Prêter attention, ça donne à réfléchir

Une photo du Penseur de Rodin pour nous rappeler que nous sommes pétris de ce à quoi nous pensons, ce à quoi nous prêtons attention

Oyez oyez brillantes lectrices et valeureux lecteurs ! Je réclame toute votre attention sur cette étrange formulation : « prêter attention ». Quelque chose me chagrine décidément dans cette expression. C’est quoi cette histoire de prêt ?

L’expression qui prête à confusion

Quand vous prêtez cinq minutes d’attention, peut-on vous les rendre ? A priori non puisque toute minute passée ne reviendra jamais. Le temps qui est donné est donné. Espérer le récupérer, c’est se voiler la face. Donc, ce qui est étrange, nous sommes bien d’accord, c’est que, quand je prête attention à quelque chose, je ferais mieux de dire que je «donne attention » à ce quelque chose. Alors pourquoi le verbe prêter s’est-il ancré dans les usages ? C’est peut-être une histoire de vieux radins. Peut-être que si nous devions donner de l’attention, on y regarderait à deux fois, en vérifiant sur notre appli de la Banque de l’Attention qu’on n’est pas déjà à découvert. Peut-être que, dans ce cas, on aurait inventé la « demi-attention » qui coûte moins cher. Ah, on me souffle dans l’oreillette que beaucoup de gens sont déjà à moitié attentifs. Il nous arrive par exemple d’écouter à moitié nos proches tout en suivant le fil de notre réseau social préféré. Il paraît même que des couples se séparent parce que le manque d’attention(s) est un vrai tue-l’amour.

L’or cérébral ou le temps d’attention disponible

Faut-il rappeler combien notre attention est précieuse ? Faire attention en traversant la rue, on voit bien à quel point c’est vital, mais ce à quoi on fait attention du soir au matin, c’est ce qui construit notre mental sur le long terme. Oui, c’est ce qui remplit nos têtes, oriente nos choix, irrigue nos plannings comme nos grands projets de vie. D’un point de vue marketing, notre attention est même au cœur du business des médias et des réseaux sociaux. On appelle cela l’économie de l’attention. Regarder une vingt-septième vidéo, distribuer des likes sur le fil Instagram des copines, ne plus savoir attendre le bus sans sortir son smartphone, décompresser en gobant d’affilée trois épisodes d’une nouvelle série Netflix… C’est à qui saura de mieux en mieux capturer notre fugace attention.

TikTok ou la guerre de la concentration

Apparemment, la palme revient désormais à l’application TikTok qui préoccupe les psychologues et les neuroscientifiques à cause de son impact encore plus addictif que celui des autres réseaux sociaux. L’enchaînement de micro-contenus avec un algorithme de recommandation redoutable fonctionne comme une machine à sous. Lobotomie annoncée avec une drogue en vente libre ? Sur des cerveaux qui ne seront matures qu’à 25 ans, le risque est en tout cas encore plus grand de nuire définitivement à leurs capacités de concentration et de motivation. Et ce n’est pas un vieux croûton qui l’analyse le mieux, mais le youtubeur Léo Duff dans cette vidéo. Alors que la version chinoise de TikTok (très différente de l’internationale) est surtout remplie de propagande du parti et de contenus éducatifs, on peut imaginer que le régime totalitaire chinois se réjouit discrètement d’hypnotiser toute une génération d’Occidentaux rendus intellectuellement inoffensifs.

Sans y prêter attention, nous voilà tous embarqués dans une guerre cognitive de l’attention (et de la désinformation par la même occasion). Alors, si nous voulons absolument « prêter » attention, assurons-nous de « toucher des intérêts » et ce n’est possible que si le sujet est… intéressant. Si on « donne » notre attention sans rien recevoir d’enrichissant, on ne nous rendra jamais les minutes d’attention gaspillées. 

Photo de Valentin B. Kremer sur Unsplash

Quand la parole détruit

Voici une chronique/critique du livre de Monique Atlan, journaliste, et Roger-Pol Droit philosophe, paru aux Éditions de l'Observatoire : Quand la parole détruit.

Blablabla, Retweet et Fermela Jairaison sont sur un sacré paquebot à l’heure où je vous parle. Trois figures mythiques qui se prennent le bec en permanence sans s’apercevoir qu’ils foncent sur un iceberg qui fera sombrer le débat démocratique ?

Le brouhaha prend le pas sur le débat

Avons-nous bien mesuré les bouleversements qui touchent la parole depuis une quinzaine d’années ? Pas la parole qui se donne en tant que promesse, mais la parole qui nous inonde et fait boule de neige sur les réseaux sociaux, les chaînes d’information et les sites internet. On salue une ouverture mondialisée de la parole qui peut informer, souder des communautés, libérer des expressions auparavant inaudibles. On subit aussi une inflation de prises de parole qui condamnent en 30 secondes, qui s’indignent sans creuser, qui relaient des fausses informations pour se croire au-dessus du lot, qui harcèlent anonymement ou appellent à la haine sans limite.

Tu es responsable de ta langue et de ton clavier

Dans leur nouveau livre Quand la parole détruit (Éditions de l’Observatoire), Monique Atlan et Roger-Pol Droit font le point et lancent l’alerte. Après une analyse historique et philosophique de l’usage de la parole qui est le propre de l’humain, ils dissèquent les effets pervers d’une chambre d’écho sans précédent. Si la parole peut être aussi salvatrice que toxique, la caisse de résonance des réseaux pose de plus en plus la question éthique de la responsabilité de l’émetteur. L’impunité de l’anonymat est-elle encore tenable à l’heure des fake news qui fusent ? Le langage « naturel » accordé aux intelligences artificielles nous fera-t-il basculer dans une servitude insidieuse et à peine entrevue ? Comment tenter de reprendre en main l’usage de la parole, le seul super-pouvoir de l’humanité, largement sous-estimé ? Dans Quand la parole détruit, Monique Atlan et Roger-Pol Droit lancent des pistes de réflexion avec un plaidoyer salutaire pour un nouveau « parler humain » qui mesure vraiment le poids des mots. Il est notamment essentiel de remettre en avant la responsabilité individuelle de nos prises de parole, après des décennies de doctrines qui tendent à la relativiser en convoquant les déterminismes sociaux ou psychologiques. Face à l’instantané accéléré, il parait aussi urgent de « tourner sept fois ses doigts au-dessus du clavier », de sortir de notre cocon numérique pour bien se rappeler que cette parole publique est toujours envers, par et pour les autres.

Langage naturel ou parole artificielle ?

À l’heure où je vous parle, un robot conversationnel nommé ChatGPT alimente les débats, en opposant les technobéats sérieusement bluffés et les horrifiés qui voient se concrétiser un peu plus les dérives annoncées. Ce nouvel outil pourrait inonder l’espace public de textes générés automatiquement dans une boîte noire dont on connaît mal les sources. Est-ce une pièce de plus dans le juke-box du chaos ou la goutte d’eau qui remettra à la une la question de la responsabilité de la parole ? Tout comme moi, vous donnez peut-être votre langue au chat.

Alors, avant de vous quitter, j’aimerais laisser la parole aux auteurs :

« Parler l’humain, c’est avant tout avoir le sentiment que les paroles importent, les nôtres comme celles des autres, qu’elles ont toutes un poids et des effets. Quiconque garde cette évidence à l’esprit ne parle plus de la même manière (…) En se souvenant que chaque parole change le monde, même de manière infime, chaque parleur agit autrement. »

REBONDS

👉 Toutes les infos sur le livre sont à retrouver sur le site de Roger-Pol Droit

Et la forêt brûlera sous nos pas

Une chronique du livre de Jens Liljestrand "Et la forêt brûlera sous nos pas", déjà traduit dans 22 pays. Dans un avenir proche, la Suède fait face à des mégafeux sans précédent. Jens Liljestrand plonge ses 4 personnages dans le chaos. Prophétique ?
Paru le 24 août en France aux Editions Autrement. Brûlant.

Est-il fréquent que la sortie d’un roman entre particulièrement en résonance avec une actualité brûlante ? Je n’ai pas trouvé d’études sur le sujet, mais c’est le cas du livre qui donne son titre à ce billet de blog.

Son auteur suédois, Jens Liljestrand, n’est pas pompier, mais plutôt critique littéraire, rédacteur en chef culture et auteur réputé de livres documentaires. Déjà traduit dans 22 pays, Et la forêt brûlera sous nos pas (Éditions Autrement) a débarqué dans nos librairies le 24 août… Avec les incendies de forêt qui ont ravagé l’Europe cet été, on pouvait donc difficilement imaginer un contexte plus « propice » à son lancement.

Mégafeux et méga humains en fait…

Jens Liljestrand place ses personnages dans un avenir proche où le réchauffement climatique a déjà transformé les étés en étouffoirs, même en Scandinavie. Une dystopie climatique qui a un goût amer de prévision météo. Face aux gigantesques feux qui se déclarent au début du livre et qui transforment une partie de la Suède en véritable zone de guerre, comment réagir ? Chacune des quatre parties du livre nous entraîne dans la tête d’un des personnages. Loin d’être héroïques, ils sont emmêlés dans leurs préoccupations sexo-sentimentales, leur e-réputation dérisoire, leurs bassesses ordinaires et une angoisse totalement imprévue à leur planning. Ils se démènent comme ils peuvent avec un système de secours qui rame et un chaos auquel ils n’ont jamais été confrontés.

N’attendez donc pas une grande épopée climatique qui se termine bien et qui révèle le meilleur de personnages auxquels vous aurez longtemps envie de vous identifier. Pour mieux partager leur désarroi, Jens Liljestrand nous embarque plutôt dans le fatras des détails qui font paniquer ses personnages. Un style chaotique comme leur situation qui, je l’avoue, chahute la lecture.

Une fois à leur place, que ferions-nous ? Que resterait-il de nos beaux principes théoriques et de nos résolutions bien-pensantes ? Il y a sûrement une dose lucide de misanthropie chez l’auteur. Elle le pousse à ne pas idéaliser ce qu’il advient parfois de nous face à l’adversité.

À 80°C, on appelle Philip K.Dick

Mais on peut aussi souligner qu’avec Et la forêt brûlera sous nos pas, Jens Liljestrand la joue petit bras côté températures. Je m’explique : Philip K. Dick, l’auteur de S.F qu’on ne présente plus, était allé beaucoup plus loin en 1965 avec Le Dieu venu du Centaure. Dans l’univers qu’il imagine, il fait tout bonnement 80°C à midi. Sans chercher à justifier que la vie soit encore possible à cette température, Philip K. Dick se concentre sur les répercussions pratiques du quotidien. Il décrit un monde où les facteurs passent déposer le courrier avant l’aube, où des lois obligent les citoyens à porter des blocs réfrigérants sur leur dos… Des bricolages du quotidien pour rendre le monde vivable quoi qu’il en soit.

Si vous préférez revenir d’urgence en 2022 (et on vous comprend), vous pouvez aussi regarder avec intérêt le documentaire Incendies géants : enquête sur un nouveau fléau (arte.tv-disponible jusqu’au 14 octobre 2022). Il décrit bien l’enjeu des mégafeux et les multiples facteurs qui les favorisent, mais on y trouve aussi des solutions plus « inattendues » que la multiplication des avions Canadair. Car, décidément, rien n’est simple dans un monde où on pourrait finir par redouter l’été.

Il faut de l’expérience pour repartir de zéro

Voici l'affiche Grimbergen pour sa bière sans alcool avec le slogan "Il faut de l'expérience pour repartir de zéro"... Mais nous arrive-t-il vraiment de repartir de zéro, nous les humains ?

Cela tombe plutôt bien : avec la bière sans alcool Grimbergen, vous êtes sûrs de garder 100 % de lucidité pour réfléchir sur cette curieuse promesse publicitaire. J’avoue qu’elle m’a interpellée. Faisant désormais partie des femmes « d’expérience », je me suis presque sentie concernée. Avant notre propre date limite de consommation et la mise en bière, il est toujours bon de se remettre en question pour tenter des choses nouvelles. C’est une nécessité absolue, car à la vitesse où s’enchaînent les tendances et les technologies qui remplacent les précédentes, les êtres humains ont vite fait d’être touchés également par l’obsolescence.

La jouvence et la sagesse enfin réunies 

Comment faire pour retarder le moment où nous serons dépassés ? Un coach pourra peut-être nous aider. Et bien sûr, pour voir si le courant passe, il est conseillé d’établir un premier contact avec cette personne. Par exemple, autour d’une bière à déguster avec modération. Mais, ne nous égarons pas dans la mousse épaisse de la pression. Dans l’attente d’un coach, voyons si on peut déjà débroussailler le chemin nous-mêmes.

Repartir de zéro en sachant déjà tout ce que l’on sait, c’est un sacré avantage. C’est un peu comme ce que veut nous signifier l’adage « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ».  En fait, le vieux rêve de l’humanité, c’est même de savoir comment agir exactement avant même de se lancer, un peu comme si on avait regardé la fin du film en douce. Les cartomanciennes, pythies et autres voyants en ont même fait leur fonds de commerce.

Repartir de zéro, est-ce vraiment partir de zéro ?

« Il faut de l’expérience pour repartir de zéro » tire aussi sa saveur de son paradoxe brassé avec amour par Grimbergen. Mais en fin de compte, avec l’expérience, on ne repart jamais tout à fait de zéro, tout comme on ne « refait » jamais vraiment sa vie. On ne repart pas de zéro, car on utilise toujours consciemment ou inconsciemment ce qu’on a appris. On jette des passerelles utiles entre le nouveau et l’ancien, entre les échecs passés et les possibilités à venir.  

La Grimbergen est une bière d’abbaye d’origine belge dont la production a été lancée à l’abbaye de Grimbergen au début du XVIIe siècle par les moines Prémontrés. Autant dire qu’au niveau patrimoine historique à mobiliser dans le cadre de la loi Évin, on peut compter sur de l’ancienneté.  L’objectif des marques bien implantées, c’est de continuer à dire qu’elles feront toujours mieux que les nouvelles. Mais, comme dans une recherche d’emploi, le nerf de la guerre, c’est surtout d’avoir bien conscience que l’expérience n’est pas un capital acquis une fois pour toutes, mais un jardin à entretenir en permanence avec l’arrivée de nouvelles pousses, de nouvelles graines et de nouvelles compétences.

Et si finalement, le secret de l’expérience bien utilisée, avant même de revenir au point zéro, c’était surtout de n’être jamais arrivé au bout façon « Je sais tout. Point final » ?

REBONDS

Pourquoi recruter des seniors en période de crise ?

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« Ne suivez que vous »

En ces temps tragiques, où certains veulent vider les mots de leur sens et pratiquer le mensonge géopolitique à une échelle apocalyptique, je n’ai pas le cœur à rire. N’ayant par ailleurs aucune compétence diplomatique ou militaire, je n’ai pas le cœur non plus au « yakafocon ». J’ai plutôt le cœur à l’absurde. Je vous offre donc une virée en absurdie au détour d’une affiche. Vous avez peut-être croisé celle pour le nouveau T-Roc Volkswagen. J’avais déjà laissé libre cours à l’inspiration sur une campagne antérieure de ce modèle. Dans cette saison 1 de 2018, on nous disait : « Il est temps d’être vous-même ».  Maintenant qu’on s’est enfin trouvé, l’affiche nous dit donc « Ne suivez que vous ». Ah oui ? Voyons voir.

« Ne suivez que vous », ça fait mal au cou

En voiture, à vélo ou à pied, ne suivre que soi, est-ce un mot d’ordre raisonnable ? On devra donc regarder tout le temps derrière soi pour se voir de dos. Au mieux, cela peut donner un torticolis chronique qui résiste aux anti-douleurs. Au pire, cela peut finir dans le mur, dans le réverbère, dans le fossé, dans la voiture de devant, etc. Je vous laisse faire votre liste. En plus quel intérêt de se prendre soi-même en filature si on sait déjà où on va ? Il faut vraiment être atteint d’amnésie foudroyante pour se suivre afin de mieux savoir où aller. Et puis, si on suit ce précepte, le moindre trajet pourrait tout à coup prendre un temps fou. Oui, un truc de fou, c’est le moins qu’on puisse dire avec toutes les artères et les bretelles d’autoroute assaillies par une chorégraphie d’aliénés qui tournent sur eux-mêmes. Une mélasse d’embouteillages tournoyants où les GPS déboussolés se suicideraient informatiquement d’épuisement à force de dire « Arrêtez de faire demi-tour dès que possible ». Une belle vengeance néanmoins, en réponse à tous les accidents de GPS et au danger que ceux-ci font planer sur notre hippocampe.

Et la curiosité dans tout ça ?

Je me demande finalement si nous sommes si nombreux que cela à vouloir nous suivre nous-mêmes en personne. Est-ce qu’on ne préfère pas plutôt suivre nos pairs, les nouvelles tendances, ou les épisodes de la saison 2 d’une série qu’il faut absolument avoir vue ? Me suivre moi ? Parfois, changeant d’avis au gré de mes réflexions et de mes recherches d’informations, j’ai du mal à me suivre justement. Cela m’inquiète donc un peu de devoir me suivre exclusivement, sans tenter un coup d’œil dans la file d’à côté pour voir si j’y suis ou pour voir si quelqu’un a plus de suite que moi dans les idées.  

Mon nombril ? Non merci

« Ne suivez que vous »… Mais alors que vont devenir les réseaux sociaux où tout le monde suit certaines et certains et où on se suit les uns les autres ? Et que vont-ils faire de tous leurs data centers si gourmands en énergie ? Si je me mets à me suivre en exclusivité sur Twitter, l’ennui va vite devenir palpable, les retweets seront de pathétiques radotages et les autolikes le comble du narcissisme. Ma bulle communautaire avec les gens qui pensent comme moi va devenir un caisson monoplace à monologue. Non, ce n’est pas la bonne conduite à suivre. Je préfère la conduite accompagnée, car les découvertes inspirées par autrui sont alors permises.

Je crois que décidément, je n’ai pas envie de me suivre. Mais avouez qu’en suivant ensemble ce mince fil lexical et absurde, nous avons juste mis notre inquiétude collective un bref moment en suspens. Cette inquiétude un peu impuissante quant à la suite à venir.    

Tangping ! On n’a qu’à rester allongés

Une jeune chinoise est allongée dans la végétation avec le sourire. Suit-elle en Chine le nouveau mouvement Tangping (qui veut dire être allongé à plat) et qui conteste le modèle chinois d'hyperactivité consumériste et capitaliste. Une contestation censurée par le pouvoir chinois bien sûr.
Photo by zhang Mickey on Unsplash

Si certains matins, une soudaine envie d’hiberner vous saisit. Si la course à la réussite vous fait douter de son sens profond. Si vous avez la flemme facile… Alors, alors, vous serez peut-être en phase avec cette jeunesse chinoise qui se réclame du mouvement Tangping. Cela rime bien avec Xi Jinping, le nom du président de la République Populaire de Chine, mais en termes d’état d’esprit, on est bien aux deux extrêmes. Le concept #Tangping soutenu par une partie de la jeunesse chinoise depuis avril 2021 signifie littéralement « être allongé à plat ». Rien à voir avec la volonté acharnée de refaire de la Chine la première puissance mondiale. Plutôt une envie de sortir de ce système pour profiter de sa vie à soi… Un futur nid de poule pour le Parti sur la Route de la Soie ?

Rester allongé, c’est la justice 

Il a suffi d’une étincelle à contre-courant pour lancer le Tangping. C’est Luo Huazhong, un jeune homme de 31 ans qui a d’abord posté un texte étrangement intitulé « Rester allongé, c’est la justice ». Cinq ans auparavant, il a quitté son usine du Sichuan pour parcourir à vélo 2 000 km et mener une vie frugale et méditative au Tibet. Son modèle économique ? Travailler seulement deux mois par an pour gagner les 200 yuans mensuels (soit 27 euros) qui lui permettent de vivre le reste de l’année. Une sorte de Diogène, le philosophe grec cynique, pauvre mais libre, qui vivait dans un tonneau et avait un sacré sens de la répartie. « S’allonger est mon mouvement philosophique. Ce n’est qu’en s’allongeant que l’homme peut devenir la mesure de toutes choses », écrit Luo Huazhong, en s’inspirant autant de Platon que du concept taoïste du wu wei, l’agir sans effort. Un retour possible à une philosophie chinoise plus proche de Lao Tseu et Confucius que du nouveau capitalisme totalitaire chinois ? 

