NWX Summer Festival 2016 : un web d’avance ?

NWXSF16 Rouen digitalUn ancien entrepôt à Rouen, transformé en salle de concerts dédiée aux musiques actuelles : voilà l’endroit post-industriel idéal pour interroger la digitalisation du monde pendant 4 jours de conférences, d’ateliers, de hackathon… et de DJ sets. Comme le 106 (oui, c’est le nom du lieu) est en bord de Seine, les parisiens pourraient même venir en péniche ou en hors-bord. Le Summer Festival des NWX (pour Normandie Web Xperts) , c’est un peu le mojito des neurones avant la trêve estivale : 1/3 convivialité de l’organisation, 1/3 fraîcheur des idées, 1/3 acidité pour dézinguer les poncifs. Une façon de ne pas se prendre au sérieux quand on a les doigts dans la fibre. Imaginez qu’on soit en train de vivre une époque de basculement comparable à la Renaissance, où le numérique fait bouger les lignes en créant autant de tensions que d’émerveillement, il ne faudrait pas passer à côté en restant techno-naïf tendance œillère 2.0. Donc, en fait, comme me le rappelait son président Thierry Samper, l’idée du NWX Summer Festival, c’est de faire « un pas de côté » avec des chercheurs, des entrepreneurs, des philosophes, des entrepreneurs, des sociologues etc. pour bousculer les certitudes et interroger les consciences.Thierry Samper NWXSF16

Pour la deuxième année consécutive, je voulais en être… et je n’ai pas été déçue de la journée que j’ai pu voler au flux professionnel. Impossible ici de transmettre la substantifique moelle des 11 interventions de la journée. Voilà ce qui a le plus retenu mon e-attention personnelle…

Joël de Rosnay et l’hyperhumanisme

Pour notre visionnaire national, les transhumanistes sont de dangereux bidouilleurs qui basent leur nouvelle religion sur l’égoïsme, l’élitisme et l’absolu narcissisme :

Joël de Rosnay NWXSF16Oui, les algorithmes combinés aux bio-technologies vont révolutionner l’humain et l’intelligence artificielle… mais c’est à nous de ne pas en faire une sorte de « Meilleur des Mondes » (Aldous Huxley). C’est à nous de saisir une nouvelle opportunité pour nous libérer ensemble des contraintes laborieuses et retrouver du temps pour les relations humaines, la créativité, l’art, l’amélioration de notre écosystème au sens large… C’est ce qu’il appelle l’hyperhumanisme.

>Un article de Joël de Rosnay sur l’hyperhumanisme

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Ronan Le Queré et l’homme qui valait 3 milliards

Un petit tour du côté des mains articulées « Luke Arms », des organes imprimés en 3D, des implants rétiniens ou cochléaires, des exosquelettes, des casques de stimulation électrique transcraniens etc. Réparation médicale ou « augmentation » de sujets sains : le plus bluffant, c’est que c’est déjà le présent. Un exposé marathon qui ne nous a pas donné le temps de questionner les enjeux énormes autour des données personnelles liées à la santé…

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Pascal Desfarges et la smartcity transhumaine

Pascal Desfarges NWXSF16Intervention enthousiasmante autour de questions urbanistiques centrales : que vont devenir des distinctions aussi fondatrices que nature/culture ou urbain/rural dans un environnement où les technologies fusionnent ? Qu’est-ce qui relèvera de l’humain ou de l’artificiel dans un univers où vont se multiplier les capacités physiques augmentées, les interfaces entre notre cerveau et le cloud (oui c’est bien déjà cela un smartphone finalement) ? Qui contrôlera vraiment le machine learning des algorithmes qui géreront automatiquement certains services urbains grâce au datas ? Comment vont évoluer nos territoires si la ville se végétalise et s’« agronomise » (potagers sur les toits d’immeuble), si même le rural devient high-tech (les arbres bioluminescents…) ?

Au MIT, l’auto-construction de la ville est en marche, grâce aux drones constructeurs et à l’auto-assemblement de la matière imaginé notamment par Skylar Tibbits.

Le changement de civilisation est là et bouleverse les rapports qu’on croyait bien établis entre espace, temps et corps : pour l’appréhender, il faut faire dialoguer tous les domaines de prospective dans une véritable transdisciplinarité. Abattons les cloisons, y’a tout à voir.

