euros
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REBONDS
Chronique du site de Philosophie Magazine
Chronique du blog « À sauts et à gambades »