Une tendance pas très 9-9-6

Forcément, la popularité d’un tel concept fait vraiment tache dans la Chine où il faut travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours par semaine. Un rythme suractif que le fondateur d’Alibaba (l’Amazon chinois) a résumé par le « 9-9-6 »… beaucoup plus éreintant à la longue que le 4-4-2 sur un terrain de foot. La censure a tout de suite flairé le problème en bloquant toutes les références au Tangping ainsi qu’un forum dédié qui regroupait déjà 200 000 membres. 200 000 ? Un grain de riz me direz-vous, mais on ne sait jamais où peut mener un ferment de paresse contestataire . La population est dangereusement vieillissante et elle ne semble vraiment pas pressée de pondre des fratries entières, même si la fin de la politique de l’enfant unique l’y autorise enfin. Alors, si on ne peut plus compter sur une jeunesse hyperactive dans un tel contexte, au secours !

La tendance contestataire Tangping sera-t-elle aplatie par le régime avant même de s’étendre ? Ou prendra-t-elle la forme d’une désobéissance civile rampante que le Parti de Xi Jinping n’avait pas imaginée ? Debout, assis ou allongés, gardons un œil ouvert vers l’Est et si ce billet vous a donné envie d’une petite sieste, tout se déroule normalement. Tant pis pour le repassage en retard.

Un philosophe à l’hôpital ?

Un philosophe à l’hôpital Livre de Guillaume Durand Flammarion

Attention, derrière ce titre un peu à double-sens, ne se cache pas un philosophe souffrant, mais plutôt une nouvelle mission. Il n’est donc rien arrivé de grave à son auteur-philosophe, Guillaume Durand. Dans les couloirs de l’hôpital, on sait tous que c’est la science qui a fait de notre espérance de vie ce qu’elle est aujourd’hui. Mais parfois, des choix de santé soulèvent des questions plus éthiques que médicales et Dame La Science se retire sur la pointe des pieds. Certains médecins peuvent alors faire appel à Guillaume Durand pour aider patients et familles à orienter leurs décisions. Guillaume Durand n’est pas un sage avec une longue barbe qui lit l’avenir, le bon et le bien dans les IRM. Que nenni. Il est maître de conférences en philosophie à Nantes, et spécialiste en éthique médicale et bioéthique. Pour être au cœur de ce dont il parle, il dirige aussi la consultation d’éthique clinique au Centre Hospitalier de Saint-Nazaire.

Un pas de côté pour nourrir la liberté de choix

Dans son livre Un philosophe à l’hôpital qui vient de paraître chez Flammarion, Guillaume Durand raconte à chaque chapitre un nouveau dilemme médical et comment il essaie de guider au mieux les patients pour trouver l’attitude qui fera sens pour eux et qui respectera leur liberté. Avec lui, nous croisons de futurs parents confrontés au handicap physique lourd du fœtus pouvant justifier une interruption médicale de grossesse, une jeune fille qui souhaite une ligature des trompes pour raison « écologique », une femme qui panique à la lecture de son décryptage ADN commandé en douce sur Internet ou un détenu diabétique qui refuse l’insulinothérapie pour ne pas paraître « faible » aux yeux des autres prisonniers… 13 histoires qui nuancent nos certitudes. 13 histoires sans pathos ni complaisance, mais qui nous confrontent aussi très concrètement à ces fameux enjeux bioéthiques très clivants de notre société.

A l’hôpital, moins de morale, plus d’éthique

Même si le livre ne foisonne pas de références aux grands philosophes, on y voit l’influence de penseurs à l’éthique minimaliste comme l’utilitariste John Stuart Mill ou le libéral Ruwen Ogien qui résumait sa morale par « Ne pas nuire aux autres, rien de plus. »

La force de la réflexion et du témoignage de Guillaume Durand dans Un philosophe à l’hôpital, c’est de montrer comment la philosophie gagne plus que jamais à s’intégrer à la vie de la cité et à se « cogner » au réel comme si Socrate s’invitait en consultation. La demande de réflexion philosophique grandit et la philosophie peut frayer avec bien des disciplines. Pour le plus grand bien des patients qui savent que soigner, c’est bien plus que prescrire le bon antalgique. La très médiatique Cynthia Fleury a déjà fait entrer la philosophie à l’hôpital. Gabrielle Halpern veut aussi montrer combien l’hybridation de la société va devenir nécessaire : une bonne façon d’associer les disciplines pour sortir des querelles de chapelles et affronter avec créativité la complexité de notre monde. On le sent : les « philosophes » descendent plus volontiers dans l’arène et passionnent de plus en plus de « non-philosophes ». Un principe actif qui ne peut avoir que des effets désirables.

Vous misez sur quoi à la rentrée ?

Roulette virale, apophénie, vacances éphémères et hosties québécoises… rien ne va plus, mais vous pouvez toujours retrouver le bonheur des mots en lisant la newsletter AZERTY. La nouvelle édition vient de sortir en cette fin du mois d’août. Ouf.

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Quand la Citroën AMI rime avec ironie

Avez-vous récemment croisé des Ami dans la rue ? Non je n’ai pas oublié le s à la fin de Ami, puisque je ne parle pas de vos potes et autres copines, mais d’un modèle Citroën qui a fait de ses défauts apparents toute une campagne de communication. L’occasion de se demander comment on peut recycler aussi les défauts  ? Approchons-nous d’abord du véhicule.

Citroën Ami, le permis de rouler sans

Commercialisée depuis mai 2020, la Citroën AMI n’a pas un physique facile. On peut le dire sans risquer la sortie de route : c’est l’antithèse du coupé sport. Elle est là pour réinventer la mobilité urbaine à 4 roues, alors le physique, on s’en bat les jantes. Comme disait ma grand-mère, « la beauté ne se mange pas en salade » (oui deux guerres mondiales, ça marque au niveau de la hiérarchie de survie)…. mais revenons à cette AMI qui nous veut du bien. Accessible sans permis, à partir de 14 ans, AMI ne mesure que 2,41 m de long et ne pourra dépasser les 45 km/h. 100 % électrique, elle a une autonomie annoncée de 75 km et peut embarquer un passager qui veille apparemment sur 64 litres de rangement devant lui (l’équivalent d’un bagage cabine). Tout cela pour 19,99 €/mois (après un premier loyer de moins de 3 500 €). Il n’est pas indispensable de se rendre en concession : il suffit de passer par exemple chez Darty ou de commander en ligne. Voilà pour les caractéristiques techniques essentielles à approfondir ici si le cœur vous en dit.

Citroën AMI vous fait des clins d’œil dans le rétro

Voiture sans permis revue à la sauce électro-numérique, la Citroën AMI cible donc a priori les jeunes urbains qui assument le décalage de son parti-pris esthétique, pour ne pas être mouillés en scooter. La disruption esthétique et l’originalité de son mode de distribution sont au cœur de son ADN. Alors, forcément, anticonformisme, ironie et autodérision ne sont pas en option dans la campagne signée Buzzman. Les affiches Citroën AMI parlent d’elles-mêmes et ont assurément fait parler. Une exception rafraîchissante dans un secteur automobile qui se contente souvent en affichage d’une image du véhicule et (parfois) d’un discours revu et rebattu sur l’affirmation de soi et la folle liberté de rouler des mécaniques.

Assumer ses défauts, est-ce une marque de sincérité marketing ? Une nouvelle façon de créer de la connivence avec des consommateurs avertis qui auraient d’autres valeurs ? La sur-promesse des grandes années de surconsommation décomplexée est-elle derrière nous ? Faut-il croire plus facilement une marque qui nous montre fièrement ses talons d’Achille ? Que de questions à débattre entre ami.e.s…

Fausse sincérité ou vraie flatterie ?

Face à des défis sociétaux sans précédent, la population est peut-être en demande d’un discours plus engagé et moins convenu commercialement. Le succès d’une marque « citoyenne » comme C’est qui le patron ? en donne une preuve inattendue quand la démarche reste cohérente et transparente jusqu’au bout. Il faut des preuves solides, car les jolies promesses qui fleurent trop l’opportunisme éthique (greenwashing, engagement social restant à prouver…) ont du mal à duper totalement une population plus méfiante que jamais. De plus en plus de consommatrices et consommateurs aspirent à un discours de marque plus sincère, en rupture avec la condescendance supérieure du meilleur produit du monde. Alors pourquoi pas en mettant sur la table de chouettes défauts assumés pour mieux casser les codes de son secteur ?

Ou alors… cette ironie décalée est-elle simplement une façon de jouer avec notre ego de consommateur singulier et différent ? Serait-ce une nouvelle ruse du renard automobile pour causer plus efficacement au corbeau consommateur, bombardé de messages qui ne le flattent plus suffisamment ? C’est vous qui achetez, c’est à vous de répondre avec votre carte bancaire. Oui, je sais, ça met un peu la pression sociétale. À moins que, fatigués de cultiver la singularité individuelle, nous nous mettions à penser que la normalité absolument normale, c’est vraiment trop hype. Encore un nouvel angle de non-marketing ?  

LE SAVIEZ-VOUS ? Je publie désormais chaque mois une newsletter que j’envoie gratuitement par e-mail à celles et ceux qui le demandent : AZERTY, la lettre qui nous parle des mots. Mots de l’actu, mots pour frimer, néologismes, gros mots… tout ce qui peut nous mettre les mots à la bouche. Pour lire le dernier numéro et vous abonner, c’est par ici. On se dit « à tout de suite chez Azerty » alors !

Azerty, la lettre qui nous parle des mots

Et si je vous envoyais Azerty chaque mois ?

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Figurez-vous que je viens de lancer une newsletter envoyée gratuitement chaque dernier jeudi du mois : AZERTY, la lettre qui nous parle des mots. Au programme, rien que des infos et des liens sur les mots. Les mots de l’actu, les mots rares, les mots qui nous font faire des fautes, les gros mots, les mots qu’on pourrait inventer… Une nouvelle occasion de nous retrouver autour de mes clins d’œil lexicaux du moment.

👉Pour lire les numéros précédents et vous inscrire, c’est dans cette rubrique dédiée à Azerty.

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Voilà, voilà. J’ai fini mon auto-promo avec mon clavier Azerty. J’espère qu’on se retrouvera tous les jeudis si vous vous abonnez. Et si vous connaissez des amateurs de mots susceptibles d’adorer, bien sûr, n’hésitez pas à passer le mot. Plus on est nombreux à aimer les mots, plus la vie est belle (oui, oui c’est prouvé par de nombreuses études… que je viens de commanditer bien sûr).

Alors, ça va de l’avant aujourd’hui ?

Il faut savoir continuellement s’étonner. Il paraît que cela maintient aussi jeune que les antioxydants et l’acide hyaluronique. Devant cette affiche de recrutement pour l’Armée de Terre, je n’ai nullement remis en cause la bravoure et l’abnégation de ceux qui sont prêts à mettre leur vie en danger pendant que nous sommes vautrés devant une VOD. Non, ce qui m’est venu, c’est plutôt « Tiens, c’est curieux : on dit à tout bout de champ aller de l’avant et on n’entend jamais aller de l’arrière. » Et là, nom d’un abribus, c’était parti. Déjà, c’est bien gentil de nous dire d’aller de l’avant, mais franchement, le temps passant inexorablement, on y va de toute façon vers l’avant, juchés sur notre flèche chronologique inarrêtable.

Sous le pléonasme, l’injonction

Notre langage courant est truffé de pléonasmes auxquels on ne prête même plus attention. Suivez mon regard vers les faux prétextes, les bips sonores, les monopoles exclusifs et les autorisations préalables. Si on est d’humeur bienveillante, on peut dire que c’est juste pour bien insister, surligner et en remettre une couche. D’accord, soyons magnanime. Mais « aller de l’avant » ne passe pas vraiment pour un pléonasme, car il recèle sans doute autre chose.

Cela fait des décennies qu’on ne peut plus se contenter d’aller tout court. Cela pourrait revenir à faire du sur place et c’est tout simplement inacceptable dans un monde où la nouveauté permanente et la croissance ininterrompue font tenir la machine. Grand mot d’ordre des séminaires de team building, l’injonction est devenue aussi permanente que subliminale. La pensée positive à toutes les sauces tient là aussi sa plus belle carotte, tendue aux ânes que nous sommes pour nous faire avancer de toute façon. Progressons droit devant et faisons toujours plus et mieux, car sans cela, il n’est point de bonheur conforme. Il faut donc aller de l’avant bien évidemment, ne pas trop regarder en arrière et ne pas trop réfléchir sur place.

Tourne 7 fois la boussole sur ta route

Attention, je ne dis pas qu’il faut aller de l’arrière pour se sentir mieux. Quelle drôle d’idée. J’aime en revanche la distinction qu’il faut faire entre l’innovation et le progrès. La première est immédiatement constatable puisque la nouveauté est instantanément manifeste ou pas. Le deuxième demandera en revanche du recul pour pouvoir juger dans un second temps du progrès effectivement réalisé. Donc, sur « aller de l’avant », je me dis juste que cette expression survalorisée cache peut-être notre tendance à confondre les deux. Parfois, on a l’impression de progresser alors qu’on fait juste du moonwalk, qui d’ailleurs n’a pas été inventé par qui vous savez. Et si la prochaine fois qu’on nous dit d’aller de l’avant, on soulignait d’abord que cela tombe sous le sens parce que le temps ne nous laisse pas le choix ? Et si on prenait ensuite le temps de déplier notre carte, au sens figuré, en ajoutant, « Ok, mais on va où finalement ? »   

Le sens des limites, un 7e sens ?

À l’heure des distances de sécurité et du couvre-feu, le nouveau livre de Monique Atlan et Roger-Pol Droit nous offre un voyage au pays des paradoxes. Sans bagages et depuis notre canapé. Alors que les limites sanitaires font la une, on part interroger la notion de limite pour mieux la mettre au service du progrès humain. Détendez-vous : Le sens des limites , aux Éditions de l’Observatoire, est un livre à lire à 80 km/h comme à 90 km/h. Peu importe.

Limites d’hier et illimité d’aujourd’hui ?

Le voyage dans le temps commence par les Grecs de l’antiquité pour qui l’art de la limitation était au service d’une vertu cardinale et glorieuse : la recherche du « juste milieu », un véritable sommet de la civilisation pour eux. Rien à voir effectivement avec le slogan de Mai 1968 « Il est interdit d’interdire » qui s’autodétruit contre le mur de l’absurdité. Entre les deux époques, une longue histoire de limites repoussées par la connaissance, la démocratisation et la révolution de l’individualisme, avant de déboucher dès la seconde moitié du XXe siècle sur une ligne idéologique vraiment trop cool : l’effacement de toutes les limites. Une fuite en avant portée ensuite par la mondialisation libérée des échanges, la révolution numérique ou de nouvelles frontières biotechnologiques joyeusement repoussées. Mais voilà, dépasser sans cesse les bornes sans jamais en interroger le bienfondé peut rencontrer ses limites.

Quand la transgression n’est plus qu’une posture qui tourne à vide, où va-t-on ? Quand la folie de l’illimité dans un monde physique limité rencontre la crise écologique, comment fait-on machine arrière ? Quand la tolérance sans débat rencontre des réactions aussi conservatrices que déboussolées au point de mettre en danger la démocratie, que dit-on ? Quand une pandémie relègue notre arrogance au placard et nous impose des limitations rendues insupportables par notre individualisme, que change-t-on pour l’après ? 

Un petit recadrage ?

Il parait que la création se nourrit aussi des contraintes ou que les enfants s’épanouissent mieux dans un cadre structurant. Il paraitrait même que les lois nous ont évité de nous entretuer sans fin. Toutes les limites ne sont donc pas bonnes à mettre aux orties ?  Effectivement, rien n’est simple dans le match entre homo illimitatus qui veut toujours dépasser les bornes et homo limitans qui ne se sent bien qu’avec des frontières inébranlables. Tout se gère une fois de plus dans l’art de la nuance agile et complexe. Comme le duo le démontre brillamment dans Le sens des limites, notre vie terrestre, notre perception et notre réflexion, sont de toute façon fondées sur d’indispensables limites pour cohabiter, séparer et concevoir.

La civilisation est l’art politique de s’imposer ses propres limites pour mieux vivre ensemble et dans la durée. Marque évidente du monde adulte qui s’empêche pour son bien, la limite est à réinventer sans cesse, en dépassant la simple vision manichéenne du type : « limite = fardeau liberticide » vs « sans limite = progrès ultime ». En fait, il existe des limites inutiles à combattre, d’autres à assouplir, d’autres à instaurer, etc. Et c’est là où les sacrés défis de notre époque nous apportent chaque jour des travaux pratiques sur ce sens des limites, qui doit être aussi agile par rapport au réel que dénué de barrières idéologiques.

On espère que ce plaidoyer sera entendu le plus largement possible, car l’exploration profonde et nuancée du livre de Monique Atlan et Roger-Pol Droit est pour le coup à partager sans modération. Oui, je me suis dit que je pouvais me permettre cette pirouette finale puisque leur ouvrage se termine, à propos de la réinvention permanente des limites, par l’expression « À l’infini ».  

Quelques extraits (oui, tout à ses limites) juste ici

Présentiel et distanciel sont sur un radeau…

@Aleks Marinkovic on Unsplash

Peu satisfaite de la locution « à distance », la langue du management adore désormais le néologisme « distanciel ». Plus technocratique que « sur place », l’anglicisme « présentiel » lui sert d’acolyte. Les deux sont donc devenus inséparables, comme les lions de pierre postés de chaque côté du porche d’un manoir, créant ainsi une rassurante symétrie. Alors, thé ou café ? Distanciel ou présentiel ?

Attention, cette symétrie dans la terminaison des deux mots est plus riche qu’on ne le pense. Elle souligne bien l’envie d’en faire des jumeaux qui se complètent ou s’opposent en fonction des humeurs. Notre cerveau adore les systèmes binaires. Tout ce qui va par deux comme nos deux jambes nous réconforte. Le bien, le mal. Le noir, le blanc. Le haut, le bas. J’arrête là, vous êtes d’accord ? En plus, avec « distanciel » et « présentiel », on peut faire un beau slide avec un tableau à deux colonnes pour dispatcher les avantages et les inconvénients des deux. Comble du bonheur, les deux mots ont le même nombre de lettres : 11. C’est sûrement un signe en numérologie, mais je ne m’y connais guère. C’est surtout une satisfaction visuelle sans limite pour l’infographiste qui met en page de la typo et non des mots.

Bien sûr, entre les frères ennemis, les cartes sont rebattues depuis la crise sanitaire qui débuta au printemps 2020. Apparemment, le « distanciel » a réussi à exercer un lobbying intense auprès d’un pangolin pour que le télétravail puisse faire ses preuves à une échelle sans précédent. De son côté, le « présentiel » doit maintenant être chouchouté comme une poule de luxe par le secteur de l’immobilier d’entreprises. Rien n’est simple.

Quoi qu’il en soit, dans le match « distanciel/présentiel », les masques sont tombés au moment où il fallait en porter au sens propre. Le présentéisme s’est pris un gros uppercut et le soigneur n’a rien pu faire. C’est comme cela que le projecteur sanitaire a été braqué soudainement sur certaines réalités parfois mal assumées en entreprise. Exemples en vrac… On peut être encore dans les couloirs de la boîte à 20 h 30 sans être forcément débordé. On peut être aussi inefficace chez soi qu’à côté de la machine à café du 56e étage. On peut être dans la salle de réunion sans être forcément au taquet, mais on peut être dans une réunion en visio sans être vraiment là non plus. On peut être à distance en « performant de ouf » parce que personne ne se plaint toutes les dix minutes dans l’open space… et on peut être aussi injoignable en télétravail qu’invisible au bureau. Etc., etc.

C’est ainsi qu’il a fallu se rendre à l’évidence à défaut de se rendre au bureau : il ne suffit pas d’être dans les locaux pour être efficace ou d’être chez soi pour être un tire-au-flanc. C’est ainsi qu’on a découvert que même si on pouvait faire beaucoup plus de choses qu’on ne le pensait en distanciel, on a bien vu le revers de la médaille : la nécessité de pouvoir déconnecter, l’importance d’une frontière réinventée entre vie privée et vie pro, le caractère irremplaçable du lien physique ou la fertilité des échanges informels.   