>à suivre sur Twitter : l’agence Retiss

Hervé Le Crosnier et la culture dite « numérique »

Petit plongeon avec brassards dans les eaux contrastées de la pop culture numérique, devenue art du spectacle permanent. Vue de l’entreprise, la culture numérique est surtout un outil marketing. Vue par les hackers, c’est un mode d’émancipation. On est tellement plongé dedans que la compréhension des relations de pouvoir devient cruciale pour les citoyens que nous sommes. Hervé Le Crosnier, enseignant chercheur sur les technologies de l’internet de l’Université de Caen, nous a rappelé quelques mythes ambivalents et récurrents de la digitalisation de nos vies : l’automatisation croissante qui mêle confort… et perte de contrôle, une communication plus horizontale, mais qui a encore besoin de relais médiatiques puissants pour transformer la société, l’« accélérationnisme » qui pousse à lancer des innovations non-testées aux effets secondaires éthiques ou environnementaux impensés, la mondialisation, vecteur d’ouverture, mais aussi de concentration des pouvoirs et de précarité, la fameuse transparence qui concerne plus la vie privée des citoyens que les engrenages du vrai pouvoir etc. Il a conclu son exposé par une citation de l’anthropologue Marcel Mauss, à inscrire au fronton des débats sur l’économie collaborative : « Le don de l’un de doit pas devenir le capital de l’autre. »

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>ses conférences en ligne sur CanalU

Jean-Yves Leloup et l’oreille numérique

Branchez les platines et les écouteurs : si vous voulez comprendre le monde qui vient, il suffit d’écouter de l’electro, née dans les années 90. Genre musical plébiscité aujourd’hui, l’electro condense les grands tendances de la révolution des usages : développement du remix, du featuring, du sampling et de la citation, numérisation, nouvel espace scénique, dissolution de la figure de l’artiste… Rendez-vous est donné à la Fondation EDF pour parcourir l’exposition immersive et interactive « Electrosound, du lab au dancefloor » co-conçue par Jean-Yves Leloup et NoDesign.

Raphaël Enthoven et le tout-à-l’ego du Net

Raphaël Enthoven NWXSF16Pas de PowerPoint pour le philosophe qu’on ne présente plus, mais une force de réflexion qui ne se dément pas pour l’empêcheur de penser en rond. En compagnie de Nietzsche, il était là pour mettre le doigt sur l’égotisme et l’entre-soi entretenu par Internet. Pour lui, ce que l’on cherche en premier sur la toile c’est l’assentiment, l’accord, le communautaire… au détriment de la confrontation d’idées dans le débat et la recherche de l’altérité vraie. Il rejoint en cela la critique par Nietzsche de l’idée de connaissance, qui ne serait pas mue par la merveilleuse curiosité mais plutôt par la… peur primordiale de l’inconnu. Donc, qu’on se le dise, pour Raphaël Enthoven«Internet se greffe sur le régime de l’opinion et nous recentre sur nous-mêmes.(…) Internet sublime avant tout la tendance à compter les crachats et les caresses.  ». Notre orateur a d’ailleurs le mérite de s’y confronter constamment en allant jusqu’à retweeter élégamment… ses détracteurs. Pour que l’intelligence collective se déploie malgré cet instinct grégaire, il faut combattre cette partie de soi la plus commune et la plus banale, pour penser contre soi-même, se faire des objections et s’entendre dire « j’ai changé d’avis ». Tout un programme qui pourrait relancer les débats démocratiques ?

Une fois de plus, le philosophe qui officie sur Arte et Europe 1 prouve qu’il n’est jamais aussi nécessaire que lorsqu’il nous pousse dans nos retranchements…

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>podcasts sur Europe 1

>site Arte Philosophie

La mort dans l’âme, j’ai raté le lendemain « Contre la disruption », «Mon job de Chief Happiness Officer », « Faut-il céder aux caprices de la génération Y ? », « Nouvelles formes d’organisation de l’entreprise à l’heure du numérique », « L’échec, nouvelle valeur de l’entrepreneur » etc.

Oui, pas de doute, je n’échappe pas à un fléau de notre époque : face à l’offre pléthorique de bonnes choses pour notre cerveau, le syndrome du « Fear Of Missing Out » est bel et bien devenu, à cause des nouvelles technologies, un gros problème psychologique dans nos petites vies remplies par des journées de 24 heures seulement… Docteur, déconnectez-moi.

REBONDS :

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>le site du NWX Summer Festival 2016

2 réflexions sur “NWX Summer Festival 2016 : un web d’avance ?

  1. Juste passionnant, merci ! D’une certaine manière, je vis cette confrontation culturelle permanente avec mes digital natives de fils. Un sacré stimulant, de sacrés débats internes. Qui m’évitent fort probablement les toiles d’araignées dans mes habitudes comme sous la boîte crânienne. Merci pour cette belle et dense restitution. Bel été !

    1. Merci Stéphane pour ce retour 😉 Ta référence aux fameux « digital natives » me permet de souligner que plus je m’intéresse à tous ces sujets, plus il me parait évident que ce n’est plus une affaire générationnelle ou d’effet de mode (ou que sais-je qui pourrait être envisagé avec décontraction), c’est un bouleversement qui touche tous les citoyens de 0 à 120 ans au-delà de ce que leurs usages de consommateurs laissent entrevoir. Il se joue là des choix de société et des « bifurcations de civilisation » qui passent d’autant plus inaperçus dans le brouhaha du grand divertissement et le prisme partial de l’économisme. A tout bientôt.

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