J’accuse… un retard.

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CC Pexels

Les idées de billets tombent du ciel… ou parfois du train. J’ai eu l’idée de celui-ci en croisant, sur un écran de ma gare préférée, cette sobre annonce : « En raison d’un problème de signalisation, le train 3101 accuse un retard. » Restons calmes : à ma connaissance, aucun train ne se prend pour Émile Zola, défendant le capitaine Dreyfus. Explorons donc fissa les entrailles de cette étrange expression qui ne manque pas d’air…

retardQue nous dit l’habile expression « accuser un retard » ? Contrairement à Émile Zola, le train en retard ne fera la une des journaux que si ce retard est devenu rocambolesque, à cause des heures à rallonge que les passagers ont passé à bord du train à l’arrêt et au bord de la crise de nerfs… ou à cause de l’originalité de la cause : une soucoupe volante échouée sur les voies, avec un martien à bord en état de mort certaine (donc pompiers, Mulder, le procureur de la République, tout le tremblement et… on va encore rater Pujadas ce soir !). Non, paradoxalement, le train qui accuse un retard, rêve plutôt de passer inaperçu dans les statistiques de ponctualité de la SNCF. Là, où la chose est remarquable, c’est qu’on ne dira jamais qu’on « accuse une chute de vélo » ou qu’on « accuse un ratage de mayonnaise ». On n’accuse que les retards. Je vois déjà des gens biens au fond de la salle, toujours prêts à défendre le migrant et l’orphelin, qui vont crier à la stigmatisation du retard. Ils ont raison. L’accusation est la malédiction du retard. Pourquoi tant de haine ? Les anthropologues sont très partagés sur la question, dès qu’il s’agit de fixer l’horloge. Néanmoins, on peut tenter une synthèse. Tous les retardataires du monde se trouvent des excuses : certains esprits contrariés disent même que, plus c’est gros, plus ça passe. Ceux-là aussi ont raison. Pour le retardataire professionnel, l’expression « accuser un retard » est une aubaine. Il se dit qu’en accusant, il sera plus facilement la victime. Il se dit que s’il accuse, c’est qu’il n’est pas vraiment responsable… et que vraiment, c’est indépendant de sa volonté. Drapé dans une innocence feinte, il peut pointer du doigt l’adversité, les circonstances, l’imprévu indispensable à la saine sensation de vivre plus fort. On comprend donc aisément qu’une telle expression pour le moins étrange ait perduré : elle est fort utile pour embrouiller ceux prêts à vous tancer vertement à cause d’un relâchement horaire. C’est la seule hypocrite raison de sa survie à l’ère contemporaine, car les prisons sont pleines et on sait très bien que le retard accusé ne sera jamais écroué. Quel laxisme judiciaire…

Donc, si j’ai un conseil à donner aux trainards de tous poils : ne dites plus « je serai en retard », contentez-vous de l’accuser… car décidément, la meilleure défense, c’est l’attaque.

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7 réflexions sur “J’accuse… un retard.

  1. Accuser un petit retard sans défense, c’est aussi faire montre de témérité face au train du temps qui passe (si vite). Excellent billet, que je ‘valide’ sans hésiter !

    1. Merci Emmanuel! C’est vrai que prévoir un rendez-vous pile poil à la descente du train sans avoir prévu de retard éventuel, c’est comme vivre au-dessus de ses moyens, question train de vie 😏

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