En faisant son tour du monde, la Covid-19 a donc surligné en jaune fluo les faux-semblants du présentiel comme ses atouts à mieux cultiver. Elle a fait découvrir les bénéfices du distanciel autant que ses écueils. Histoire de dépasser les apparences et de revenir à l’essentiel. Oui, ce fameux essentiel, sujet à toutes les polémiques, dont on nous a un peu rebattu les oreilles.

Alors, restons vigilants tous ensemble et je ne parle pas seulement des gestes barrières. Même si notre box internet est devenue notre perfusion, l’intelligence naturelle (et non l’artificielle) doit continuer à faire la différence. Avec le distanciel providentiel et le présentiel essentiel, il ne manquerait plus que l’intelligence au travail finisse par rimer surtout avec « logiciel ».

Au boulot, les féministes

Vous avez un « anti-ragnagnas » dans votre entourage professionnel, les filles ? Et vous ne savez pas comment gérer ça ? Jessica Bennett, gender editor au New York Times, rien que ça, vous passe tous ses bons tuyaux dans son Manuel de Survie à l’usage des working girls, traduit aux Éditions Autrement. Son boulot actuel, c’est de donner une meilleure visibilité aux femmes dans le journal. Une mission qui lui tient particulièrement à cœur après avoir arpenté des rédactions où les évolutions de carrière s’avéraient plus aisées avec une paire de testicules.

Ne vous attendez pas à un petit livre rouge sur l’émasculation ultra-féministe. Ici, on est dans le coaching concret et l’autrice compte aussi avec bienveillance sur tous les hommes de bonne volonté pour faire reculer le mal discriminatoire. Son guide d’autodéfense contre les sexistes en entreprise réunit les stratégies de combat mises au point entre copines pour obtenir son dû. Cet esprit « fight club féministe », elle nous invite à le rendre viral pour que la solidarité féminine soit plus forte en entreprise, malgré l’esprit concurrentiel qui y règne.

En 2021, le diable sexiste se cache plus facilement dans les détails

…et le sexisme ordinaire s’est aussi réfugié dans des comportements anodins ou des ambiances qu’on croyait follement modernes et donc bien au-dessus de ça. En véritable cheffe militaire, Jessica Bennett nous a donc préparé une première partie intitulée : « Identifier l’ennemi ». Elle nous régale d’une sacrée galerie de portraits : l’homo interruptus, l’homo usurpator, le sténophallocrate, le perroquet, l’anti-ragnagnas, le materophobe, le sapeur d’ego, l’organisateur des loisirs macho, le lorgneur ou encore le tire-au-flanc professionnel… Pour chaque profil, elle y va de sa stratégie de combat bien huilée, pleine de bon sens et non dénuée d’humour. Mais bien sûr, l’autre ennemi invisible, c’est le « sabordage féminin » lié à des siècles de réflexes intériorisés. Et c’est sans doute là où Jessica Bennett nous rend un fier service. Oui, nous pouvons toutes être un jour la « maman de service », l’« éternelle redevable » ou le « paillasson ». Et là, il va falloir retravailler notre personnage pour arrêter de tomber dans les mêmes pièges. Avec son ton décontracté et ses fiches pratiques, le Manuel de Survie à l’usages des working girls invite donc tout autant à la lucidité sur nos conditionnements et nos mauvaises réponses comportementales.

L’ultime parade : la technique QFJ

QFJ pour « Que ferait Josh ? ». Ce « Josh virtuel » est le collègue masculin un brin suffisant auquel Jessica a pris l’habitude de penser quand elle sentait qu’elle était encore sur le point de réagir en « dominée ». En effet, le Josh archétypal s’en fiche pas mal de savoir rester à sa place, d’opiner de la tête comme une bonne élève ou de se réveiller le matin avec le syndrome de l’imposteur. Il a une approche tout à fait différente des relations de travail et s’imaginer dans sa peau, c’est un peu comme apprendre une langue étrangère. Sacré Josh. Dans le même ordre d’idée, Jessica Bennett nous fait bien rire en nous apprenant à repérer les différentes espèces de mâles qui racontent n’importe quoi sans en avoir l’air. Une fois de plus, la galerie de portraits ne manque pas de saveur.

Faut-il souhaiter que dans quelques années, ce guide devienne une curiosité sociologique parce que les comportements décrits seraient devenus imputables aussi bien à une femme qu’à un homme ? Sûrement. Comme le disait Françoise Giroud il y a un moment déjà : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » Work in progress…

Manuel de Survie à l’usage des Working Girls – Jessica Bennett – Éditions Autrement – 16,90 €

Vous êtes mon hôte. Et réciproquement

hôte double sens définition Cet été en France, les gîtes de vacances ont fait le plein. À l’heure où une pandémie réduit les envies et les possibilités de jet lag exotique, un retour au terroir était à prévoir. Dans ce contexte et au détour d’une sélection de chambres d’hôtes, je me suis souvenu que le mot hôte était quand même un sacré agent double de la langue française. Rappelons en effet qu’il peut aussi bien désigner la personne qui reçoit que la personne qui est reçue. Il ne nous reste alors que le contexte pour clarifier son double sens. Et malheureusement, on assiste trop peu à des dialogues de ce type :

M. le Châtelain : -Je vous en prie, installez-vous dans la chambre mauve avec vos trois chiens : vous êtes mon hôte.

M. le Touriste : -Vous êtes vraiment un hôte exquis. Avant, puis-je les laisser déféquer dans votre pelouse ?

À ce stade, la lectrice éclairée ou le lecteur réveillé pourra faire remarquer que l’ambiguïté sur le sens du mot « hôte » n’est réelle qu’au masculin. Effectivement, l’usage veut que le mot « hôtesse » désigne exclusivement celle qui reçoit, car on va jusqu’à dire qu’on accueille une hôte. Quand vous êtes une hôtesse donc, pas de double sens possible. Vous êtes dans un avion pour y accueillir les passagers ou bien à l’accueil d’un hôtel pour y sourire sans faillir. Même pour l’hôtesse de charme que je vous vois déjà imaginer, on ne peut pas dire que l’ambiguïté lexicale soit au rendez-vous.

Mais revenons au mot hôte, dont le genre apparemment masculin s’apparente au final à de la neutralité (le genre, vous savez, c’est compliqué). Difficile de savoir exactement pourquoi ce mot, apparu au début du XIIe siècle, a pris et gardé un double sens. Je ne sais pas si c’est le cas dans d’autres langues. Je me suis dit que cette ambigüité de notre langue soulignait en revanche un certain art de vivre relationnel, placé sous le signe de la réciprocité et de l’égalité. Pour l’hôte qui reçoit, amabilité, serviabilité, envie de partage. Pour l’hôte qui est reçu, politesse, respect des lieux, marques d’intérêt conviviales. Ping et pong. Pong et ping. L’hôte de l’un est l’hôte de l’autre et la bienveillance mutuelle remplace la hiérarchie transactionnelle. Si chacun joue son rôle avec tout le plaisir de la sociabilité, l’équilibre est parfait et l’échange équitable. Si l’un des deux ne fait plus l’« hôte » à merveille, la rencontre est manquée et l’ambiance toute pourrie.

Ce duo à l’intérêt mutuel pourrait faire penser au nouveau savoir-vivre du masque en ces temps de Covid-19 : quand un masqué rencontre une masquée (admirez la parité), on ne sait plus qui protège l’autre, car le but, c’est de protéger tout le monde et au final la bonne intelligence est mutuelle.

Cette sacrée notion d’hôte a continué de m’ouvrir des portes à une échelle bien différente. J’ai repensé à l’espèce humaine qui a tendance à oublier qu’elle est l’hôte d’une planète plutôt que son maître absolu. Une planète hospitalière jusqu’à quand ? J’ai également songé aux milliards de bonnes bactéries que nous hébergeons sur notre peau ou dans notre appareil digestif en échange de services sanitaires irremplaçables et jusqu’à il y a peu, tout à fait insoupçonnables.

Décidément, nom d’un acarien, on est toujours l’hôte ou l’hôte de quelqu’un. Et vice versa.

REBONDS

>Toute la série documentaire bluffante qui donne une bonne claque à notre anthropocentrisme : « Une espèce à part »

>Un article très hôte : « JO : Paris ville « hôte » ou ville « hôtesse » ? »  

Haut les masques

Collection personnelle de masques cousus main- Année 2020

Franchement, à mots à peine couverts, dans la tourmente du coronavirus, on a dit et entendu tout et n’importe quoi sur les masques. En tissu lavable une cinquantaine de fois ou jetable impunément dans le caniveau, acheté à prix d’or en pharmacie ou cousu à partir de chutes de tissu ou de vieilles chemises… le voilà sur toutes les lèvres. Qu’a-t-il à nous dire sous ses airs de bouche cousue ?

Rappelons tout d’abord que nous avons beaucoup appris avec le masque manquant. Oui, quand il a fallu chercher des sources d’économies pendant le quinquennat précédent, on a sacrifié le stock de masques à renouveler régulièrement. On a croisé les doigts pour que ça ne se voit pas. Il était un peu superflu n’est-ce pas puisqu’en cas de pandémie, on aurait bien le temps d’en commander aux Chinois. Oui, c’est bien connu : en cas d’incendie, on a tout le temps de commander un extincteur sur Feu.com ou de faire venir des pompiers de Nouvelle-Zélande. D’ailleurs en parallèle, il a fallu aussi avaler que notre dépendance à l’industrie pharmaceutique asiatique était colossale… ce qui n’avait pas encore effleuré le cerveau endolori du citoyen moyen venant chercher naïvement du paracétamol dans sa pharmacie préférée.

Ensuite, on a essayé d’échapper à la polémique stérile sur « le masque est-il vraiment utile ? ». Est-ce moi que je protège ou plutôt les autres ? Suis-je du genre « responsable/on ne sait jamais » ou plutôt « invincible/on nous raconte n’importe quoi » ? C’est le psycho-test du printemps. Dans l’incertitude, l’intelligence navigue tout simplement à vue… et même masqué, on a les yeux qui dépassent quand même. Les plus survivalistes n’ont donc pas hésité à en fabriquer à la maison.

Maintenant, il faudrait apparemment s’autoriser le luxe de s’interroger sur l’impact anthropo-philosophique de cet accessoire qui ampute l’expression de notre si beau faciès. Il a, c’est vrai, un côté beaucoup plus « Gaffe aux lacrymogènes ! » que « Trop beau, le Carnaval de Venise ! » Personnellement, quand je le porte, j’essaie de renforcer les autres signes de civilité pour remplacer le sourire qui manque désormais devant la caissière. Sourire avec les yeux, assumer un mot gentil qui contrebalance l’absence de zygomatique visible. Au masque d’indifférence qui opérait aussi très bien sans tissu avant la covid-19, on peut substituer un savoir-vivre plus attentif qui contrebalance ce sourire proprement invisible. Le masque qui va nous être encore utile un certain temps dans les endroits les plus confinés, les plus fréquentés et face aux plus fragiles cache en fin de compte un tissu de paradoxes. Recto, il donne une mine forcément un peu inquiétante, car il rappelle à chacun la menace invisible qui justifie son utilisation. Verso, son port envoie aussi un signal néanmoins responsable et civique à ceux que je croise : « Si je fais l’effort de supporter ce truc qui donne chaud, c’est aussi pour nous protéger tous ». C’est réconfortant. En portant le masque comme mes congénères pendant l’épidémie, je ne me considère pas au-dessus de la menace, je fais front tout comme eux avec ma bouche et mon nez protégés. Recto, c’est un anti-virus. Verso, c’est un hacking indirect de la reconnaissance faciale. Recto, il peut être aussi neutre que les masques chirurgicaux classiques. Verso, il peut devenir un accessoire lavable, customisé et personnalisé.

Les paradoxes sont toujours fertiles. À ceux qui pensent que le masque nous ferait comme un inquiétant bâillon, nous pourrions rétorquer qu’il en va autrement si nous le désirons. Haut les masques, tant que nous saurons négocier avec nuances entre nos libertés individuelles et la sécurité du plus grand nombre. Haut les cœurs tant que nous serons debout pour pouvoir porter un masque.

 

Une grippe à double-sens

grippé, économie grippée, coronavirus, grippe En ces temps de coronavirus, certains pourraient être tentés de se barricader avec des vivres pour 3 mois. Loin des tousseurs partageurs et des fiers à bras désinvoltes qui refusent de se laver les mains.  Grâce au coronavirus, ils auraient peut-être alors assez de temps libre pour redécouvrir le double sens du mot grippé, à l’aide d’un dictionnaire qui prenait la poussière sur une étagère.

Oui, rappelons-le : quelle merveille que la langue française dont les trésors peuvent prendre sans coup férir une actualité brûlante, celle qui affiche 39,5° C sous les aisselles.

L’histoire du mot grippe n’est pas banale. Le mot a d’abord qualifié au XVIIe siècle une « fantaisie soudaine, un caprice » avant de s’étendre à l’expression « prendre en grippe » vers 1760. En parallèle, Monsieur Robert nous indique que c’est en 1743, que le mot grippe qualifie la maladie infectieuse que nous connaissons, essentiellement parce qu’elle saisit avec soudaineté sa proie à l’immunité défaillante.

Tout cela suit tranquillement son cours et puis un jour, apparemment en 1869, apparaît le mot grippage, pour désigner « le ralentissement ou l’arrêt du mouvement de pièces ou organes mécaniques, provoqué par le frottement et la dilatation de surfaces métalliques mal lubrifiées ». L’extension du domaine de l’usage finit par entraîner l’élargissement du sens au mauvais fonctionnement d’un système (l’économie par exemple).

Que les deux acceptions, médicale et mécanique, viennent en 2020 se rejoindre avec fracas, laisse rêveur. Que les auteurs de science-fiction aient toujours envisagé des fins de cycles à la sauce pandémie semble attendu. Que l’économie mondialisée se grippe sérieusement à cause d’un minuscule virus ne viendrait en revanche pas tout de suite à l’esprit du premier trader venu.

Sans vouloir offenser les victimes humaines du coronavirus (également appelé covid-19 parce que c’est quand même plus facile à écrire et que ça ne peut pas faire de tort à une bière)… donc, oui, sans vouloir minimiser le bilan humain, les dommages collatéraux économiques pourraient surpasser bien des craintes, donner des sueurs aux banques centrales et filer des frissons aux ministres de l’économie. La délocalisation à outrance des industries pharmaceutiques se révèle soudain dangereuse et un peu irresponsable. La chaîne de valeur qui permet d’économiser aux quatre coins du monde sur toutes les étapes de fabrication peut mettre à l’arrêt des entreprises en panne de pièces détachées. La mobilité humaine entre les continents s’avère être un facteur aggravant de la transmission. Le secteur des loisirs et du tourisme est alité pour une période indéterminée… Seuls les fabricants de gel antibactérien n’auraient pas rêvé une plus belle croissance.

Quelle réflexion oserons-nous avoir collectivement sur nos interdépendances mises en place pour doper la rentabilité à court terme ? Une grippe plus féroce que les autres peut-elle nous ouvrir les yeux sur ce qui est vraiment grippé dans ce monde de brutes ? Quand tout est grippé, il faut remettre du lubrifiant. Sa formule ressemble peut-être à un mélange de civisme, de bon sens, d’humanisme et de saine remise en cause de nos travers planétaires. Pour commencer, à notre humble échelle individuelle de fourmi, faites-moi le plaisir de tousser dans votre coude : cela crée dans le bus une ambiance bien plus cool que l’éternuement intempestif sans barrière de savoir-vivre. À la façon du paracétamol effervescent, l’individualisme décomplexé devrait être soluble dans la responsabilité collective.

 

Vous avez dit « Pourquoi ? »… comme c’est étrange.

Philippe Huneman Pourquoi Editions AutrementAvis aux amateurs de polars qui adorent chercher le mobile : passez votre chemin. La quête du pourquoi de Philippe Huneman est un sport de combat au pays de la logique, de la philosophie et de la métaphysique. Avec  POURQUOI ? Une question pour découvrir le monde (Ed. Autrement), il s’adresse pour la première fois à un public non universitaire pour décortiquer ce qui se cache derrière le mot-clé de notre curiosité. Philosophe des sciences et directeur de recherche au CNRS, l’auteur propose une plongée intellectuelle qui reste exigeante pour nos neurones.

Et pourquoi « pourquoi » d’abord ? On croit connaître les mots anodins de notre quotidien et pourtant, la lecture de ce livre nous fait toucher un iceberg dont on feignait d’ignorer la partie immergée. On réalise même que la langue française nous embrouille quelque peu en employant le même mot interrogatif pour désigner trois notions pourtant différentes : la recherche de la cause (pourquoi suis-je tombé ?), du but (pourquoi veux-tu obtenir ce diplôme ?) et de la justification (pourquoi tuent-ils des innocents ?). Que de malentendus subtils mais possibles dans un seul mot… Observons aussi que notre langue a donné deux acceptions distinctes à « raison ». Cela nous oblige à admettre qu’avoir ses raisons… ne donne pas forcément raison ! Bref, on ne peut pas dire qu’on soit aidé et Philippe Huneman nous en fait la démonstration. Même si ma culture scientifique défaillante a été mise à rude épreuve par les passages de philosophie des sciences, on retire une vraie satisfaction de l’exploration que nous propose l’auteur. Ce n’est pas rien de d’intégrer la différence entre les causes déclenchantes et les causes structurantes ! Exemple : la cause déclenchante de la Première Guerre Mondiale (assassinat de l’archiduc François-Ferdinand) masque un peu trop les causes structurantes qui rendaient ce conflit dangereusement probable, indépendamment de l’assassinat… Il y a une vraie différence avec les causes mineures et contingentes qui ont pourtant fortement favorisé la défaite de Napoléon à Waterloo, qui n’était pas perdue d’avance sur le papier. Le travail de l’historien consiste justement en partie à faire la part des choses entre ces deux types de causes d’un événement.

Du hasard à la nécessité, il n’y a en fait qu’un pas dans l’interprétation et les complotistes adorent le franchir, présentant d’après Philippe Huneman, « d’intéressantes pathologies de la recherche raisonnable du pourquoi » ! Dans POURQUOI ? Une question pour découvrir le monde (Ed. Autrement), l’analyse de ce chapitre m’a beaucoup intéressée. Leur truc aux complotistes, c’est d’abord de refuser par principe tout hasard. Cela implique de rechercher systématiquement une explication à des éléments contingents sans liens entre eux, créant ainsi un biais cognitif redoutable, relatif au hasard et à la causalité. Dans la lignée de cette soif de cohérence, il faut aussi que l’impact psychologique de la cause de l’événement soit forcément proportionnel à celui de l’effet : deux tours percutées à Manhattan par un avion, c’est énorme… et il faut donc que ce qu’il y a derrière soit bien plus colossal qu’une « simple » attaque terroriste.

Cela répond aussi à l’éternelle envie de narration de la nature humaine : notre esprit adore transformer des circonstances fortuites en événements inexorables qui portent bien sûr la marque du fameux destin. L’infini discours sur l’Amour en est alors l’illustration la plus glamour. Incapables d’identifier avec une rigueur scientifique absolue les causes exactes de l’attirance entre deux êtres, nous renversons la situation : transformer la contingence radicale qui nous effraie en une suprême nécessité. Une idée de l’amour qui alimente autant les scénarios de films que notre histoire personnelle pour consolider notre relation amoureuse. N’est-ce pas, dans le domaine de l’amitié, le sens même de la phrase de Montaigne à propos de La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » ?

Au final bien sûr, après avoir croisé Leibniz, Kant, Hume et bien d’autres, l’auteur de POURQUOI ? Une question pour découvrir le monde (Ed. Autrement) nous emmène aussi du côté de la métaphysique. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi suis-je moi ? Face à des questions étourdissantes, l’être humain bricole son système de réponses au fil des âges et en fonction des convictions. Là aussi, une fois de plus, l’envie d’y voir des intentions (le sens de la vie, un agent divin… ) prend vite le pas sur la recherche raisonnable de causes. Comme si finalement, il restait toujours en nous un peu de cet enfant qui imaginait que tout phénomène avait une raison simple et accessible… avant d’inonder ses parents de questions qui commencent par pourquoi !

