Le parti pris de Simone Weil avec un W

Simone Weil Note sur la suppression des partis politiques Climats J’ai toujours été un peu gênée par l’esprit de parti. J’ai toujours été affligée par l’œillère du sectaire sûr de son fait et par sa propension à tordre sans vergogne la vérité pour qu’elle aille dans son sens… au lieu de reconnaître que le camp adverse, sur ce point au moins, n’a pas tort. Comme beaucoup peut-être d’entre vous, j’en avais pris… mon parti, sous couvert, que les partis faisaient partie de la vie politique. C’était avant ma rencontre avec ces 45 pages lumineuses de Simone Weil : « Note sur la suppression générale des partis politiques », livre réédité en ce mois de mars chez Climats. Oui, Weil avec un W, car il s’agit de la philosophe qui travailla aussi à la chaîne chez Renault et non de la ministre qui s’est battue pour le droit à l’IVG. Simone Weil nous prévient : «  Presque partout (…) l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à  l’opération de la pensée. » Quelqu’un qui porte en 1940 un diagnostic toujours d’actualité en 2017 mérite une saine relecture…

Le parti : une fabrique à mensonges…

Pour Simone Weil, rien n’est au-dessus de la recherche de la vérité, du bien-être de l’humanité et de la justice. Autant dire que pour quelqu’un qui sera témoin de la montée du nazisme et conscient des horreurs du stalinisme, le parti politique et son fonctionnement représentent la négation constante de ce qui peut faire la noblesse du progrès humain. Même la conception politique qui émergea en 1789 refusait l’idée de parti… c’est la lutte des factions sous la Terreur et l’exemple anglais qui installa les partis dans la vie politique européenne. Pour cette philosophe qui s’engagea aussi aux côtés des résistants, le parti est une fabrique à mensonges qui se pose là. Le problème, c’est qu’une fois qu’elle nous a exposé les trois caractéristiques d’un parti, on a du mal à la contredire. Primo, un parti est surtout une machine à fabriquer de la passion collective, porte ouverte à tous les délires nuisibles à la volonté générale. Deuzio, un parti est une organisation destinée à formater la pensée de ses membres… pour constamment rentrer dans « la ligne du parti ». Tertio, c’est un appareil exclusivement préoccupé de sa propre croissance, pour qu’enfin sa vérité soit majoritaire. Conclusion accablante : « On avoue que l’esprit de parti aveugle, rend sourd à la justice (…). On l’avoue, mais on ne pense pas à supprimer les organismes qui fabriquent un tel esprit. Cependant on interdit les stupéfiants. » (p. 47) Quelle lucidité, garantie sans LSD !

Le parti de la pensée libre, c’est pour quand ?

À la lecture de Simone Weil, on ne cesse de se dire « Mais c’est bien sûr… », comme le Commissaire Bourrel. Car à qui profite le crime de l’esprit partisan sinon aux manipulateurs de tous bords qui prospèrent sur la paresse intellectuelle et l’ignorance entretenue ? On peut se demander, si oui ou non, le XXIè S peut accoucher d’une forme de démocratie qui libère la pensée politique et l’engagement éclairé des citoyens au lieu de ranger les concepts et les programmes dans des boîtes qui ouvrent sans cesse sur les mêmes impasses, organisant une alternance des carcans. On peut se dire que la recherche de vérité au service du bien commun, prônée par Simone Weil est à l’opposé de ce qui se déploie sous nos yeux : le règne de la petite phrase, du lobbying discrètement entretenu, de la fausse information suffisamment martelée pour ressembler à de la vérité, des chiffres tordus dans le sens qui convient… Au final, on aboutit à une extension de la crédulité qui réduit l’espace du débat et de la pensée libre.

Comment faire sans les partis ?

Refuserons-nous un jour de suivre aveuglément le flambeau qui nous évite de penser par nous-mêmes ? Les citoyens sont-ils prêts à s’intéresser suffisamment à la gestion de l’intérêt collectif pour participer régulièrement à des décisions justes… ou veulent-ils continuer à mettre un bulletin dans l’urne tous les 5 ans en choisissant une étiquette avec un package de positions, sans se poser plus de questions ? Le déploiement des technologies qui favorisent la démocratie directe, les « civitech« , va-t-il permettre une autre forme de fonctionnement politique, plus « connectée » à la volonté générale et à l’intérêt collectif ? Les 15-25 ans particulièrement allergiques au fonctionnement hiérarchique pyramidal vont-ils faire émerger une nouvelle forme de démocratie plus directe et horizontale ? Les entreprises qui s’organisent en plateformes d’intelligence collective vont-elles montrer la voie ? Restons en weille démocratique…

C’est parti pour un extrait…

« Supposons un membre d’un parti –député, candidat à la députation, ou simplement militant – qui prenne en public l’engagement que voici : « Toutes les fois que j’examinerai n’importe quel problème politique ou social, je m’engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice. » Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d’autres l’accuseraient de trahison. Les moins hostiles diraient : « Pourquoi alors a-t-il adhéré à un parti ? » avouant ainsi naïvement qu’en entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice. Cet homme serait exclu de son parti, ou en perdrait l’investiture ; il ne serait certainement pas élu. Mais bien plus, il ne semble même pas possible qu’un tel langage soit tenu. En fait, sauf erreur, il ne l’a jamais été. Si des mots en apparence voisins de ceux-là ont été prononcés, c’était seulement par des hommes désireux de gouverner avec l’appui de partis autres que le leur. De telles paroles sonnaient alors comme une sorte de manquement à l’honneur. » (p.34-37 Nouvelle édition mars 2017 – Climats)

2 réflexions sur “Le parti pris de Simone Weil avec un W

  1. Ajoutons-y les syndicats et toutes les corporations. Retour à l’individu.
    Saine lecture qui semble une évidence aux plus ouverts d’esprit, mais il importait que ce fut dit.
    L’esprit partisan, et pire encore, militant sont une catastrophe.
    Brassens chantait « quand on est plus de quatre, on est une bande de cons » et Ferré, « la pensée mise en commun est une pensée commune »
    Merci pour ce partage. (C’est le commissaire Bourrel qui disait « Bon sang, mais c’est bien sûr » – si je peux me permettre)

    1. Merci Claudio. « Mais c’est bien sûr… » : le doute m’avait assailli sur le commissaire en question. Je vais de ce pas rechercher un extrait vidéo… Je réagirais juste sur « Retour à l’individu », car je suis persuadée que c’est bien plus compliqué et que nous sommes en train de quitter une courte période purement individualiste, avec la montée de la conscience que nous sommes tous reliés, interdépendants, entassés sur un sacré radeau de la Méduse. Le « corporatisme » n’est qu’une façon de donner de la force à des intérêts « individualisés ». Il faut prendre en compte désormais une vision complexe (cf. Edgar Morin) pour retrouver une équilibre entre le respect de l’individu et celui de l’intérêt général. Bon courage en ce lundi 😉

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