Carrément troublant, jamais innocent

36 carrés bleus sur fond de blog

En cette rentrée, je n’ai pas décidé de vous faire une petite rédaction sur mes jolies vacances. Non, car franchement quel intérêt ? Je vais plutôt vous parler d’un tic de langage qui m’a interpelée, comme on dit : le « carrément » à tout bout de champ. Je sais, c’est carrément ambitieux. Et Dupont aurait répondu : « Je dirais même plus : carrément. »

Un tic vaut mieux qu’un toc

Comme vous le savez… ou pas, les tics de langage et les expressions toutes faites qui se répandent comme des virus dans les conversations, peuvent donner lieu à des interprétations sociologiques et sémantiques plus ou moins pertinentes. Parmi ces nombreuses expressions qui saupoudrent les dialogues, on peut citer les « Je dis ça, j’dis rien », «en fait »,  « genre », « du coup », « y’a pas de souci », « tout à fait », « j’ai envie de dire », « effectivement »… On les remarque beaucoup plus facilement chez les autres que chez soi. Cela doit encore être une histoire de paille et de poutre.

L’un de ces tics a retenu mon attention cet été (mais pourquoi cet été ???) : c’est l’adverbe « carrément ». On ne le trouve pas dans la bouche de géomètres, de physiciens ou de fabricants de carrelage. Il est assez répandu dans une tranche d’âge allant de 12 à 26 ans (à la louche, n’est-ce pas), une période largement plus longue que celle des poux. « Carrément » sert à souligner son approbation, à ânonner qu’on « en est », qu’on est sur la même longueur d’ondes. Cet adverbe est donc porteur d’un sens qui remplit à merveille une des fonctions des tics de langage : favoriser la reconnaissance dans sa tribu, jouer l’inclusion et l’agrégation par le langage, pour mieux exclure inconsciemment ceux qui n’en font pas partie (de par leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leur socio-style…).

Carrément bien plus qu’une expression

Une fois le sens de cet adverbe clarifié (sans dictionnaire et sans mon aide, avouez que vous étiez bien embêtés… ahaha), il nous reste à nous interroger sur la starification de celui-ci en particulier, au détriment de synonymes comme « résolument », « complètement » ou « absolument ». Pourquoi la jeune cohorte de nos semblables a privilégié « carrément » sans même se concerter ?

Parmi les hypothèses tout à fait loufoques que seule une belle insomnie peut générer une nuit d’orage, nous en retiendrons une. Oui, il faut parfois assumer d’être sélectif.
Alors, voilà… Face à l’automatisation prochaine de nombreux métiers qui complique l’orientation professionnelle, face au péril environnemental qui a pris une place grandissante dans la couverture médiatique, face à des incertitudes politiques qui électrisent un poil l’ambiance, face à l’assouplissement des repères éducatifs familiaux qui ont du mal à contenir l’usage des réseaux sociaux et des jeux en réseau après 23 h…, le jeune se trouve plus ou moins livré à l’incertitude éthique, au flou politique et à l’angoisse de l’avenir. Ses grands-parents ont vécu une grande partie de leur vie active dans un monde d’euphorie consumériste sans états d’âme, avec la croissance et le progrès infinis comme horizons. Ses parents ont bénéficié de la libération post-soixante-huitarde tout en se coltinant les effets multiples d’une crise qui dure depuis les années 90. Et lui ? Notre jeune se retrouve balloté dans un monde qui bascule, peut-être au cœur d’une nouvelle Renaissance qui s’ignore, avec tout ce que cela comprend de violences et de remises en question. Enfant roi qui cherche des repères dans un monde qui ne veut pas lui donner pour ne pas perturber la puissance de son libre choix épanouissant, le jeune adore dire « carrément ». C’est carré, c’est clair, ça a quatre côtés de longueur égale et des angles droits. C’est rassurant, précis, sans discussion. Cela ajoute de la certitude dans un monde relativiste où les opinions se valent. Bref, c’est comme une bitte d’amarrage dans un monde liquide où tout change très très vite.

Si cela peut aider le jeune à être carrément plus serein, je pense qu’il faut éviter d’en dévoiler le ressort. Cela risquerait d’annihiler l’effet rassurant de cet adverbe. Là, normalement, vous pourriez m’aider à terminer ce billet en disant : « Carrément d’accord. » Après, c’est vous qui voyez…

REBOND

Tous ces tics de langage qui nous agacent… dans l’émission GRAND BIEN VOUS FASSE sur France Inter

 

 

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2 réflexions sur “Carrément troublant, jamais innocent

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