Je pionce donc je suis

Je pionce donc je suis pièce de Michaël HirschEt si le sommeil était le dernier îlot de résistance face au règne de la performance utile et de la marchandisation galopante ? Et si le mode off, avec ou sans doudou, était la matrice indispensable à tous les rêves humanistes ? Avec l’humour qu’on lui connaît et l’amour des mots qui le caractérise, Michaël Hirsch monte sur la scène entouré de douillets oreillers pour nous en convaincre : c’est la pièce Je pionce donc je suis à l’affiche du Théâtre du Lucernaire (Paris). Pioncer, se mettre en veille, faire de beaux rêves ou « mettre la viande dans le torchon », ça n’a l’air de rien, mais cela peut devenir de la résistance en chambre.

Pour le chef de produit zélé Isidore Beaupieu, personnage principal de ce « seul en scène », tout démarre par une attaque malencontreuse de narcolepsie en pleine réunion de présentation d’un réveil révolutionnaire. Devenu le héros malgré lui des Homo-sapions, mouvement de résistance pro-dodo, il vit alors une révélation : celle de l’importance du sommeil dans un monde qui va trop vite, coincé entre la course à la performance de l’entreprise et l’addiction aux écrans qui dévore nos temps « morts ».

Seul en scène, Michaël Hirsch fait vivre une galerie de personnages impressionnante tout en gérant avec malice sa farandole de jeux lexicaux. De quoi soutenir l’attention des spectateurs les plus fatigués et les embarquer dans une mise en scène inventive, avec des surprises dont il ne faut rien dévoiler.

Si la forme est légère, le propos doit nous interpeler. Après le spectacle, Michaël Hirsch m’a confirmé avoir lu avec attention le livre de Jonathan Crary, 24/7 – Le capitalisme à l’assaut du sommeil. Une analyse sans concession d’un mécanisme dévorant : celui d’un idéal de vie sans pause, connectée à tout moment, où l’on cherche à réduire absolument le temps sans rentabilité du gros dodo. Chez Netflix, on dit même que le concurrent principal de la société n’est autre que le… sommeil, sur lequel il faut grignoter des parts de veille connectée.

Les dernières études de Santé Publique France révèlent que le temps de sommeil moyen en France vient de plonger en dessous des 7 heures, durée pourtant minimale pour une bonne récupération. Le plus grave serait que le sommeil soit remplacé petit à petit par un mode « veille » ou qu’un laboratoire médical découvre comment s’en passer. L’armée américaine étudierait des méthodes pour qu’un soldat puisse rester opérationnel sans dormir pendant 7 jours. La recherche militaire étant à l’avant-garde d’innovations réutilisées dans le domaine civil, on pourrait s’en inquiéter. La pression socio-économique sera-t-elle alors trop forte pour les résistants du sommeil biologique, garants de la saine alternance du jour et de la nuit et du repos naturel ? Un enchainement de conséquences cauchemardesques pourrait se cacher derrière les pas des hackers de la couette. Prenons garde à ne pas nous laisser endormir… pour au final perdre le sommeil.

Après avoir vu Je pionce donc je suis avant le 19 janvier au Théâtre du Lucernaire, il vous restera à savourer en 2020 plus de 300 gros dodos peuplés de doux rêves. C’est en tout cas ce que je vous souhaite. Prenez soin de vous.

REBONDS…

Le quotidien Le Parisien en a pensé ceci

Les Inrocks ont pensé ceci du livre de Jonathan Crary

 

« Les Possédés » de la tech, c’est bien nous

Les Possédés - Arkhé Editions Livre Tech TrashAlors comme ça, vous dégainez naïvement votre smartphone sans savoir ce que recouvrent les termes blitzscaling*, tech-brandosaure* ou les proverbes « Winner takes all* » et « Fake it until you make it*» ? Franchement, il est temps que vous souleviez le capot de la techno au pays des merveilles, en compagnie de deux fondateurs du collectif Tech Trash. Comme leur petit nom l’indique, ils ne se lassent pas de tacler les startuppers et les apprenties licornes… avec un humour caustique qui fait déjà le succès de leur e-newsletter. Dans leur livre Les Possédés publié chez Arkhé Editions, on quitte l’actu pour les retrouver en mode « analyse du problème de fond »… Que les techno-béats préparent leurs mouchoirs !

On arrête de se voiler la face

Comme de vrais gamins avec nos super jouets, nous avons eu notre période d’émerveillement béat devant les prodiges de la Silicon Valley. Mais le vent tournerait-il ? Après la lune de miel, voici que de plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer le pompage sans vergogne de nos données personnelles, l’optimisation fiscale à gogo qui fait tache en ces temps de disette, la propagation accélérée des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux… jusqu’à la manipulation insidieuse des électeurs à grande échelle. Un retour de bâton appelé aussi « tech-lash »… mais qui peine à réduire significativement le nombre d’utilisateurs de ces démons du XXIe siècle ! Ahhh… schizophrènes que nous sommes. Pendant ce temps, bien sûr certains continuent d’apparenter Steve Jobs à un messie et d’autres d’ignorer gentiment le modèle économique des services numériques qu’ils utilisent à longueur de journée. Erreur contemporaine notoire qui signe juste l’effacement du citoyen concerné devant le consommateur individualiste, hypnotisé par l’avantage instantané, avide de simplicité… et légèrement possédé par l’afflux de dopamine dès qu’il voit un nouveau like sous sa dernière photo de chaton.

Sous-titré « Comment la nouvelle oligarchie de la tech a pris le contrôle de nos vies », le livre des deux membres de Tech Trash, Lauren Boudard et Dan Geiselhart, explore donc les nombreuses dimensions de cette toile d’araignée douillette tissée par les maîtres du Net qu’on ne présente plus : Google, Amazon, Facebook, Apple, Uber, Deliveroo, Microsoft, Airbnb etc., etc.

Le confort empêcherait-il de penser ?

Dans Les Possédés, vous apprendrez plein de choses passionnantes pour surfer en ouvrant les yeux. Vous remonterez aux sources de l’idéologie de la Silicon Valley qui se nourrit aussi bien des rêves libertaires hippies que de l’idéologie libertarienne ultralibérale qu’on peut résumer par « Le moins d’état possible et zéro régulation : les égoïsmes exacerbés et le marché roi font tout ça très bien ». Vous comprendrez en quoi nous sommes esclaves de la tyrannie de la commodité : tous ces sites et applis apportent tellement de simplicité et de fluidité qu’il est très difficile de s’en passer. Dans Les Possédés, vous découvrirez les chiffres astronomiques du lobbying de la tech et l’ampleur du « pantouflage » de ses hauts responsables… Pour vous faire patienter, je peux juste vous avouer que « En 2018, Facebook aura dépensé plus que le géant du glyphosate Bayer-Monsanto et le roi de la clope Philip Morris en lobbying européen. »

Et parce que je vous sens attirés par les chiffres, je vous promets que vous saurez exactement comment fonctionne l’optimisation fiscale des GAFA (entre autres)… avant de bien comprendre que celui qui paie la plus grosse part d’imposition lors d’une course Uber à 20 €, c’est de très très loin le conducteur. Lire la suite « « Les Possédés » de la tech, c’est bien nous »

Liberté, égalité, beau fessier… au secours !

liberté égalité beau fessier le temps des cerises pubParmi les féministes, il y a un peu de tout. Il y a des personnes plutôt cool qui viennent en paix vers le genre humain, mais qui aimeraient bien que les usages et les droits progressent plus vite qu’un escargot dans une trace de suie. Il y a aussi des personnes qui ont la moutarde au nez facile parce que des siècles de déni phallocrate, cela peut transformer l’impatience en grosse colère. On s’en douterait : dans l’ensemble, cette campagne de la marque Le Temps des Cerises ne leur a pas vraiment plu en février-mars dernier. Après avoir suscité la polémique, jusqu’à son retrait dans certaines communes, la voici de retour en novembre dans les rues. L’occasion de revenir cette fois-ci sur le sort qu’elle réserve au mot « fraternité ».

La fraternité à la trappe

Comment dire… Remplacer le mot « fraternité » de notre devise républicaine par « sororité » afin de souligner le combat pour rendre les femmes plus visibles et plus écoutées dans tous les domaines, on voit l’idée. Remplacer « fraternité » par « beau fessier », là, disons-le, on n’est plus dans l’amicalité et le progrès du genre humain.

« Habillez-vous donc chez nous et vous aurez de plus belles fesses » n’était pas trop jouable… et puis c’est trop long, voire un peu sur-prometteur. Il vaut mieux s’en tirer avec une revendication pseudo-révolutionnaire et une rime qui balance pas mal des hanches. Au pire, c’est le bad buzz des Chiennes de Garde, mais pourquoi pas ? C’est quand même du buzz… On brûle d’envie de consulter les recommandations du planning stratégique sur cette campagne. Sous-titrage pour les non-communicants : le planning stratégique n’a rien à voir avec le planning familial. Dans les agences de pub, c’est le service réunissant des têtes pensantes très à la pointe des tendances marketing et sociologiques pour identifier le bon angle à donner à un message publicitaire hyper en phase avec son époque.

Le marketing de la fesse, c’est compliqué

À la place, nous devons nous contenter de la justification de la marque face à la polémique sur les réseaux sociaux (sur son site également): Lire la suite « Liberté, égalité, beau fessier… au secours ! »

Voltaire contre Rousseau… et vice versa

Roger-Pol Droit Monsieur, je ne vous aime point Voltaire RousseauSi vous avez adoré les Lumières, c’est peut-être la faute à Voltaire. Si vous avez pensé que la nature, c’est vraiment trop beau, c’est sans doute la faute à Rousseau. Quoi qu’il en soit, ces deux-là ont marqué à jamais les lettres et la pensée politique, votre bac de français et votre découverte de la philo en terminale. Irréconciliables en leur temps, mais rapprochés pour toujours au Panthéon, ces deux-là méritaient-ils d’être amis ? C’est l’histoire de cette rencontre manquée que nous raconte avec brio le philosophe Roger-Pol Droit dans Monsieur, je ne vous aime point (Ed. Albin Michel). Mettez votre perruque poudrée, on selle les chevaux…

Un roman philosophique, s’il vous plaît

Après nombre d’essais philosophiques aussi accessibles que passionnants, Roger-Pol Droit teste la double-biographie romancée à perspectives philosophiques. Un coup d’essai ? Non, un coup de roman et un coup de maître. Nous voilà embarqués dans l’intimité d’un XVIIIe siècle qui hésite entre un Dieu roi et la Raison reine. Roger-Pol Droit alterne les chapitres « Voltaire » et « Rousseau » pour nous expliquer comment le Jean-Jacques qui admirait Voltaire va devenir son pire ennemi. Au fil de l’aventure politique et intellectuelle de Voltaire et Rousseau, nous découvrons leurs tempéraments opposés et les écarts moraux que ces deux monstres sacrés peuvent faire entre ce qu’ils écrivent et ce qu’ils vivent. Dans Monsieur, je ne vous aime point, nous voici ballotés de moments de gloire en exils forcés (vers Genève, vers la Prusse) et de protecteurs (Frédéric II de Prusse pour Voltaire, David Hume pour Rousseau) en protectrices (Madame de Varens, dite « Maman » pour Rousseau, Madame du Châtelet pour Voltaire, et d’autres encore). Nous sommes également éclairés sur les péripéties personnelles qui ont pu interagir avec leur philosophie, aux côtés des encyclopédistes Diderot et d’Alembert.

Nous voici mis dans la confidence des failles et faiblesses de Rousseau et de Voltaire, de leurs maladies intimes comme de leur sexualité, de leurs compromissions comme de leurs élans de bravoure… et l’admiration côtoie vite l’inquiétude apitoyée : c’est la force de l’exercice romanesque. Même s’il m’est arrivé de me demander ce qu’il fallait considérer comme « romanesque » et ce qui restait très fidèlement historique, on peut faire confiance à la probité de Roger-Pol Droit pour ne jamais trahir ses « personnages ». Lire la suite « Voltaire contre Rousseau… et vice versa »

Dans la salle d’attente avec Good Doctor

Good Doctor Autisme Intelligence artificielleVous n’êtes pas encore traités contre la boulimie de séries TV ? Vous pourriez alors avoir une ordonnance de ce type : « 2 épisodes par semaine de Good Doctor ». Depuis Urgences, le milieu hospitalier est un vrai bouillon de culture pour les séries à succès. La série Good Doctor, qui revient pour la saison 2 sur TF1 le 11 septembre, a une particularité très « Ressources Humaines » qui mérite d’être examinée… Allongez-vous, je sors le stéthoscope. Lire la suite « Dans la salle d’attente avec Good Doctor »

Carrément troublant, jamais innocent

36 carrés bleus sur fond de blog

En cette rentrée, je n’ai pas décidé de vous faire une petite rédaction sur mes jolies vacances. Non, car franchement quel intérêt ? Je vais plutôt vous parler d’un tic de langage qui m’a interpelée, comme on dit : le « carrément » à tout bout de champ. Je sais, c’est carrément ambitieux. Et Dupont aurait répondu : « Je dirais même plus : carrément. »

Un tic vaut mieux qu’un toc

Comme vous le savez… ou pas, les tics de langage et les expressions toutes faites qui se répandent comme des virus dans les conversations, peuvent donner lieu à des interprétations sociologiques et sémantiques plus ou moins pertinentes. Parmi ces nombreuses expressions qui saupoudrent les dialogues, on peut citer les « Je dis ça, j’dis rien », «en fait »,  « genre », « du coup », « y’a pas de souci », « tout à fait », « j’ai envie de dire », « effectivement »… On les remarque beaucoup plus facilement chez les autres que chez soi. Cela doit encore être une histoire de paille et de poutre.

L’un de ces tics a retenu mon attention cet été (mais pourquoi cet été ???) : c’est l’adverbe « carrément ». On ne le trouve pas dans la bouche de géomètres, de physiciens ou de fabricants de carrelage. Il est assez répandu dans une tranche d’âge allant de 12 à 26 ans (à la louche, n’est-ce pas), une période largement plus longue que celle des poux. « Carrément » sert à souligner son approbation, à ânonner qu’on « en est », qu’on est sur la même longueur d’ondes. Cet adverbe est donc porteur d’un sens qui remplit à merveille une des fonctions des tics de langage : favoriser la reconnaissance dans sa tribu, jouer l’inclusion et l’agrégation par le langage, pour mieux exclure inconsciemment ceux qui n’en font pas partie (de par leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leur socio-style…).

Carrément bien plus qu’une expression

Une fois le sens de cet adverbe clarifié (sans dictionnaire et sans mon aide, avouez que vous étiez bien embêtés… ahaha), il nous reste à nous interroger sur la starification de celui-ci en particulier, au détriment de synonymes comme « résolument », « complètement » ou « absolument ». Pourquoi la jeune cohorte de nos semblables a privilégié « carrément » sans même se concerter ? Lire la suite « Carrément troublant, jamais innocent »

Vos livres ont des ailes

boîte à livres bookcrossing RouenAu seuil d’un chassé-croisé estival, ça circule et ça échange. Pourquoi pas pour vos livres ? Ils se répartissent en de multiples catégories : ceux que vous relisez, ceux qui vous sont tombés des mains, ceux que vous avez prêtés mais qui ne sont jamais revenus, ceux qui ne quittent pas votre table de chevet, ceux que vous avez promis de lire… Il est temps aussi de désigner les livres-vagabonds à qui vous allez offrir une nouvelle vie en les déposant dans une… boîte à livres.

Que la boîte à livres nous délivre

Depuis quelques mois, j’ai pris une drôle d’habitude. Régulièrement, je passe sur le parvis du musée des Beaux-Arts, non pas pour y abandonner dans la nuit noire un animal de compagnie ou une encombrante machine à laver (vous n’y pensez pas !!!). Non. J’ai rempli un sac de quelques livres que je suis sûre de ne pas relire et je les confie à une des boîtes à livres installées par la municipalité. J’ai d’ailleurs découvert il y a peu qu’on les appelait aussi des micro-bibliothèques, mais je trouve que ça leur va beaucoup moins bien. J’ouvre donc la petite porte de ma boîte à livres et je regarde ce que les autres donateurs ont déposé pour faire éventuellement un échange de bons procédés. Les Annales du Bac de Français 2007 ou un sacré Emmanuel Carrère ? Un vieux polar tout jauni ou un livre de cuisine qui n’a pas servi ? Parfois, je dépose mes deux-trois livres sans rien reprendre : la pêche à la langouste est maigre. Parfois, la grande roulette du livre est avec moi et je trouve même de la philo : la pêche à la lecture a été bonne !

Rien n’est programmé

La boîte à livres, c’est de l’anti-Amazon pur et dur. Pas de recommandations qui veulent vous conforter dans des goûts supposés, pas d’optimisation fiscale qui nous la fait à l’envers. Rien n’est écrit. Tout est à lire. C’est la surprise totale et l’échange pur et simple. Ma boîte à livres, c’est un moment de hasard incongru et décalé, sous la surveillance majestueuse de deux arbres remarquables du square contigu. J’ai souvent une pensée pour les futurs lecteurs ou lectrices des livres que j’ai libérés. Ce rejeton de Bernard Werber… dans quelles mains attentionnées tombera-t-il ? Ce manuel de lecture rapide, de quel futur dévoreur de bouquins va-t-il faire le bonheur ?

J’aime ce geste de faire passer des livres à des inconnu.e.s. Pourquoi les laisser prendre la poussière alors qu’ils peuvent encore se dégourdir les pages ? Le grand cycle du plaisir de lire est décidément vertueux. Si vous disposez dans votre quartier d’une de ces boîtes poétiques, ouvrez la cage aux oiseaux du bonheur que sont nos chers livres.

TSUN-DICO déferle sur le bout de la langue

Tsun-Dico Sabine Duhamel Editions AutrementDe la même façon que le monde est plein de plats que nous n’avons jamais goûtés, les langues étrangères sont riches de mots sans équivalent dans celle de Molière. Heureusement, il y a maintenant le TSUN-DICO, sous-titré en toute clarté  : « 200 mots que le français devrait emprunter aux autres langues». Pour voyager avec le sourire, sans passer aucun portique d’aéroport.

Des mots nouveaux à picorer

J’ai ma petite collection de livres spécialisés dans les néologismes et autres mots valises. J’en raffole et j’en commets parfois. Voici un livre cousin : il n’invente rien, mais son autrice a glané aux quatre coins du monde des mots qui comblent des vides pour nos oreilles francophones. Je vais le glisser sur le plateau inférieur de la table basse pour y picorer régulièrement. Entre deux noix de cajou et une tartine de tapenade, on grignotera avec plaisir le mot tsundoku qui, pour les lecteurs japonais, désigne « l’accumulation en piles de livres qui ne sont jamais lus » ou le pana po’o hawaïen qui résume enfin cette « façon de se gratter la tête pour mieux se rappeler quelque chose ». À moins que vous lanciez à l’apéritif, mais sans viser personne, le terme indonésien jayus, une « blague tellement pathétique qu’il vaut mieux en rire »… Lire la suite « TSUN-DICO déferle sur le bout de la langue »

Notre-Dame du Phoenix

Notre-Dame de Paris, 15 avril 2019, incendie, réflexion psychologiqueEt si une cathédrale en feu pouvait symboliser l’édifice de votre existence ? Après la sidération et les polémiques entourant l’incendie de Notre-Dame de Paris, un moment de vérité personnelle peut se faire jour dans les cendres refroidies… ou pas. C’est vous qui voyez.

Pour la postérité des Internets, je rappelle que le 15 avril 2019, la charpente de Notre-Dame de Paris est victime d’un incendie désastreux. Un brasier dévore la charpente, surnommée la « forêt » et fabriquée à partir de troncs du XIIIe S. ! La flèche rajoutée par Viollet-le-Duc au XIXe S. s’effondre sous nos yeux, dramatisant plus encore la scénographie. L’émoi dépasse les frontières. Le symbole de Paris et de la France, qui fusionne profane et sacré, littérature et histoire commune, est la proie des flammes et du destin, alors que les deux guerres mondiales l’avaient épargnée.

