Alors, ça va de l’avant aujourd’hui ?

Il faut savoir continuellement s’étonner. Il paraît que cela maintient aussi jeune que les antioxydants et l’acide hyaluronique. Devant cette affiche de recrutement pour l’Armée de Terre, je n’ai nullement remis en cause la bravoure et l’abnégation de ceux qui sont prêts à mettre leur vie en danger pendant que nous sommes vautrés devant une VOD. Non, ce qui m’est venu, c’est plutôt « Tiens, c’est curieux : on dit à tout bout de champ aller de l’avant et on n’entend jamais aller de l’arrière. » Et là, nom d’un abribus, c’était parti. Déjà, c’est bien gentil de nous dire d’aller de l’avant, mais franchement, le temps passant inexorablement, on y va de toute façon vers l’avant, juchés sur notre flèche chronologique inarrêtable.

Sous le pléonasme, l’injonction

Notre langage courant est truffé de pléonasmes auxquels on ne prête même plus attention. Suivez mon regard vers les faux prétextes, les bips sonores, les monopoles exclusifs et les autorisations préalables. Si on est d’humeur bienveillante, on peut dire que c’est juste pour bien insister, surligner et en remettre une couche. D’accord, soyons magnanime. Mais « aller de l’avant » ne passe pas vraiment pour un pléonasme, car il recèle sans doute autre chose.

Cela fait des décennies qu’on ne peut plus se contenter d’aller tout court. Cela pourrait revenir à faire du sur place et c’est tout simplement inacceptable dans un monde où la nouveauté permanente et la croissance ininterrompue font tenir la machine. Grand mot d’ordre des séminaires de team building, l’injonction est devenue aussi permanente que subliminale. La pensée positive à toutes les sauces tient là aussi sa plus belle carotte, tendue aux ânes que nous sommes pour nous faire avancer de toute façon. Progressons droit devant et faisons toujours plus et mieux, car sans cela, il n’est point de bonheur conforme. Il faut donc aller de l’avant bien évidemment, ne pas trop regarder en arrière et ne pas trop réfléchir sur place.

Tourne 7 fois la boussole sur ta route

Attention, je ne dis pas qu’il faut aller de l’arrière pour se sentir mieux. Quelle drôle d’idée. J’aime en revanche la distinction qu’il faut faire entre l’innovation et le progrès. La première est immédiatement constatable puisque la nouveauté est instantanément manifeste ou pas. Le deuxième demandera en revanche du recul pour pouvoir juger dans un second temps du progrès effectivement réalisé. Donc, sur « aller de l’avant », je me dis juste que cette expression survalorisée cache peut-être notre tendance à confondre les deux. Parfois, on a l’impression de progresser alors qu’on fait juste du moonwalk, qui d’ailleurs n’a pas été inventé par qui vous savez. Et si la prochaine fois qu’on nous dit d’aller de l’avant, on soulignait d’abord que cela tombe sous le sens parce que le temps ne nous laisse pas le choix ? Et si on prenait ensuite le temps de déplier notre carte, au sens figuré, en ajoutant, « Ok, mais on va où finalement ? »