Avec ce week-end de l’Ascension presque estival, on aurait pu avoir de nouveau l’illusion que le soleil brille pour tout le monde. Comme c’est trompeur. A l’heure où vous cherchez le fauteuil de jardin idéal pour vos pauses impromptues sous le figuier, la marque d’ameublement jaune et bleue est là pour vous le rappeler. Dans un élan ultralibéral à tendance darwinienne, IKEA vous le dit clairement : « y’en n’aura pas pour tout le monde alors, struggle for chair » !
Dans un contexte social un brin tendu, peut-être plus encore que le cannage de ce sacré fauteuil VIKTIGT, on peut y voir au choix : un encouragement à l’individualisme résigné ou un précepte de développement personnel pour aider ceux qui ne bronchent pas quand on leur passe devant chez le boucher. Quand j’ai vu cette première affiche de la série, je me suis dit que bien sûr, pour vendre une édition ultra limitée, il était aisé de jouer à fond la rareté : un boulevard conceptuel avec un clin d’œil entre la notion de « place » et le visuel du fauteuil… et hop on passe au brief suivant. Si on a fait la queue pour chaque nouvelle génération de smartphones de la marque à la pomme, c’est aussi grâce à cet art de la pénurie qui entretient le désir. Oui, je rappelle d’ailleurs aux non-latinistes que « désirer » vient du latin desiderare signifiant regretter l’absence de. Créer du manque perpétuel avec des objets que le voisin risque d’obtenir (et pas moi) est donc le moteur essentiel du marketing et de la consommation.
Mais attention, à peine une heure plus tard, je tombe sur une autre affiche IKEA, la sœur jumelle survoltée :Eh eh, il ne s’agit plus de tenir sa place, mais bien de mettre les doigts du voisin dans le 220 V. Chouette ambiance dans les rayons du magasin IKEA… Le monde décidément se partage en deux camps. D’un côté, les libertariens convaincus qu’il vaut mieux laisser les individus se disputer ce qu’il reste pour créer une saine émulation : il paraît que c’est le vrai moteur du progrès qui surpasse de loin les méfaits de l’intérêt général et de la solidarité dispendieuse. De l’autre, ceux qui commencent à douter de l’issue d’une crise sans fin entretenant habilement la compétition entre citoyens, à douter du retour de la croissance qui se fait désirer comme Godot, et à douter aussi de l’intérêt du « toujours plus » au détriment du « moins mais mieux »…
Promettez-moi d’y penser lorsque vous vous jetterez sur le dernier VIKTIGT du rayon après avoir plaqué au sol le consommateur aux dents longues qui tentait de vous court-circuiter. À cet instant bien sûr, vous n’aurez pas du tout en tête cette phrase du philosophe Ollivier Pourriol : « Quelle que soit l’époque, une société dont le ressort est l’émulation est une société d’esclaves. » (CinéPhilo – p. 258)
Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour garder votre place au soleil ? Allez-vous reprendre la place de citoyen que certains souhaitent vous voir abandonner pour occuper uniquement celle de consommateur insatiable ?
REBOND : « Le monde est clos et le désir infini » de Daniel Cohen, économiste
> Replay à voir : 27 mn avec l’auteur et R. Enthoven (Arte Philosophie)
Sachant que l’ultra limité à l’échelle planétaire d’Ikéa doit probablement se résumer à plusieurs centaine de millier d’exemplaires. La vrai rareté c’est de ne pas avoir d’Ikéa chez soi.
Certes, certes… comme l’abondance, la rareté doit être relative 😉
Concept de communication libéral. Et, à ce prix là, mode de production qui ne l’est sûrement pas moins. Tout se rejoint finalement.
Libéral ou pas, le nouveau challenge du consomm’acteur, c’est effectivement de savoir comment se décompose le prix de ce qu’il achète.