En dehors des polémiques sur la valeur du patrimoine par rapport à la condition des « misérables ». Au-delà du paradoxe de la fiscalité des dons au patrimoine qui nous rappelle aussi que la collectivité n’a plus les moyens de sauvegarder ses trésors toute seule. Au-delà de la ferveur culturelle et des ventes relancées du roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, quel déclic peut nous offrir malgré tout l’événement ? Vous l’aurez compris : je parle de déclic, car je n’ose pas parler d’étincelle.

Moi, cette cathédrale en feu m’a rappelé soudainement que nous faisons au quotidien comme si tout un tas de choses étaient immuables. Certains monuments mythiques. Le confort de l’électricité et de l’eau potable. La présence de ceux que nous aimons. Cette longue paix sur notre continent, ensanglanté pendant des siècles par les guerres. Le contrat républicain qui protège vaille que vaille contre la barbarie ordinaire. Le chant des oiseaux, les lilas qui refleurissent à chaque printemps et tout le toutime. Le ravage de Notre-Dame de Paris a fini par me faire poser quelques questions dérangeantes. Qu’est-ce qui dans ma vie me parait aller de soi, mais qui pourrait partir en fumée sans que je n’ai rien vu venir ? Quelles sont les relations ou les domaines de ma vie que je néglige parce que tout a l’air posé là, comme « sur le parvis depuis 850 ans » ? Qu’est-ce qui a de la valeur pour moi et qui pourrait être « sacré »… au-delà des poncifs du cœur ? Qu’est-ce qui pourrait me donner le courage des soldats du feu pour batailler face au tragique ? Même les athées militants et les anarcho-libertaires nihilistes qui méprisent le patrimoine ont une espèce de cathédrale à eux planquée quelque part dans leur tête. Peut-être par exemple, un monument à la gloire de la liberté ou une construction idéologique en pierre dont les vitraux ne laissent passer que certaines lumières intellectuelles et pas les autres.

Je me suis dit aussi que sans désastre, il y aurait peu de reconstructions, de plaies fièrement refermées, de résiliences qui métamorphosent les drames. Qu’est-ce qui peut me donner la foi de reconstruire, dans ma vie routinière ? Quelles sont, dans nos existences, les incendies malencontreux qui nous ont obligés à reconstruire et avec quels effets positifs ? Quels sont aujourd’hui, les éléments de ma vie que je préférerais voir disparaître en fumée… mais que je n’ose pas embraser ?

Sur les écrans du monde, une catastrophe sensationnelle en remplace une autre. L’ennui, avec notre cerveau humain et notre émotionnelle condition, c’est que nous sur-réagissons aux événements choquants et ignorons les évolutions lentes, sourdes et implacables qui changent notre vie ou notre monde sans faire de bruit. Est-ce l’autre pan invisible de notre tragique condition ? Autant en avoir conscience et essayer de réfléchir avec un autre point de vue sur les pavés que les événements soudains font tomber dans notre mare.

 

Factfulness ou l’autre guerre du faux

Factfulness, Hans Rosling, Flammarion, raisonner à partir des faitsOn parle beaucoup de la propagation inquiétante des fausses nouvelles, boostées aux amphétamines des réseaux sociaux. On parle moins de la survie de nos a priori dépassés sur le monde dans lequel nous vivons. C’est là où Factfulness, le livre de Hans Rosling, médecin et professeur de santé publique suédois, fait office d’écarteur de paupières pour les autruches que nous sommes malgré nous. Bill Gates a rangé son livre parmi « les plus importants qu’il ait jamais lu ». Effectivement, lecture passionnante et dérangeante, car prendre des décisions fondées sur des faits plutôt que sur des opinions n’a jamais paru aussi important. En route pour la « factualité »…

Hans Rosling, le médecin statisticien…

Notre homme a été médecin, conseiller pour l’OMS et l’UNICEF, ainsi qu’un des initiateurs de l’ONG Médecins sans Frontières en Suède. Il a également été statisticien et à l’origine d’un outil logiciel de visualisation des données utilisé dans des conférences TED très remarquées. Convaincu de l’effet dévastateur des idées fausses sur la marche du monde, il participe aussi à la création de la fondation Gapminder, non pas un énième « think tank » mais plutôt un « fact tank » pour mettre en scène et diffuser les statistiques produites par les grands organismes internationaux, mais étonnamment peu vulgarisées par les grands médias.

Tous des cancres… ridiculisés par les chimpanzés.

Vous pensez encore que le monde se divise entre pays développés ultra-riches et pays en voie de développement ? Vieux reste de vos cours de géo… Les chiffres sont contrariants, car la majorité du monde se trouve aujourd’hui entre les deux en termes de niveau de vie. Vous surestimez la mortalité infantile ? Les chimpanzés qui répondent au hasard ont un meilleur score au quiz de Hans Rosling que la plupart d’entre nous. Et ce ne sont que deux petits exemples. Même l’élite du monde économique réunie à Davos en janvier 2015 a été battue par les primates sur l’augmentation de la population mondiale et la vaccination des enfants dans le monde… Lire la suite « Factfulness ou l’autre guerre du faux »

Blague à part et références communes

Boursorama Banque affiche campagne février 2019 la banque la moins chaire Boursorama Banque vient de lancer une campagne avec un budget d’achat d’art très réduit. L’épure graphique comme on dit. Le jeu typographique sur fond blanc suffit à délivrer un message des plus simples : « Nous sommes encore classés au top des banques les moins chères. Mais attention, on n’est pas que les moins chers. On est aussi des petits malins.» Une affiche a particulièrement titillé ma rétine : celle où la bravoure d’une faute d’orthographe volontaire tacle gentiment le destinataire pour l’inciter à être aussi pointu en analyse de frais bancaires qu’en orthographe.

Découpage en trois tranches de la cible

Les passants qui ont croisé l’affiche se répartissent sûrement en trois groupes.

  • Ceux qui ont vu la faute, mais qui sont du genre un peu bougon, avec myopie aggravée ou paresse avérée sur les petits caractères. Résultat : ils n’ont pas été en mesure de lire la morale de l’histoire, écrite en plus petit juste après. Alors ils ont sûrement pesté : « Non, mais franchement, c’est la fin des topinambours si on se permet des fautes pareilles sur les affiches. Il faut vraiment que Jean-Michel Blanquer mette le paquet sur la langue française. »
  • Ceux qui n’ont pas vu ni la faute, ni la phrase en dessous, mais qui, comme la vie est injuste, risquent d’avoir tout de même capté l’essentiel : Boursorama, c’est les moins chaires/chers. Simple, binaire, pas besoin d’avoir un score de 920 au Certificat Voltaire pour croire tout ce qu’on vous dit.
  • Ceux qui ont vu la faute, ont été intrigués et ont lu la suite. L’élite intellectuelle qui peut frimer en savourant un jeu de mot orthographique ? Un petit jeu relationnel très judicieux en tout cas puisque les neurosciences semblent établir que l’effort intellectuel récompensé par un clin d’œil favorise la mémorisation du message.

Savourons donc ensemble ce plaisir de snob intello pendant qu’il en est encore temps. Qui sait ? Bientôt les jeux de mots orthographiques seront à manier avec des pincettes à sucre en levant le petit doigt. En effet, si de moins en moins de gens voient la faute, il n’y a plus de jeu de mot… et fin de la partie.

Une bonne correction, c’est tout ce qu’on mérite.

Si vous travaillez dans la communication, vous savez peut-être que les correcteurs et secrétaires de rédaction vont d’ailleurs redevenir indispensables. Ils tiennent leur revanche : des supports de presse écrite qui pensaient s’en passer pour faire des économies les ont finalement rappelés pour pallier les lacunes des nouvelles recrues. CQFD avec les articles de certains médias en ligne qui balancent le verbiage aussi vite que leur ombre sans avoir bien relu. Ou avec les pauvres stagiaires des chaines d’info en continu qui nous font bien rire jaune en s’emmêlant les touches en direct pour rédiger les bandeaux en bas de l’écran. Mais, mais, mais…  le péril orthographique ne cacherait-il pas une autre forêt ?
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« Que faire des cons ? » Vaste programme…

Que faire des cons ? Maxime Rovere Flammarion« Que faire des cons ? » Un bien joli titre choisi pour son nouveau livre par Maxime Rovere, spécialiste de Spinoza… et très habilement sous-titré « pour ne pas en rester un soi-même. » Point de guide pratique en 10 leçons pour en finir avec le tonneau des Danaïdes de la connerie humaine. Le propos est bien moins démagogue et le voyage intellectuel qui nous attend bien plus vertigineux et déroutant, car manifestement, avec les cons, nous nous trompons souvent de diagnostic et de stratégie…

Emportés par la foule chute ?

L’idée du sujet a été donnée à l’auteur par une colocation difficile… mais nous n’en saurons pas beaucoup plus. N’y tenant plus, cherchant la catharsis, Maxime Rovere a manifestement choisi d’affronter le problème en brave philosophe. Il s’est alors vite aperçu que le sujet avait été très peu traité dans sa discipline. De peur de quitter les hautes sphères de la réflexion conceptuelle ? Peut-être… Un des constats majeurs de Maxime Rovere dans « Que faire des cons ? », c’est que la connerie a le don de nous faire perdre notre capacité à réfléchir. La colère et le mépris qui nous saisissent face à elle rendent impossible toute contre-attaque « efficace ». Les cons et les connes ont un vrai don pour nous entraîner dans leur chute. Chute évidemment, car nous nous sentons toujours supérieurs à eux. Une « supériorité » tout en paradoxes, puisqu’il n’est pas rare que nous soulignions plutôt sans le savoir notre impuissance : en convoquant une morale surplombante (est-elle au moins partagée ?) ou en appelant à une loi protectrice (comme si l’État pouvait se substituer à chaque citoyen face à chaque con fini).

La connerie défie l’intelligence

La grande force de l’approche de Maxime Rovere, c’est de nous faire réaliser qu’il y a Lire la suite « « Que faire des cons ? » Vaste programme… »

La revanche de l’infusion est pour bientôt

infusion Eléphant, tisane, inventer l'eau chaudeEau chaude, tisane, infusion ou pisse-mémé… la boisson aux plantes enchante l’hiver de ceux qui ne boivent pas que du café. Tilleul pour les stressés, romarin-girofle-cannelle pour les soucieux de leur système immunitaire… : il y en a pour tous les goûts et tous les bibis. Ceux qui font un rictus de dédain devant ces breuvages de mauviettes feraient bien de s’entraîner et de planter des herbes sur leur balcon, car des chercheurs britanniques se font bien du souci pour les caféiers d’ici 2080, essentiellement à cause du dérèglement climatique. D’ici là, George Clooney et ses capsules nous auront sans doute quittés… et les derniers grains torréfiés se dealeront Place Vendôme. Sortez les mugs et les bouilloires. Ça va chauffer. Lire la suite « La revanche de l’infusion est pour bientôt »

Comment tenir ses bonnes résolutions ? (acte 2019)

« Mes bonnes résolutions » - 100 résolutions que vous allez tenir en 2019 Florence Cathala – Librio. Après avoir évité toutes les embûches de Noël, les sujets qui fâchent en plein chapon aux morilles et les cadeaux les plus moches immortalisés sur Instagram, vous voilà au seuil d’une nouvelle année. Excitation. Vous avez renoncé aux horoscopes pour nymphettes et aux voyantes pour désespérés pas si désespérés que cela. C’est décidé, le destin ne s’écrira pas malgré vous : vous le sculpterez au burin de votre propre volonté. Bref, vous allez vous reprendre en main avec une belle liste de bonnes résolutions. Je vous félicite. C’est grâce à des gens comme vous que le monde avance, grâce à des gens bien décidés à ne pas gober les jours en mode lymphatique. Ferez-vous preuve d’originalité par rapport à vos congénères ou par rapport à l’année dernière ? Mettons-nous en mode offensif, s’il vous plaît.

L’important, c’est le bon départ, la détermination et l’équipement

… et comme sur un 100 mètres, il n’y a pas un quart de seconde à perdre. Après avoir étudié la question avec de nombreux scientifiques de la NASA, du CERN et du CNRS, on peut vous donner les premiers conseils, accompagnés du kit spécial « bonnes résolutions » :

-un marque-page vierge et/ou de multiples pense-bêtes, pour y inscrire votre mission,

-un journal personnel pour vous fixer des objectifs hebdomadaires,

-la stratégie japonaise des petits pas (le kaizen),

-un livre qui tombe à pic pour vous donner avec humour de nouvelles idées : « Mes bonnes résolutions » – 100 résolutions que vous allez tenir en 2019 par Florence Cathala – Editions Librio.

En fonction de la nature de vos bonnes résolutions, vous pouvez bien sûr vous équiper de toutes les béquilles numériques que vous voudrez : les applis de coaching personnel ont fleuri avec bonheur pour mieux remplacer la petite voix intérieure vite inaudible quand la motivation décroit. Comme vous pouvez le constater, on n’est pas ici pour faire semblant, entre le 1er et le 5 janvier seulement. Non mais. Au boulot… Lire la suite « Comment tenir ses bonnes résolutions ? (acte 2019) »

Délivrez-vous !

Délivrez-vous Paul Vacca
Cellulose imprimée sur bois vitrifié, 2018

Adeptes de la pensée binaire pour/contre ou noir/blanc, passez votre chemin. L’essai de Paul Vacca, Délivrez-vous, sous-titré « Les promesses du livre à l’ère numérique » n’est ni techno-phobe, ni techno-béat. Ce n’est pas un plaidoyer pour une déconnexion devenue impossible. C’est le manifeste qui tombe à pic pour tirer le meilleur parti de ce qui est digital et de ce qui ne l’est justement pas. Le livre papier en est un excellent exemple, ce héros de la résistance, malgré un raz-de-marée sans cesse annoncé de l’e-book… et constamment remis à plus tard. Alors que l’émerveillement numérique des débuts s’estompe, il n’a jamais été aussi libératoire d’ouvrir un livre, de se laisser surprendre par les conseils de son libraire ou de prêter un livre écorné à son meilleur ami… Amis de la pensée en liberté, à vos canapés. Un bijou d’intelligence d’à peine 100 pages vous tend la reliure. Lire la suite « Délivrez-vous ! »

Comment notre monde est devenu cheap

Comment notre monde est devenu cheap Raj Patel Jason W MooreUn chanteur français toujours vivant (si, si) nous a déjà mis en garde sur l’impasse qui consiste à croire que le bonheur, c’est d’avoir. Avec Comment notre monde est devenu cheap, l’économiste Raj Patel et l’historien Jason W. Moore nous racontent comment la « fièvre du pas cher » que les auteurs appellent la cheapisation, poursuit sa course depuis des siècles, en touchant la nature, le travail, l’alimentation, l’énergie… et la vie tout court. L’invité d’honneur que l’on découvre sous un nouvel angle n’est autre que Christophe Colomb. Montez à bord qu’on fasse les comptes… Lire la suite « Comment notre monde est devenu cheap »

Un Épicure de rappel ?

Vignerons de Champagne, luxe, fête, quotidien, EpicureLe saviez-vous ? Le bling bling, c’est vraiment très has been. La preuve avec la nouvelle campagne de communication des Vignerons de Champagne : place au luxe quotidien dans toute sa sobriété. Personnellement, comme j’adore me régaler de bonnes sardines à l’huile sur une tranche de pain au levain légèrement tartinée de beurre, je ne pouvais que tomber en arrêt devant l’une des affiches où le vin pétillant accompagne mon festin marin. Trinquons ensemble à la santé des oxymores…

Nature morte pour célébrer la vie

Nous voici donc en pleine nature morte, un peu hors du temps. S’il n’y avait pas cette boîte en métal entrouverte et fort industrielle, un peintre hollandais du XVIIe S. pourrait se trouver dans la pièce. On a commencé à croquer dans la tartine en fermant les yeux. La table a l’aspect du béton ciré : un luxe qui ne dit pas son nom, tout en rudesse et sans apparat. Elle trône fièrement cette flûte, élancée vers le ciel dans le sens des bulles qui s’échappent aussi vite que les secondes de délectation. Au lieu de savourer distraitement le breuvage royal dans une assemblée festive et bruyante, nous voilà semble-t-il en solo, en douce et sans confettis.  Le champagne tente de se désolidariser de ce qui fait son univers de prédilection : la fête, l’anniversaire, la célébration, l’exception. Dans un oxymore imparable, le voici « réservé à toutes les occasions ». Le prix moyen d’une bouteille de champagne permet-il au breuvage de remplacer votre eau pétillante ? Attention, il faudrait que vous demandiez à votre banquier et à votre médecin généraliste. Je le rappelle : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé et votre porte-monnaie. À consommer donc avec modération. »

Le champagne : autant de bulles que de questions.

Avec un tel bouleversement de notre échelle des valeurs entre la sardine et le caviar, un flot de questions ne tarde pas à nous assaillir dans l’abribus… Lire la suite « Un Épicure de rappel ? »

Soyez inspirés !

Inspiration Soyez Inspirés ! Barilla Comment avoir des idées ? Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il suffit qu’on me dise « Sois spontanée et naturelle » pour que tout à coup, un indélicat parfum d’injonction paradoxale se dégage dans la pièce. On ne peut être spontané que si personne ne nous a rien demandé. De la même façon, je me demande vraiment si on peut être inspiré… sur commande ?

Mais au fait, c’est quoi l’inspiration ?

En pleine suspicion de paradoxe, soyons donc méthodiques au pays des muses. Allons d’abord pêcher la définition. Larousse.fr nous dit ceci : inspiration définition Comment avoir des idées ?On s’aperçoit donc qu’en ce qui concerne l’inspiration, deux canaux sont possibles. On peut la chercher en soi comme une impulsion ou un feu follet qui s’amuse à vous échapper quand vous croyez la contrôler. On peut aussi l’espérer comme une intervention extérieure venant d’une source mystico-invisible : Dieu, muse, ange-gardien, esprit bienveillant, etc.  Donc, dedans ou dehors ? D’emblée, cette chose, on ne sait jamais où on l’a rangée : voilà qui ne facilite pas les choses. Dans un cas comme dans l’autre, cela peut se terminer par une banale sauce tomate sur les fusilli si l’inspiration a décidé d’aller crécher ailleurs. Je vais vous faire un aveu fondé sur mon humble expérience personnelle : s’en remettre à l’inspiration, il n’y a finalement rien de plus bloquant. C’est un tremplin à excuses. Lire la suite « Soyez inspirés ! »

Et si Platon revenait…

Et si Platon revenait Roger-Pol Droit

Après l’avoir croisé en classe de Terminale, nous avons à nouveau rendez-vous avec ce cher Platon dans une galerie d’art contemporain, au Mc Do ou au mémorial de la Shoah. C’est le philosophe Roger-Pol Droit qui nous le présente : ils se sont recroisés à la COP21 après avoir échangé sur Facebook. Avec « Et si Platon revenait… », l’auteur habitué des expériences de pensée philosophiques nous embarque dans un télescopage des plus stimulants à la redécouverte de ce Platon que tout le monde croit connaître. De scènes décalées en rebondissements intellectuels, nous n’avons pas fini de sortir de notre caverne…

Platon, candide au XXIe S. ?

