Prêter attention, ça donne à réfléchir

Une photo du Penseur de Rodin pour nous rappeler que nous sommes pétris de ce à quoi nous pensons, ce à quoi nous prêtons attention

Oyez oyez brillantes lectrices et valeureux lecteurs ! Je réclame toute votre attention sur cette étrange formulation : « prêter attention ». Quelque chose me chagrine décidément dans cette expression. C’est quoi cette histoire de prêt ?

L’expression qui prête à confusion

Quand vous prêtez cinq minutes d’attention, peut-on vous les rendre ? A priori non puisque toute minute passée ne reviendra jamais. Le temps qui est donné est donné. Espérer le récupérer, c’est se voiler la face. Donc, ce qui est étrange, nous sommes bien d’accord, c’est que, quand je prête attention à quelque chose, je ferais mieux de dire que je «donne attention » à ce quelque chose. Alors pourquoi le verbe prêter s’est-il ancré dans les usages ? C’est peut-être une histoire de vieux radins. Peut-être que si nous devions donner de l’attention, on y regarderait à deux fois, en vérifiant sur notre appli de la Banque de l’Attention qu’on n’est pas déjà à découvert. Peut-être que, dans ce cas, on aurait inventé la « demi-attention » qui coûte moins cher. Ah, on me souffle dans l’oreillette que beaucoup de gens sont déjà à moitié attentifs. Il nous arrive par exemple d’écouter à moitié nos proches tout en suivant le fil de notre réseau social préféré. Il paraît même que des couples se séparent parce que le manque d’attention(s) est un vrai tue-l’amour.

L’or cérébral ou le temps d’attention disponible

Faut-il rappeler combien notre attention est précieuse ? Faire attention en traversant la rue, on voit bien à quel point c’est vital, mais ce à quoi on fait attention du soir au matin, c’est ce qui construit notre mental sur le long terme. Oui, c’est ce qui remplit nos têtes, oriente nos choix, irrigue nos plannings comme nos grands projets de vie. D’un point de vue marketing, notre attention est même au cœur du business des médias et des réseaux sociaux. On appelle cela l’économie de l’attention. Regarder une vingt-septième vidéo, distribuer des likes sur le fil Instagram des copines, ne plus savoir attendre le bus sans sortir son smartphone, décompresser en gobant d’affilée trois épisodes d’une nouvelle série Netflix… C’est à qui saura de mieux en mieux capturer notre fugace attention.

TikTok ou la guerre de la concentration

Apparemment, la palme revient désormais à l’application TikTok qui préoccupe les psychologues et les neuroscientifiques à cause de son impact encore plus addictif que celui des autres réseaux sociaux. L’enchaînement de micro-contenus avec un algorithme de recommandation redoutable fonctionne comme une machine à sous. Lobotomie annoncée avec une drogue en vente libre ? Sur des cerveaux qui ne seront matures qu’à 25 ans, le risque est en tout cas encore plus grand de nuire définitivement à leurs capacités de concentration et de motivation. Et ce n’est pas un vieux croûton qui l’analyse le mieux, mais le youtubeur Léo Duff dans cette vidéo. Alors que la version chinoise de TikTok (très différente de l’internationale) est surtout remplie de propagande du parti et de contenus éducatifs, on peut imaginer que le régime totalitaire chinois se réjouit discrètement d’hypnotiser toute une génération d’Occidentaux rendus intellectuellement inoffensifs.

Sans y prêter attention, nous voilà tous embarqués dans une guerre cognitive de l’attention (et de la désinformation par la même occasion). Alors, si nous voulons absolument « prêter » attention, assurons-nous de « toucher des intérêts » et ce n’est possible que si le sujet est… intéressant. Si on « donne » notre attention sans rien recevoir d’enrichissant, on ne nous rendra jamais les minutes d’attention gaspillées. 

Photo de Valentin B. Kremer sur Unsplash

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