Parachuté en 2018, Platon réaliserait par exemple que nos écrans sont nos cavernes mobiles où se projettent en permanence des reflets de la réalité qu’il nous faut sans cesse interroger. Il reconnaîtrait chez les dir’com les nouveaux sophistes, qu’il a bien connu dans sa Grèce antique. Il s’étonnerait que la dissidence et la rébellion soit constamment célébrée (pour mieux la neutraliser ?) au point d’offrir à un de ses représentants le Prix Nobel de Littérature. Il prendrait Google avec des pincettes : ce n’est pas parce que tout le savoir du monde est à notre portée que cela suffit à notre intelligence. Il faut avoir préalablement trouvé ailleurs des principes organisateurs pour faire le tri, comme pour la nourriture, entre savoirs indigestes, avariés, toxiques ou pathogènes. Platon se rend aussi à Pôle Emploi, visionne House of Cards, se balade sur Meetic, va chez le psy ou croise Thomas Pesquet. Roger-Pol Droit nous régale intellectuellement en confrontant le penseur des dialogues athéniens à une quarantaine de sujets contemporains. Mais il va beaucoup plus loin. Lire la suite « Et si Platon revenait… »

Feuilles de lotus

Robert Wright, Le Bouddhisme a raison et c'est scientifiquement prouvé, méditation pleine conscience, psychologie évolutionnisteAdeptes du yoga en quête uniquement des bonnes postures, passez votre chemin. Avec « Le Bouddhisme a raison et c’est scientifiquement prouvé », best-seller traduit en 25 langues, le spécialiste des sciences cognitives Robert Wright, n’a pas écrit un manuel mais abordé la méditation en sceptique. C’est ce qui fait le sel de l’affaire. Avec son enquête scientifique enrichie en pépites d’humour sur la nature humaine, il nous emmène très loin sans bouger de notre coussin…

Assieds-toi et sors donc de la Matrice

Psychologue, Robert Wright anime des séminaires à Princeton sur le bouddhisme, la méditation et les sciences cognitives. Il ne s’intéresse pas véritablement aux aspects religieux. Ce qui le passionne dans la méditation, c’est ce que le cerveau en fait. Ça démarre à la vitesse de la lumière avec la scène mythique du film Matrix où le héros Néo découvre qu’il vit dans un monde virtuel rêvé, une prison algorithmique appelée la Matrice. Orpheus, le mentor des rebelles qui le contactent, lui demande de faire un choix cornélien : avaler la pilule bleue et retourner tranquillou dans son univers artificiel ou prendre la pilule rouge et briser le voile de l’illusion pour vivre dans le réel. Bien sûr, notre Néo est un héros : il avale la pilule rouge et tout commence… Pour les adeptes du bouddhisme occidental et Robert Wright, avaler la pilule rouge ressemble bel et bien à la méditation de pleine conscience… mais sans Keanu Reeves. Il s’agit de sortir des conditionnements narcissiques et des illusions que notre cerveau biologique reproduit sous l’emprise de… la sélection naturelle !

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Aphorismes d’un parfumeur

Aphorismes d'un parfumeur - Nez littérature Contrepoints Dominique RopionNous sommes tous nés quelque part mais certains sont nez. Dominique Ropion est de ceux-là. Son odorat est devenu une palette. Ce sens « reptilien » est chez lui d’une subtilité supérieure. Auteur de nombreux succès de parfumerie, il nous offre un vrai dépaysement sensoriel pour nos péninsules olfactives ordinaires…

Poésie chimique, mais jamais chimérique

Se plonger dans « Aphorismes d’un parfumeur », c’est comme ouvrir un flacon étrange. Premièrement, parce qu’on n’y trouve aucune « sentence, phrase brève et doctrinale ayant une portée philosophique ou morale », définition grosso modo de l’aphorisme. C’est un mot qui sent néanmoins très bon à l’oreille. Dans ce flacon de papier, on se régale de courts chapitres qui nous font naviguer dans la palette du nez.

On découvre que la coumarine a bercé notre enfance grâce à une fameuse colle blanche en pot. On y croise la frambinone barbe à papa, le veltol à effet caramélisé, le Verdox, l’Hédione, le Cashmeran ou l’Ambroxan. Ces noms étranges pourraient-ils être aussi évocateurs que du Baudelaire s’ils étaient agencés avec talent par un poète un peu chimiste ? Un jour peut-être… Pour l’instant, le poète en question est un nez comme Dominique Ropion qui assemble les molécules sans relâche, sur le fil d’un funambule, tant la chimie des quantités et le mariage des accords sont subtils. À travers son récit qui procède par touches, on comprend mieux la patience infinie qu’il faut pour créer un nouvel élixir et cela ne peut laisser indifférent. Cette patience est la sœur siamoise de l’humilité qui doit accompagner tout lancement d’un nouveau « jus ». Une humilité lucide devant le succès imprévisible de certains parfums et l’accueil mitigé de certaines créations. Dominique Ropion en fait une règle de création aussi mystique que détachée en reprenant le mot de Jean Cocteau : «Puisque ces mystères nous dépassent, il convient de feindre d’en être l’organisateur. » Quand le succès est au rendez-vous, cela donne Ysatis ou Amarige de Givenchy, La vie est belle de Lancôme, Alien de Mugler, Invictus de Paco Rabanne, Portrait of a Lady chez Frédéric Malle, etc.

Une touche de Leibniz dans le cou ?

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Être ou ne pas être soi-même… en T-Roc.

Volkswagen T-Roc affiche Il est emps d'être vous-mêmeVous ne pensiez pas qu’avec une Volkswagen, on pouvait avoir du Nietzsche en option ? On n’arrête pas le progrès philosophique, surtout à 130 km/h. Avec cet appel à devenir enfin soi-même, ce Nouveau T-Roc roule à la singularité et nous donne une leçon de conjugaison. Introspection automobile…

Le crossover T-Roc, pour celles et ceux qui savent lire.

Tout d’abord, je voudrais rendre hommage à l’équipe créative qui a osé faire des affiches avec des accroches textuelles au moment où je croise de plus en plus d’affiches « muettes » pour des constructeurs automobiles. Une photo, un nom de modèle et un prix. N’ont-ils plus rien à dire ? On compatit. Sous la signature « Il est temps d’être vous-même », le Volkswagen T-Roc a récompensé mon attention en me donnant à réfléchir. Que me dit-on ? Lire la suite « Être ou ne pas être soi-même… en T-Roc. »

Comment avoir une intelligence de poulpe ?

Le Prince des Profondeurs - Peter Godfrey-Smith - L'intelligence exceptionnelle des poulpesDès que Peter Godfrey-Smith a un moment de libre entre deux cours de philosophie qu’il donne à l’université de Sydney ou de New York, il va nager à la rencontre des poulpes. Ces céphalopodes le fascinent depuis 2007, année de sa rencontre avec une seiche sépia géante dont la peau changeait de couleur en une fraction de seconde. Depuis, il explore pour nous l’intelligence de ces princes des profondeurs dont les tentacules sont pleins de neurones…

Un défenseur de l’indépendance du neurone

Bienvenue en Poulpitude, à la lecture du livre « Le Prince des Profondeurs – L’intelligence exceptionnelle des poulpes » de Peter Godfrey-Smith (Ed. Flammarion). Sans combinaison de plongée, vous allez par exemple imaginer que vos mains et vos jambes sont munies d’un système nerveux avec tous les neurones qu’il faut pour décider d’actions autonomes sans l’aval central de monsieur le cerveau en chef…  C’est le quotidien des poulpes et autres céphalopodes qui possèdent autant de neurones que les chiens (500 millions environ contre 100 milliards pour les humains), mais répartis également dans leurs bras à ventouses ! De quoi rejoindre une idée qui fait son chemin en psychologie y compris pour les vertébrés que nous sommes : notre corps lui-même, plutôt que notre cerveau, serait responsable d’une partie de « l’intelligence » dont nous faisons preuve lorsque nous nous confrontons au monde… Lire la suite « Comment avoir une intelligence de poulpe ? »

Bonhannée avec Philocomix

Philocomix Rue de Sèvres BD

Serez-vous heureux cette année ? C’est bien sûr tout ce que VOUS TOMBEZ PILE vous souhaite en ayant attendu la limite acceptable de la fin janvier, le cachet du blog faisant foi. En 2018, comment choper du bonheur avant qu’il n’aille voir ailleurs ? Oublions les astrologues, les fonds de l’œil chez l’ophtalmo et la cartographie du marc de café. Rencontrons 10 facettes de la quête du bonheur avec les 10 philosophes de la bande dessinée Philocomix

Philocomix, avec 10 super-héros du bonheur

Vous avez passé le mois de janvier à lancer et à recevoir des « Bonne année ». Reste à savoir ce que vous pouvez attendre comme genre de bonheur de votre existence et si la course au bonheur vaut toute la peine que vous vous donnez… Parce que le bonheur, c’est un peu comme une savonnette enrobée d’huile d’olive : à peine on croit l’avoir attrapé qu’il nous file entre les doigts. Un vrai sujet de philo qui nous occupe depuis l’Antiquité : la quête philosophique du bonheur porte même le joli nom d’eudémonisme. Avec Philocomix, la bande dessinée de Jean-Philippe Thivet, Jerôme Vermer et Anne-Lise Combeaud (Ed. Rue de Sèvres), c’est parti pour un décathlon philosophique en BD : un chapitre par philosophe, de Platon à Nietzsche, en passant par les stoïciens qui se préparent à la mort, le fameux pari de Pascal, le bonheur au service du bien universel de Kant, l’utilitarisme de Bentham, la voie de la sérénité de Schopenhauer ou le « deviens qui tu es » de Nietzsche. Un bréviaire dont la lecture à elle seule est déjà un petit bonheur. Dessin enlevé dans l’esprit du roman graphique, clins d’œil humoristiques qui nous rapprochent un peu de ces 10 monstres sacrés, petit topo final avec des renvois sur des vidéos pour en savoir plus… : avec Philocomix, vous serez vraiment paré.e.s pour questionner le produit qu’on veut nous vendre sur tous les tons : le « bonheurisme » contemporain, associé zélé de l’individualisme.

Philocomix Rue de Sèvres BD Pari de Pascal
Du bon marketing ce pari de Pascal…

Attention, la philo, c’est pas du développement perso !

Après être passé.e comme ça de l’Antiquité au Surhomme, vous vous poserez peut-être la même question que moi : finalement, la quête du bonheur en soi ne serait-elle pas un peu vaine ? L’iconoclaste François Cavanna nous a dit : « On court après le bonheur, et l’on oublie d’être heureux. » Voilà qui m’interpelle, Adèle. Se focaliser sur lui, c’est peut-être s’obstiner à traquer l’ombre sans s’occuper de l’essentiel. A contrario, nous avons tellement de mal à le reconnaître quand il est là que certains disent même qu’on le remarque surtout au bruit qu’il fait… en partant. Notre étourderie et notre ingratitude nous rendent en effet bien plus attentifs aux frères ennemis de la félicité, qui ne font pas dans la discrétion : le malheur, la tuile, le drame, la catastrophe naturelle, etc. La philosophie dans tout ça ? Face au paradoxe existentiel de la savonnette enrobée d’huile d’olive, elle n’a pas de recette miracle pour nous rendre heureux. La philosophie ne tient pas un cabinet de coaching sur le Boulevard du Bonheur Assuré. La philosophie cherche à nous rendre plus lucide et c’est rarement un gage de bonheur… au moins dans un premier temps. Elle remplace les fausses certitudes par de saines questions et vous oblige à regarder les événements et les grands mots sous un autre angle.

Philocomix Rue de Sèvres BD Schopenhauer
Un ami des bêtes, ce Schopenhauer.

Alors, peut-être qu’après avoir révisé 10 recettes de philosophes dans Philocomix, il ne nous reste plus qu’à tester la onzième : la nôtre. Un petit cocktail avec du Sénèque, du Kant et du Schopenhauer ? Un doigt de Montaigne avec un poil d’Epicure ? Chacun bricole. Chacun tâtonne. Mais, mais… Voyez plutôt les grands pianistes qui paradoxalement ne doivent surtout plus penser à la position de leurs doigts sur le clavier sous peine de fausse note. En 2018, je ne me mets pas au piano, mais je vais essayer de faire chaque jour ce que j’estime vraiment chouette et drôlement nécessaire d’être fait dans ma vie minuscule… sans penser à la position de mes doigts sur le clavier du bonheur.

May the softness be with you

Eric Bompard cachemire publicité 2017 Soft is the new strongLa trêve de Noël peut être propice aux épanchements utopiques. On peut rêver que toutes les familles se réconcilient autour de la bûche, que la paix universelle entraîne la liquidation totale des industries de l’armement. Générosité, douceur et volupté… En attendant, et à défaut de changer le monde avant l’année prochaine, Éric Bompard nous propose de toucher du cachemire. Divinement chaud et incroyablement doux, le poil de chèvre de Mongolie pourrait-il faire fondre le cœur d’un dictateur et le transformer en agneau ? On peut bien sûr sérieusement en douter.

Bien emmitouflés dans le « soft power »

Qu’à cela ne tienne : dans la grisaille, le béton et les arches de métal, un ange voilé de rouge survole la dureté du monde sur son skate-board. « Soft is the new strong » nous dit Éric Bompard. Effectivement, à l’heure du soft power, la force ultime est plus que jamais dans le pouvoir charismatique et sans contrainte. Tout en douceur, en séduction et en évidence, s’appuyant sur d’autres leviers que la violence. Dans l’entreprise, l’autoritarisme ne permet déjà plus de retenir les meilleurs éléments qui marchent plus que jamais au management qui donne du sens, au leadership qui fait confiance. La force douce, c’est aussi l’accumulation des gouttes d’eau qui creusent une à une la pierre sans relâche ou les millions de pétitionnaires sur Internet  qui font pencher la balance.

Sous le charme de l’évidence avec Hannah Arendt ?

La force douce ne serait-elle pas à rapprocher de la définition de la véritable autorité par la philosophe Hannah Arendt ? Ni coercitive, ni bavarde en argumentation, la véritable autorité décrite par Hannah Arendt s’impose en toute légitimité par son évidence indiscutable. Non coercitive, parce que contraindre, c’est déjà avouer son impuissance sur le long terme. Avare d’arguments à rallonge, parce que trop expliquer, c’est déjà mettre en doute sa légitimité. Le paradoxe de cette autorité tient-il aussi à un parfait dosage entre mystère charismatique et évidence des faits, qui en renforce la transcendance ? On peut imaginer parfois que comme pour se lover dans un pull à la chaleur et à la douceur idéales, tout cela ne tient qu’à un fil… mais quel fil !

 

Peut-on toucher sans retoucher ?

Photo non retouchée, Damart, Décret PhotoshopAu printemps dernier, on apprenait que Claudia Cardinale avait été retouchée sur l’affiche du Festival de Cannes. Alors, comme ça, au royaume de la fiction, on ne se contente pas seulement de raconter des histoires, on maquille la réalité ? Heureusement le « décret Photoshop » va désormais nous rappeler que certaines perfections féminines ne sont accessibles qu’après de nombreux clics de souris… qui, vous l’aurez remarqué, rime avec bistouri.

La vérité au fond du filtre ?

La mention « photo retouchée » veut ramener de la transparence là où les défauts ont été floutés. Mais la vérité toute crue, ce n’est pas si simple. Notre premier réflexe est de toute façon d’envisager la photo comme un miroir neutre de la réalité, alors même que la technologie numérique a aggravé l’écart possible entre la photo et le réel. Comment cette mention empêchera-t-elle l’image de flouer, de faire déduire, spéculer ou fantasmer ?

Susan Sontag nous avait pourtant ouvert les yeux…

En 1977, avant même le déploiement de la photographie numérique, Susan Sontag nous rappelait dans son essai « Sur la Photographie » que « la façon dont l’appareil photo rend la réalité dissimule toujours plus qu’elle ne montre. »  Construite, cadrée, modifiée, « filtrée », etc., la photo à des fins publicitaires (comme à des fins narcissiques sur notre compte Instagram…) est une image qui mêle matériau réel et un retravail du ressort de la  fiction. Tout dépend alors du contrat de confiance qui lie le spectateur et le photographe. Avec « Photo non retouchée », Damart veut sans doute nous associer à un refus du jeunisme et nous y sommes plutôt bien disposés. Mais nous voilà bien démunis pour nous assurer de l’authenticité de cette affirmation qui, au final, s’appuie sur notre confiance « aveugle ».

En fait, il faudrait, dès le Cours Préparatoire, apprendre à ne jamais confondre au premier regard image et réalité, photo et vérité vraie. Devant une image dont on ignore les coulisses, tout reste à interroger. Sans cela, chaque photo, qu’elle soit un exercice esthétique ou un morceau journalistique de la réalité, risque de nous renvoyer dans la caverne de Platon, enroulés dans la peau de bête de nos illusions…

« N’importe quelle photographie est chargée de sens multiples ; en effet, voir une chose sous la forme d’une photo, c’est se trouver en face d’un objet de fascination potentielle. Au bout du compte, l’image photographique vous lance un défi : « Voici la surface. A vous maintenant d’appliquer votre réflexion, ou plutôt votre sensibilité, votre intuition, à trouver ce qu’il y a au-delà, ce qui doit être la réalité, si c’est à cela qu’elle ressemble. »

Susan Sontag, Sur la photographie – Dans la caverne de Platon – Traduit par Philippe Blanchad – Éditions Christian Bourgois

 

 

Le Brio, c’est d’avoir raison avec Schopenhauer.

Avoir raison avec Schopenhauer Guillaume Prigent LibrioDans le dernier film d’Yvan Attal intitulé LE BRIO, le professeur d’éloquence campé par Daniel Auteuil fait référence à un « manuel » incontournable de l’art rhétorique : L’art d’avoir toujours raison, de Arthur Schopenhauer. Ce livre de chevet des apprentis en joute oratoire contient 38 stratagèmes pour emberlificoter son monde. Intrigué(e) hein ?

Pour les divas du prétoire, mais pas que…

Dans le film LE BRIO que je vous conseille d’aller visionner dans une salle obscure, Daniel Auteuil est professeur d’art oratoire à l’université Panthéon II Assas. Il règne sur un amphi rempli d’étudiants et d’étudiantes en droit qui pourraient finir au barreau. Parmi eux, Camélia Jordana interprète une étudiante qui se distingue dès le premier cours… en arrivant en retard. En toile de fond, les difficultés d’une jeune fille qui vient de la cité comme on dit et qui porte un nom d’origine maghrébine, face à un professeur brillant mais qui s’attire la disgrâce de toute la fac par un comportement en rien « bien-pensant ». Il devient le coach de la retardataire, l’improbable future championne d’éloquence qui représentera Assas, et la met en garde d’emblée : rien à voir avec la quête de la vérité, il s’agit simplement de convaincre… L’art d’avoir toujours raison, c’est de la rhétorique, pas de la morale scientifique au service du vrai.  Son bréviaire absolu : le livre des 38 stratagèmes de Schopenhauer, philosophe allemand du XIXe S, reconnu aussi pour sa vision un brin pessimiste de la condition humaine.

Merci qui ? Merci Guillaume Prigent.

Là où nous avons de la chance, c’est que Guillaume Prigent, professeur d’art oratoire à l’université Paris-Nanterre et juré de concours d’éloquence, nous rend le bréviaire du maître plus accessible avec son livre publié début novembre : « Avoir raison avec Schopenhauer » (Librio). Il y commente chacun de ces stratagèmes accompagnés de leur parade et les illustre avec des exemples très récents, aussi bien tirés d’émissions de télévision polémiques que de débats politiques. C’est tout simplement passionnant, chers amis du verbe. Connaissez-vous la rétorsion, qui consiste à retourner l’argument de l’adversaire contre lui ? L’extension, pour interpréter l’affirmation adverse le plus largement possible pour la discréditer ? L’exception de derrière les fagots pour prouver aux oreilles crédules que l’ensemble de la théorie de l’adversaire est caduque ? Plonger dans le manuel d’éloquence de Guillaume Prigent donne l’impression de voir un peu mieux la trame de certains débats survoltés. Certains ont appris à manier ces effets. D’autres sont peut-être des Monsieur Jourdain de la conviction. En tout cas, nous cernons plus précisément notre fragilité intellectuelle face aux plus talentueux des tribuns. Ce n’est pas pour nous rassurer, mais il faut avoir le courage de soulever le voile et de saisir une chance d’être un peu moins naïfs… C’est en cela que Guillaume Prigent qualifie lui-même son livre de « manuel d’auto-défense intellectuel ». Un nouveau moyen de décrypter le débat pour gagner en esprit critique. N’hésitez pas : il ne vous en coûtera que 3 €. Cela peut être très vite amorti à la première engueulade.

Ce que nous cache le volet roulant…

Inconvénients du volet roulant
Le volet roulant est trop vilain en photo… j’ai mis son concurrent stylé.
Photo by Joacim Bohlander on Unsplash

Vous êtes plutôt persiennes ou volets roulants électriques ? Il y a comme ça des questions qui n’ont l’air de rien, mais qui en soulèvent beaucoup d’autres. Derrière le choix du volet roulant, tout un style de vie. Derrière celui du volet manuel en bois ou métal, toute une résistance. Allez, on appuie là où ça fait mal…

Sur ce sujet brûlant, il faut déjà que je me situe à vos yeux. Mon habitation est munie de persiennes métalliques, manipulées à l’huile de coude. Mais, il faut vous dire que j’ai déjà été confrontée indirectement aux effets secondaires du volet roulant électrique, au cours de réparations pénibles à gérer chez mes parents… et aussi à travers une anecdote de personnes enfermées chez elles, à cause d’une panne électrique. Je vous le dis donc tout net, sans pour autant fermer tout volet à la discussion : il y a un drame humain, écologique et urbanistique du volet roulant. Que des hôpitaux ou des résidences de personnes âgées s’équipent de ce système pour fermer tous les volets d’une unité en même temps, je pense qu’on est d’accord pour y voir un avantage majeur, compte tenu du minutage drastique de l’emploi du temps des soignants. Qu’en tant que particulier avec 8 fenêtres, on cède à la paresse en se privant de ces gestes d’ouverture et de fermeture quotidiens hautement symboliques… c’est une faiblesse dont on mesure mal les conséquences anthropologiques au moment de signer le devis. Réquisitoire en 4 points s’il vous plaît… Lire la suite « Ce que nous cache le volet roulant… »

Requiem pour le rêve américain

Noam Chomsky - Requiem pour le rêve américainSi vous êtes encore sous le charme du soft power à l’américaine, biberonné à la success story d’Hollywood ou de la Silicon Valley, sous l’emprise du mythe du self-made man et du vrai pays de la liberté, il est temps pour vous de tomber de très haut. Dans « Requiem pour le rêve américain », Noam Chomsky vous explique pourquoi la bannière étoilée est en lambeaux…

 

10 principes pour casser du rêve

Philosophe, activiste et linguiste ayant enseigné pendant cinquante ans au MIT, Noam Chomsky nous explique en dix chapitres comment le rêve américain s’est fracassé. Une lecture particulièrement percutante sous l’ère Trump. Partir de rien dans le pays glorieux de la libre entreprise et gravir l’échelle sociale quel que soit son milieu d’origine, c’est finished. C’était bon pour le père de Noam Chomsky arrivé aux États-Unis en 1913 d’un village très pauvre d’Europe de l’Est, qui trouve un petit emploi dans un atelier de Baltimore et passe finalement un doctorat. Aujourd’hui, l’auteur l’affirme : « La mobilité sociale est en fait moins grande ici qu’elle ne l’est en Europe. » La démonstration glaçante de lucidité tient aussi à son articulation. Chomsky égraine les chapitres sous forme de principes, de « Principe N°1 : réduire la démocratie » à « Principe N°10 : marginaliser la population » en passant par « Principe N°5 : briser la solidarité » ou « Principe N°9 : fabriquer du consentement ». Un chemin de croix pour le lecteur américanophile qui doit être prêt à revenir sur des mythes joliment entretenus. Amuse-bouche :Requiem pour le rêve américain - extraitDe l’intérêt de rester le patron…

La constitution américaine ? Une construction qui, comme l’expliquait son principal auteur James Madison en 1790, consiste à protéger la démocratie de la folie des pauvres en la confiant à l’élite la plus riche et la plus éclairée. La première économie mondiale ? Financiarisée et délocalisée depuis les années 80, elle a dégradé le niveau de vie de ses couches sociales populaires, piégées par le surendettement. On a droit à une visite guidée très convaincante de la dérive dérégulatrice lancée par Reagan et entérinée par Clinton lors de l’abrogation du Glass Act. Mais là où Chomsky nous ouvre des portes, c’est en soulignant que les États-Unis ne sont pas vraiment capitalistes. Oui, vous avez bien lu. Dans un système purement capitaliste, ceux qui prennent les risques paient les pots cassés. Or les États-Unis se sont comportés en « État-providence » avec les acteurs financiers qui jouèrent avec le feu et entraînèrent la crise financière de 2008. À cause du tristement fameux « too big to fall », ce sont bien les contribuables qui ont payé la facture. Apprend-t-on de ses erreurs ? Noam Chomsky se désespère quand « les gens choisis pour remédier à la crise sont ceux qui l’ont provoquée. » On n’est pas bien patron.

Nous alertant depuis de nombreuses années sur la fabrique du consentement des médias de masse, Noam Chomsky conclut « Requiem pour le rêve américain » en convoquant le penseur des Lumières David Hume et le paradoxe apparent suivant : « Le pouvoir est entre les mains de ceux qui sont gouvernés ».  Il en appelle donc au réveil de la majorité pour tout refonder, par une multitude de petits actes qui vont constituer d’autres moyens d’actions politiques… que ceux qui ont déjà échoué. Âgé de 88 ans, Noam Chomsky met ses espoirs dans une jeunesse qu’il sent porteuse d’un changement profond… Si vieillesse sait déjà, jeunesse pourra-t-elle encore ?

>>>Sur le site Flammarion, la page du livre sorti fin septembre

Marre de me lire ? Écoutez-moi dans #2050LePodcast

#2050LePodcast Rebecca Armstrong podcastJe peux vous dire que vous allez m’entendre ! Attention : aucune menace autoritariste derrière cette expression. Il faut l’entendre au premier sens du terme. Rebecca Armstrong m’a en effet invitée à parler publicité et philosophie en 2050. Un mix étrange et taillé sur mesure pour ma pomme, enregistré chez les Normandy Web Xperts. On airLire la suite « Marre de me lire ? Écoutez-moi dans #2050LePodcast »

Algorithm’n’blues

TSF Jazz, publicité, robot, algorithme, It's a human thing

Quand vous êtes d’humeur chagrine le lundi matin, il vous arrive de vous demander entre collègues et entre deux cafés si vous serez bientôt remplacés par des robots ? Voilà une inquiétude bien légitime face à la surenchère technologique des prodiges de l’intelligence artificielle. Notre monde pourrait basculer dans un cauchemar de science-fiction ou au contraire inventer un nouvel âge d’or du farniente.

Algorithme ? Est-ce que j’ai une gueule d’algorithme ?

Heureusement, même les plus pessimistes s’accordent pour dire que la créativité pure et les métiers du soin seront encore pendant quelque temps l’apanage de l’être humain. Comme pour nous rassurer en musique, TSF Jazz a choisi de souligner que le jazz en est l’illustration : une échappée constamment réinventée, entre improvisation et standards, qui ne répond à aucun programme et préfère toute la gamme des émotions à l’alignement des 0 et des 1. Nous voilà donc ravi.e.s de voir notre apprenti cyber-trompettiste totalement dépité. C’est bien joué tout ça, mais vos doutes sur ce qui nous rend irremplaçables ne s’en vont pas ?

Descartes avait tiré les choses au clair…

Néanmoins, si des intelligences artificielles peuvent désormais composer de la musique (oui, oui), il n’est pas inutile de revenir avec Descartes sur ce qui nous distingue au final de la machine et de l’animal. Être humain, c’est ne pas pouvoir compter sur les schémas très encadrés de l’instinct animal. Être humain, c’est ne pas pouvoir fonctionner selon un programme préétabli comme un machine. Être humain, c’est donc se confronter au tâtonnement, à l’échec et… à la terrible liberté de choix. Aujourd’hui, face à tous les assistants numériques et prédictifs qui colonisent notre quotidien en nous profilant, la résistance va peut-être consister à rester encore plus imprévisibles qu’un solo de jazz.

Et puis, avec notre connaissance intime et millénaire de l’échec, qui sait si un jour nous ne serons pas les mieux placés pour venir en aide à des robots déprimés… car incapables d’improviser aussi bien que nous ?

Rebond bonus avec philosophie magazine

La série scandinave Real Humans qui brouille les cartes et nous affole les circuits imprimés.

Détartrage obligatoire

affiche Fnac septembre 2017, souriez, c'est la rentréeS’il est de bon ton de claironner « Vivement les vacances ! », il est tout aussi logique de souligner l’effort résigné que nous faisons pour reprendre le chemin du labeur. La vérité toute crue, c’est qu’il n’est pas tenable de s’épanouir 5 semaines par an seulement… en passant les 47 autres à gagner de quoi repartir.

Faites un effort, pas la gueule.

Heureusement, la Fnac, grande pourvoyeuse de distractions en tous genres, sait nous remonter le moral dans ces moments difficiles. Puisque nous savons que ce retour à la dure réalité est inéluctable, sourions à la rentrée et à ce que ce nouveau cycle saura nous apporter. Nouveaux défis, nouvelles découvertes, nouveaux succès… : voilà ce qui nous attend et puisque «quand on veut, on peut… », il suffit de sourire un bon coup pour repartir du bon pied. L’image qui nous est présentée souligne qu’il vaut mieux avoir de belles dents et une carnation qui en fasse ressortir la blancheur. Si vous n’avez pas une dentition parfaite à offrir à la vue de vos semblables et si vous trouvez cette pression positive un peu culpabilisante, tentez une autre approche…

Le sourire stoïque, qui ne connaît pas la panique.

Marc-Aurèle, empereur romain et philosophe, nous a livré l’essence de la sagesse stoïcienne dans une vraie astuce de coach. Elle se résume dans une prière : « Donne-moi la force d’accepter ce que je ne peux pas changer, la volonté de changer ce que je peux changer, et la sagesse de savoir distinguer les deux. ». Voilà une distinction qui a changé la vision de nombreux managers et qui peut être utile face aux échecs et réussites à venir. La rentrée est là et vous ne pouvez rien y changer. Si vous vous lamentez sur ce qui n’est pas en votre pouvoir, vous n’avez plus assez de force pour « performer » là où vous le pouvez vraiment.

Sourire en faisant tout cela sera bien sûr un atout auto-persuasif. Si vous n’y arrivez décidément pas, seul Confucius peut vous aider. Avant de créer son cabinet de recrutement, il aurait en effet asséné : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. »

 

Attrape le feu si tu peux.

feux d'artifice Festival d'Art Pyrotechnique Cannes, s'émerveiller ou filmer ?
Photo by Priscilla Du Preez on Unsplash

Il faut que je vous l’avoue : j’adore les feux d’artifice. De sincères émerveillements d’enfant, juchée sur les épaules de mon père, doivent se réveiller en moi quand le ciel s’illumine de la sorte. Le dernier spectacle pyrotechnique auquel j’ai assisté m’a donné du grain à moudre. Il fallait que je le partage avec vous, avant vos éventuels feux d’artifice du 15 août….

Écran de fumée

Dans la pénombre ponctuée de réactions d’enfants, grands ou petits, j’étais encadrée par deux vidéastes amateurs sur smartphone. Combattant la crampe et le tremblement microscopique, ils se cramponnaient à la capture de ce ciel changeant dans un petit écran de qualité médiocre. Le plaisir du feu d’artifice est tout entier dans la surprise de ce qui vient après, dans la fugacité de l’effet lumineux, dans le moment partagé avec des inconnus à la même inclinaison cervicale. Malgré tout, ces êtres pathétiques voulaient retenir un spectacle qui n’était plus que le fantôme de lui-même une fois emprisonné dans leur écran. Je le constatais bien en leur jetant un œil, entre deux panaches de poudre : mes deux inconnus aux bras ankylosés ne pouvaient pas être à la fois dans la magie enfantine du feu d’artifice et dans la surveillance de leur capture. À la fin, ils finirent simplement par comparer la médiocrité de leurs images, chapardées au temps qui fuit.

Les « viveurs » et les « reporters » sont dans un bateau

Nous y sommes, chers compatriotes 3.0 : il faut choisir. Plonger dans une réalité insaisissable pour la vivre totalement dans l’instant sans espoir de la retenir OU devenir le spectateur-transmetteur d’un morceau de vie à capturer, quitte à le vivre à moitié sur le moment. Question de distance ? Question de priorité ?

Certains affirment qu’on perd sa vie à la gagner. Et si un nouveau paradoxe nous enseignait qu’on peut aussi perdre sa vie à force de vouloir la retenir sous forme de mégaoctets ? À moins qu’un génie de la technologie nous donne prochainement le moyen de capturer toutes sensations confondues les meilleurs moments de notre vie pour les revivre ensuite, vraiment et totalement, allongés dans notre caisson virtuel. Pour l’instant, continuez à observer béatement le roulis des vagues en vous demandant si elles sont toutes un peu différentes…

« J’Y ÉTAIS. »
La capture officielle du Festival d’Art Pyrotechnique le 29 juillet 2017 à Cannes 
:

Un coyote pour chacun, tous pour mon coyote.

avertisseur Coyote, affiche juillet 2017, radars, légalité, HobbesVous larguez la routine pour la route des vacances ? Dans ce monde automobilistique très balisé, la technologie vous permet quand même de déjouer d’indésirables pièges. Une technologie que la campagne de l’avertisseur Coyote a choisi de cacher derrière son animal totem. Même si vous pensez disposer d’un ange gardien, ce coyote est assurément l’animal embarqué le plus utile pour signaler les radars…

Bienvenue dans la « meute ».

Cet outil… pardon, ce rusé compagnon à poil brillant, indique en réalité les « zones dangereuses », car il est illégal d’indiquer l’emplacement exact d’un radar. En accédant à cette technologie, le conducteur solitaire rejoint néanmoins avec intérêt une communauté d’utilisateurs connectés, appelée… « meute ». Chaque conducteur se connectant à cette intelligence collective pour signaler la présence d’un « danger », c’est même toute la « meute » qui veille sur chaque conducteur… et non un seul coyote. Que de sollicitude. On peut alors s’interroger sur ce regard vert un brin menaçant au centre de l’affiche : en guise de protecteur bienveillant, ne suis-je pas plutôt face à une espèce de Leviathan omniscient et scrutateur ? Paradoxal…

C’est là où Hobbes sort de sa tanière.

Au XVIIe S., l’anglais Hobbes marqua la philosophie en considérant que la prétendue sociabilité de l’être humain s’était simplement installée à cause de sa crainte de la mort violente dans un chaos sans foi, ni lois. Abdiquer sa sauvage liberté contre une entrave juridique protectrice, ce serait le vrai deal de la vie en société. Au XXIè S., on ne voit plus les choses avec le même écran : l’homme n’est pas un loup pour l’homme, mais chaque conducteur est un coyote pour chaque conducteur… de façon à s’affranchir autant que possible des limitations désagréables de l’État. Serait-ce le nouveau filon de l’économie collaborative, même s’il faut pour cela rester connecté sous des regards plus ou moins inquisiteurs ?

En attendant la réponse, précisons que le coyote à poils ne pouvant atteindre qu’une vitesse de 60 km/h, nous espérons que vous rejoindrez votre lieu de villégiature un peu plus rapidement…

REBONDS

Oups, révisons notre Hobbes

Et hop, ouvrons le capot du Coyote

L’intelligence artificielle, on peut en mettre partout.

intelligence artificielle, publicité, Randstad, TSF Jazz
L’intelligence artificielle, elle entre dans nos vies et donc dans la pub…

À cette heure bien tardive, il fait encore 30° C à l’extérieur, fin juin, au Nord de la Seine. Mes circuits sont un peu en surchauffe et je me demande si je ne résisterais pas mieux à tout cela une fois transformée en androïde, avec climatiseur 3.0 intégré. Nous sommes humains, trop humains et particulièrement sensibles à notre environnement. Nous en prenons cruellement conscience alors que le XXIe S. voit émerger toutes sortes d’assistants informatiques, d’applications bienveillantes et d’objets connectés et surdoués… tant qu’ils sont alimentés en énergie électrique. Emploi, santé, éthique, défense… : l’intelligence artificielle s’invite dans la plupart des débats. L’algorithme et le robot émergent donc aussi dans l’imaginaire publicitaire. Terminator ou C3PO ? Peut-être rien de tout ça… ou les deux à la fois. Pour nous y retrouver, j’ai semé des cailloux-liens dans le texte qui suit…

Vous avez dit « intelligence » ? Comme c’est artificiel…

Elles calculent bien plus vite que nous, modélisent à merveille, supprimeront à terme tous les emplois de comptables ou de taxis. Ce sont les intelligences artificielles (IA). Oui, artificielles, car nous les avons créées de toutes pièces, en inventant les mathématiques puis l’informatique. Mais, n’est-il pas primordial à ce stade d’interroger ce qu’on entend exactement par « intelligence(s) » : la naturelle et l’artificielle. Une définition indispensable avant de cerner les frontières entre ce que nous pouvons déléguer aux IA et ce que l’on peut encore espérer conserver, nous les vrais humains, comme chasse gardée. Je vous conseille donc en préambule de vous plonger dans ce tour du propriétaire de l’intelligence tout court, signé Yann Gourvennec : caillou-lien.

Techno-béat ou techno-cassandre ?

C’était un bon début avant de rappeler que des esprits brillants ont déjà émis des doutes sérieux sur le danger du développement naïf d’intelligences artificielles. C’est l’avis de Stephen Hawking ou même de Bill Gates : caillou-lien. C’est vrai cela : elles pourraient finir par comprendre que la Terre se porterait beaucoup mieux sans les humains et par faire sauter les pauvres verrous de sécurité que ces derniers leur ont collés.

A contrario, les transhumanistes de la Silicon Valley s’imaginent déjà vivre éternellement grâce à leur pacte faustien avec les biotechnologies et l’IA. On appelle même ça la singularité et de richissimes humains seraient bien sûr prêts à en être. Mais comme d’habitude, entre l’angoisse et l’utopie, la vérité est peut-être ailleurs : en tout cas, c’est ce que nous expliquait récemment Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique et expert IA : caillou-lien.

Mouliner de la data, c’est pour vous les IA…

algorithme et recrutement Randstad intelligence artificielleQuels que soient les futurs effets secondaires de l’IA, on s’accorde, pour l’instant, sur le partage des tâches entre nous et elle. La campagne de la société d’intérim Randstad illustre bien la banalisation de la puissance de l’algorithme et de ce terme très technique qui rentre désormais dans le langage courant. L’intelligence artificielle est en train de rafler la mise lorsqu’il faut chercher une aiguille dans une boîte de foin : trouver quasi-instantanément l’info sur Internet, faire coïncider le profil de candidat et le poste ad hoc, trouver le bon itinéraire plus vite que tout le monde… analyser en somme une quantité de critères et de datas en un temps record pour répondre à un objectif précis. Comme je l’évoquais dans un billet précédent à propos de l’appli Jobijoba, le recrutement s’est déjà emparé de la puissance algorithmique… et ce sera peut-être un jour une bonne nouvelle pour faciliter le retour à l’emploi.

Son autre destin à l’intelligence artificielle, c’est de pister tous les signaux prédictifs et de faire du profilage pour détecter des événements à éviter… y compris les suicides : caillou-lien. Si cela vous rappelle Minority Report, c’est que vous avez décidément trop de culture. On touche bien sûr là du doigt une des pierres d’achoppement éthiques du Meilleur des Mondes sous intelligence artificielle. Mais ce n’est pas la seule. Les nouvelles générations d’intelligence artificielle sont capables d’apprendre par elles-mêmes pour progresser dans la pertinence du service rendu : c’est ce qu’on appelle le Machine Learning, et encore plus fort le Deep Learning. Apprendre c’est bien mais jusqu’où ? Au point de nous échapper ? Fin 2016, les chercheurs du programme Google Brain découvrent que deux IA ont réussi à créer dans leur coin un algorithme unique pour communiquer sans être comprises des autres intelligences… : caillou-lien.

…faire des trucs imprévisibles, c’est pour les humains.

TSF Jazz Campagne pub 2017 It's a human thingComme l’illustre la publicité TSF Jazz, l’humanité essaie néanmoins de se remonter le moral, en glorifiant des atouts indépassables liés à sa sensibilité et à un fonctionnement aléatoire et mystérieux du cerveau biologique. C’est une bouffée d’espoir narcissique et d’ailleurs les prospectivistes considèrent que les voies d’orientation les plus sûres pour nos bambins (en dehors de l’ingénierie informatique) sont celles qui font appel à la créativité artistique ou au relationnel humain pur qui réclame de l’empathie : caillou-lien. Créativité, peut-être. Néanmoins, une agence publicitaire a déjà testé pour Toyota la création publicitaire assistée par intelligence artificielle, pour sortir 1 000 slogans adaptés à 100 cibles différentes : caillou-lien.

De la pub peut-être mais pas touche à la littérature ? Plumitifs imbus de votre verbe, tremblez : d’autres grands voyants de la technologie voient les robots écrire de « vrais livres » dès 2049 : caillou-lien. L’écrivain Antoine Bello nous y a déjà fait croire assez aisément en 2016 dans son roman ADA, dont je conseille vivement la lecture.

Je vous le dis tout net : cela va devenir compliqué. On aura peut-être un label bio du type « 100 % écrit par un auteur humain ». Vous-même, êtes-vous bien sûr que c’est Anne DEBRIENNE en chair et en os qui a écrit ce que vous venez de lire ? Je vous laisse à votre perplexité pour recharger ma batterie et remettre mes circuits imprimés au frais.

REBONDS

Vous pensiez vous rendormir tranquille ? Laurent Alexandre va vous mettre un brin la pression :

Parlez-vous l’esprit d’enfance ?

Esprit d'enfance, Roger-Pol Droit, Odile Jacob
Je vous présente mon véritable ours en peluche. Il n’a pas tout lu.

L’école est bientôt finie, mais l’esprit d’enfance toujours lui survit. Parfois, nous avons même tout intérêt à y puiser pour avancer dans notre vie d’adulte. Mais comment le retrouver ? Dans son tout dernier livre Esprit d’enfance, Roger-Pol Droit nous prend presque par la main pour ouvrir la malle du grenier… À propos de l’enfance, l’Histoire oscille, comme sur une balançoire : d’un côté, la relégation à l’ancienne d’une humanité en devenir qui ne doit pas parler à table ; de l’autre, le culte de l’enfant roi, génialement innocent et surtout « pourri-gâté ». On n’hésite pas non plus à dire que « la vérité sort de la bouche des enfants »… alors que ce dicton contredit d’emblée l’étymologie du mot enfant, qui vient du latin infans et qui veut justement dire « qui ne parle pas, qui n’a pas accès au langage ». On ne sait plus qui croire, je vous le dis.

L’esprit d’enfance n’est pas ce que vous croyez.

Au moins, avec Roger-Pol Droit, on déchire les belles images pour partir à la découverte de quelque chose de bien moins cliché et qui concerne tout autant les adultes. Pas de puérilité, ni d’enfantillage. Il est ici question de s’entraîner à replonger dans nos souvenirs et notre part enfouie d’enfance pour y retrouver cette distance étonnée qui nous rend plus vivants, de 7 à 107 ans. Oui, compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, il serait temps de remettre à jour certaines expressions… Lire la suite « Parlez-vous l’esprit d’enfance ? »

Franchement trop ou juste pas assez ?

inOUI SNCFLes inégalités se creusent et nous vivons des périodes très contrastées. Cela doit être également vrai au pays des slogans. Mon cerveau disponible a été récemment confronté à des propositions diamétralement opposées en matière d’ambition publicitaire. D’un côté, je tombe sur l’affiche Coca-Cola du moment qui me dit « mini can, mini kif » et de l’autre, je ne peux passer à côté de la polémique qui raille (ah ah ah on ne se refait pas), qui raille donc le nouveau nom du service TGV dans sa version « normal + » (si j’ai bien compris) : inOUI. Prenons le train de la discorde un verre de rien à la main…

« Mini can, mini kif »… bref, elle n’en fait pas des tonnes.

Donc, à ma gauche, une campagne d’affichage pour la mini can de Coca-Cola avec un slogan passé par la moulinette de je ne sais combien de comités de direction internationaux au service du soda mondial, pour mettre la barre le plus bas possible : « mini can, mini kif ». Mini, c’est mini quoi. Faut pas non plus trop en demander. Tu as compris ou tu reprends un cornet de frites ? L’important, c’est que tu savoures l’instant avec des bulles dedans. J’étais tout aussi caustique que ça quand mon fils de la génération Z 2000 (environ) a pris la défense des responsables marketing de Coca-Cola, en disant que cela renforçait le côté « c’est un petit plaisir comme ça, sans conséquence », que ce n’est pas une grosse promesse à laquelle on ne va pas croire. À son avis, cela aurait été le cas, si on avait choisi par exemple de dire « mini can, maxi kif ». M’a-t-il convaincue ? Je lui concède l’argument de la modestie, mais je ne suis pas d’accord en matière d’impact publicitaire. Cette affiche a surtout été conçue pour parler visuellement dans toutes les langues à la génération Instagram : la mini-canette est à la taille du cœur formé par les doigts des deux personnes. Point barre et love ton soda. Malheureusement, impossible de retrouver une reproduction de l’affiche sur le web : vous m’en voyez fort désolée ! Voilà pour la partie sucrée.

mini can mini kif coca-cola

InOUI ? Bein non…

À ma droite, une drôle d’approche de la SNCF. La marque TGV a été bâtie sur une promesse très forte, très concrète et très technique : le Train à Grande Vitesse, il va vite. Quoi qu’on en dise, on est dans le concret et le fleuron technologique de la France. Pour prendre le train de la modernité, on appela OUIGO l’offre TGV à bas coûts (rien à voir avec Bakou, en jargon marketing, on dit d’ailleurs plutôt « low cost »). Voici donc que son cousin, le service TGV classique s’appellerait désormais inOUI. Oui, oui, oui… Aussitôt, les réseaux sociaux bruissent de moqueries en tous genres, car il faut le savoir, la SNCF n’est pas une marque comme les autres. Le train est encore considéré comme un service public qui m’appartient aussi à moi, en tant que citoyen. Grèves, retards et polémiques sur les tarifs obscurs prêtent régulièrement le flanc de la SNCF à toutes les critiques. Il faut avouer que donner un nom qui veut dire à la fois «sans exemple, incroyable, extraordinaire »  et « qui dépasse la mesure et qui irrite », il fallait aller le chercher quand on se fait tacler toute l’année. On pourra nous opposer qu’il n’y a pas de tréma sur le deuxième i. Néanmoins, c’est bien le sens de ce mot commun qui restera dans l’oreille du plus grand nombre.#inOUI

Alors que Coca-Cola fait profil bas sans saveur, le rail a-t-il réfléchi au ridicule sur-prometteur de son inOui en français ? Vaut-il mieux promettre la Lune au risque d’être traîné dans le caniveau… ou raser la moquette sans casser trois pattes à un canard ? Je vous laisse faire votre propre jurisprudence… mais la communication, la bonne, doit réussir à trouver le juste équilibre entre l’étonnement qui vous extrait de l’indifférence et le parler juste qui saura vous retenir. Compte tenu de notre surexposition médiatique et de la guerre pour l’attention qui fait rage, ce n’est pas près de changer. Ah… On me dit dans l’oreillette que vous aimeriez savoir ce qu’en pense mon fils… C’est inouï comme vous pouvez être curieux, tout de même !

REBONDS

Sur InOUI, l’avis parmi d’autres de Jean-Marc Lehu, enseignant-chercheur en stratégie de marque (Paris I Panthéon Sorbonne)

-Un rappel sur la stratégie de communication Coca-Cola réinitialisée en 2016

 

Little Brother et Big Questions

Raphaël Enthoven, Little Brother, Gallimard, Philosophie, chroniques Où se cache Little Brother ? C’est bien la question que votre conscience devra sans cesse se poser après avoir refermé ce livre de Raphaël Enthoven, recueil de textes courts initialement parus dans Philosophie Magazine. Little Brother, donc ? Que cache la référence au 1984 de George Orwell, et au lavage de cerveau totalitaire de son Big Brother ? Lire la suite « Little Brother et Big Questions »

Manger est un acte citoyen.

Alain Ducasse, Editions Les Liens qui Libèrent, LLL, Manger est un acte citoyen, gastronomie, écologie, permaculture, Collège culinaire de FranceEn ce 23 avril 2017, vous étiez appelés à accomplir un acte citoyen : celui de choisir entre onze prétendants à l’Élysée. On ne doute pas de son importance, au vu des tensions, incertitudes et défis qui nous guettent. Entre la poire et le fromage, je ne résiste pas à l’envie de vous parler d’un autre acte citoyen aussi anodin qu’essentiel, aussi universel que déterminant : manger, un acte quotidien et non quinquennal. Je viens en effet de dévorer le livre de deux compères qui s’y connaissent en belle et bonne nourriture : Alain Ducasse, le chef globe-trotter qu’on ne présente plus et Christian Regouby, communicant et délégué général au sein du Collège culinaire de France.

Rabâchant dans mon entourage depuis un moment déjà que consommer est devenu un acte éminemment politique, lourd de conséquences sociales et sanitaires, je ne pouvais que savourer « Manger est un acte citoyen ». Pas de livre de recettes, mais un cri d’alarme doublé d’un cri de ralliement : si nous ne voulons pas multiplier les pathologies médicales, économiques et sociales, commençons par arrêter de bouffer n’importe quoi… Lire la suite « Manger est un acte citoyen. »

La grande vaisselle

Liquide vaisselle Maison Verte, élu produit de l'année 2017, élu et efficace, c'est possible

En cette période où nous prenons le chemin des urnes, les éditorialistes aiment nous rappeler que dans de nombreux pays, les électeurs sont enclins au « dégagisme ». Magnifique néologisme pour dire qu’il y a une envie de rompre avec ceux qui s’accrochent aux rênes du pouvoir depuis trop longtemps. Un ras-le-bol du « On prend les mêmes et on recommence… ». Alors, c’est vrai que pour passer un bon coup d’éponge et retrouver des élus tout propres, rien de tel qu’un bon liquide vaisselle. En plus, s’il est plutôt « éco-responsable », un tel coup de torchon ne peut qu’accroître notre bonne conscience… Eh oui, l’année où aucun parti « purement » écologiste ne se présente aux élections présidentielles, c’est un liquide vaisselle écoresponsable qui se fait élire « produit de l’année 2017 » par les 10 000 foyers d’un panel de consommateurs. Les foyers laveraient donc déjà plus vert alors qu’il n’y a plus que les dinosaures ou les réactionnaires monomaniaques pour avoir oublié le développement durable et la survie de notre écosystème dans leur programme politique ! Mais je m’égare dans l’évier rempli de mousse… car je voulais vous faire remarquer que Maison Verte surfe aussi sur la vague du grand discrédit qui touche nos élus. Un clin d’œil opportuniste aux lamentations des Français au coin du zinc. Disposant de privilèges qui passent de plus en plus mal en période de serrage de ceintures, les élus seraient accusés en plus de ne pas faire correctement leur boulot au service de l’intérêt général. Ils seraient bien chers payés pour ne pas tenir leurs promesses et cultiveraient volontiers le conflit d’intérêts en lieu et place de l’intérêt général. Comme dans beaucoup de domaines, j’espère seulement que c’est le comportement honteux ou l’incompétence crasse de certains qui cache la forêt de tous ceux qui sont honnêtes et impliqués. C’est quand même dommage de gâter la soupe comme ça avec des bouts de pain moisis. Mais ce n’est pas tout : cette affiche captée à 7 H 38 m’a évoqué autre chose. Figurez-vous que dans la caste des liquide-vaisselle, je découvre qu’on ne se fait pas élire avant d’avoir prouvé son efficacité, du genre « je lis ton programme au dos de la bouteille et je te désigne comme président des liquide-vaisselle ». Non, là le liquide-vaisselle Maison Verte a été élu parce qu’il a apparemment fait ses preuves ! C’est une reconnaissance au mérite et non un blanc-seing pour faire à sa sauce pendant cinq ans. Comme quoi, il faut faire ses preuves pour être élu liquide-vaisselle de l’année 2017, alors que pour être Président de la République, il suffit de faire des promesses. Pour calmer votre trouble, je peux simplement vous concéder la taille de l’échantillon : normalement nous devrions être plus de 10 000 à glisser un bulletin dans l’évier.

Il me reste à vous souhaiter une bien bonne vaisselle. Évitez au moins de gaspiller l’eau, vous serez gentils.

Au bonheur des fautes

Muriel Gilbert Au bonheur des fautes orthographe VuibertVous n’imaginez pas à quel point l’exigence lexicale peut vous transformer en Don Quichotte qui se bat contre les moulins à fautes. La médiocrité textuelle pourrait nous terrasser si nous n’y prenons pas garde, nous, les professionnels de l’écrit. Connaissant mon implication dans le « Made in French » à titre professionnel, on m’a offert le livre de Muriel Gilbert « Au bonheur des fautes ». L’auteure est une éminente correctrice qui travaille dans un éminent quotidien : Le Monde. Même Bernard Pivot a un immense respect pour cette dompteuse du subjonctif et a chroniqué son livre dans le Journal du Dimanche

Que vous militiez contre le barbarisme ou que, au contraire, vous ne soyez pas encore réconcilié(e) avec le Bescherelle, je vous le recommande. Rien d’austère ou de prétentieux ne vous attend, car Muriel Gilbert réussit à nous faire sourire à chaque paragraphe. Grâce à elle, on plonge en fait avec amusement dans le quotidien du cassetin (compartiment d’une casse d’imprimerie et nom donné aussi au bureau des correcteurs dans la presse). On apprend une foule de choses sur les bizarreries de la langue française tout en se glissant dans les coulisses du métier de correcteur. On mène l’enquête sur l’accord du participe passé comme dans un polar nordique… et on déguste au fil du livre des apartés joliment appelés « Un bonbon sur la langue ».Muriel Gilbert Au bonheur des fautes Vuibert anagramme

Ce livre réussit donc un cocktail étonnant d’érudition savoureuse, d’anecdotes sur le parcours insolite de l’auteure et d’humour tendre sur le chef-d’œuvre en péril de la correction professionnelle.

De la résignation au mépris, il n’y a… qu’un saut de ligne !

Grâce au livre de Muriel Gilbert, j’ai aussi compris que nous ne devons pas nous résigner à la médiocrité linguistique dans les métiers de la communication et de l’information. Je ne peux en effet plus supporter qu’on me dise « Allez, on s’en fiche : de toute façon, personne ne verra la faute. » J’ai mis du temps à analyser ce qui me gênait dans cette posture faussement cool : en fait, c’est son irrespect fondamental mais non assumé. Un irrespect hypocrite et notoire pour les gens qui nous lisent, car c’est partir du principe qu’ils ne méritent pas notre exigence lexicale minimale et professionnelle. Le niveau baisse ma bonne dame et les gueux ne lisent plus, n’écrivent plus, alors on ne va pas en faire une pendule du fait qu’on écrit « quelque temps » et non pas « quelques temps ».

Jeu de dupe déguisé en discipline démodée… 

Eh oui,  l’application des règles du français, ce n’est pas hype en 2017. Ce qui est tendance, c’est d’être à la pointe de l’innovation, de réinventer les règles et de dire m… à ce qui est bêtement marqué dans un Bled. Seul l’ « orthobashing » sur les réseaux sociaux façon BescherelleTaMère peut éventuellement rendre tendance une exigence qui sent la vieille craie des hussards de la IIIe République. Il faut dire que le faux alibi de l’écriture SMS et la réforme de l’orthographe qui concède lâchement la cohabitation d’une ancienne et d’une nouvelle écriture ne font pas avancer la cause. Comme le rappelait récemment Bernard Pivot dans une interview, rien de mieux pour discréditer insidieusement une discipline que de flouter ainsi ses principes. Accepterait-on qu’en maths, 2 et 2 puissent faire éventuellement 5 ? On a les priorités qu’on veut bien se donner. Mais le laxisme orthographique ne serait pas scandaleusement hypocrite si le respect de ces règles ne servait pas ensuite à trier les lettres de motivation…

Pour finir sur un clin d’œil , il y a quand même un détail qui m’interpelle : Muriel Gilbert aurait-elle eu la fantaisie de laisser traîner une coquille pour titiller notre sagacité ? À la page 121, on peut lire en effet l’expression « de temps un temps ». Cette filouterie non dénuée d’élégance viserait ainsi à nous hisser un instant seulement au niveau d’attention du correcteur émérite, comme si on réussissait pour une fois à soigner son propre médecin… Un bref instant seulement.Muriel Gilbert Au bonheur des fautes Vuibert

REBONDS :

Le blog de Muriel Gilbert

Un petit extrait…Muriel Gilbert Au bonheur des fautes orthographe Vuibert

Le parti pris de Simone Weil avec un W

Simone Weil Note sur la suppression des partis politiques Climats J’ai toujours été un peu gênée par l’esprit de parti. J’ai toujours été affligée par l’œillère du sectaire sûr de son fait et par sa propension à tordre sans vergogne la vérité pour qu’elle aille dans son sens… au lieu de reconnaître que le camp adverse, sur ce point au moins, n’a pas tort. Comme beaucoup peut-être d’entre vous, j’en avais pris… mon parti, sous couvert, que les partis faisaient partie de la vie politique. C’était avant ma rencontre avec ces 45 pages lumineuses de Simone Weil : « Note sur la suppression générale des partis politiques », livre réédité en ce mois de mars chez Climats. Oui, Weil avec un W, car il s’agit de la philosophe qui travailla aussi à la chaîne chez Renault et non de la ministre qui s’est battue pour le droit à l’IVG. Simone Weil nous prévient : «  Presque partout (…) l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à  l’opération de la pensée. » Quelqu’un qui porte en 1940 un diagnostic toujours d’actualité en 2017 mérite une saine relecture… Lire la suite « Le parti pris de Simone Weil avec un W »

Et si la Réalité était une espèce à protéger ?

La Peugeot 3008 vient d’être sacrée « Voiture de l’année 2017», devenant d’ailleurs le premier SUV à recevoir ce prix. Je n’ai pas décidé de vous vanter ses qualités comme un pigiste de la presse auto. Non, je ne vais pas vous embarquer là-dedans. Cette consécration a simplement fait remonter de ma mémoire son spot publicitaire dont le concept avait titillé mes centres d’intérêts du moment. Le mâle du spot est en train de se faire un kif « pilotage extrême » à l’aide d’un masque de réalité virtuelle… quand finalement la réalité vraie reprend ses droits. Tout un symbole de ce qui nous taraude en 2017 ? Replay SVP…

Le slogan nous met donc bien le point sur le i de réalité : « Et si la réalité était la sensation la plus excitante qui soit ? » Un clin d’œil aux futurs véhicules autonomes qui ne se conduiront même plus, laissant sur leur faim les nerveux adeptes du levier de vitesses ? Peut-être… Une ode à l’aventure, la vraie (mais avec les airbags tout de même) ? Faut voir… En tout cas, l’appel de la réalité vraie, ce n’est pas une question pour de rire à l’heure où les technologies de Réalité Virtuelle veulent nous faire vivre des expériences ultimes garanties en sensations fortes, sans les risques qui y sont liés. Survoler New-York tel un oiseau comme au MK2 VR de Paris ou piloter un XWing comme dans StarWars n’offre pas de sensations « fausses », même si ce qui les a provoquées est artificiel. Le sujet est de savoir si le jeu de dupe du virtuel peut faire bouger les lignes quant à notre perception générale de ce qui est « réel », puisque désormais tout ce qui est numérique ou digital fait partie de notre réel. Le problème est de savoir si la pauvre réalité imparfaite pourra supporter la concurrence de l’univers virtuel paramétré selon nos désirs du moment. À force de nous offrir des expériences ultimes et de plus en plus personnalisées, la technologie va-t-elle nous rendre la vraie vie particulièrement terne et décevante ? Ne va-t-on pas aussi vers une scission entre ceux qui préféreront se réfugier dans le « virtuel » et ceux qui, dans le rejet du « faire semblant », revaloriseront ce qui ne se vit qu’une fois, par hasard et sans appuyer sur un bouton ?

Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le débat enfle en parallèle autour des fake news, de la novlangue politique chère à Orwell ou de la post-vérité incarnée par Donald Trump. Si la frontière devient de plus en plus poreuse entre ce qui est vrai et ce qui pourrait l’être, la notion même de réalité pourrait perdre son importance… au point de devenir aussi floue et brumeuse que l’atmosphère irrespirable de Shangaï. La liberté d’expression et la rapidité des échanges va même peut-être de pair avec l’extension de notre crédulité, nous les créatures finalement plus « croyantes » que « raisonnantes »… Eh oui, certaines vérités sont changeantes et la réalité fort complexe. Il fut même une époque où l’on croyait que la Terre était plate… parce qu’on n’en avait jamais fait le tour. C’est vous dire si notre crédulité est vaste.

Heureusement, avant de vous replonger dans l’empire du faux avec le Gorafi ou un jeu vidéo, vous avez 5 mn pour découvrir en podcast pourquoi au final la vérité nous importe si peu… Replay SVP.