Présentiel et distanciel sont sur un radeau…

@Aleks Marinkovic on Unsplash

Peu satisfaite de la locution « à distance », la langue du management adore désormais le néologisme « distanciel ». Plus technocratique que « sur place », l’anglicisme « présentiel » lui sert d’acolyte. Les deux sont donc devenus inséparables, comme les lions de pierre postés de chaque côté du porche d’un manoir, créant ainsi une rassurante symétrie. Alors, thé ou café ? Distanciel ou présentiel ?

Attention, cette symétrie dans la terminaison des deux mots est plus riche qu’on ne le pense. Elle souligne bien l’envie d’en faire des jumeaux qui se complètent ou s’opposent en fonction des humeurs. Notre cerveau adore les systèmes binaires. Tout ce qui va par deux comme nos deux jambes nous réconforte. Le bien, le mal. Le noir, le blanc. Le haut, le bas. J’arrête là, vous êtes d’accord ? En plus, avec « distanciel » et « présentiel », on peut faire un beau slide avec un tableau à deux colonnes pour dispatcher les avantages et les inconvénients des deux. Comble du bonheur, les deux mots ont le même nombre de lettres : 11. C’est sûrement un signe en numérologie, mais je ne m’y connais guère. C’est surtout une satisfaction visuelle sans limite pour l’infographiste qui met en page de la typo et non des mots.

Bien sûr, entre les frères ennemis, les cartes sont rebattues depuis la crise sanitaire qui débuta au printemps 2020. Apparemment, le « distanciel » a réussi à exercer un lobbying intense auprès d’un pangolin pour que le télétravail puisse faire ses preuves à une échelle sans précédent. De son côté, le « présentiel » doit maintenant être chouchouté comme une poule de luxe par le secteur de l’immobilier d’entreprises. Rien n’est simple.

Quoi qu’il en soit, dans le match « distanciel/présentiel », les masques sont tombés au moment où il fallait en porter au sens propre. Le présentéisme s’est pris un gros uppercut et le soigneur n’a rien pu faire. C’est comme cela que le projecteur sanitaire a été braqué soudainement sur certaines réalités parfois mal assumées en entreprise. Exemples en vrac… On peut être encore dans les couloirs de la boîte à 20 h 30 sans être forcément débordé. On peut être aussi inefficace chez soi qu’à côté de la machine à café du 56e étage. On peut être dans la salle de réunion sans être forcément au taquet, mais on peut être dans une réunion en visio sans être vraiment là non plus. On peut être à distance en « performant de ouf » parce que personne ne se plaint toutes les dix minutes dans l’open space… et on peut être aussi injoignable en télétravail qu’invisible au bureau. Etc., etc.

C’est ainsi qu’il a fallu se rendre à l’évidence à défaut de se rendre au bureau : il ne suffit pas d’être dans les locaux pour être efficace ou d’être chez soi pour être un tire-au-flanc. C’est ainsi qu’on a découvert que même si on pouvait faire beaucoup plus de choses qu’on ne le pensait en distanciel, on a bien vu le revers de la médaille : la nécessité de pouvoir déconnecter, l’importance d’une frontière réinventée entre vie privée et vie pro, le caractère irremplaçable du lien physique ou la fertilité des échanges informels.   

En faisant son tour du monde, la Covid-19 a donc surligné en jaune fluo les faux-semblants du présentiel comme ses atouts à mieux cultiver. Elle a fait découvrir les bénéfices du distanciel autant que ses écueils. Histoire de dépasser les apparences et de revenir à l’essentiel. Oui, ce fameux essentiel, sujet à toutes les polémiques, dont on nous a un peu rebattu les oreilles.

Alors, restons vigilants tous ensemble et je ne parle pas seulement des gestes barrières. Même si notre box internet est devenue notre perfusion, l’intelligence naturelle (et non l’artificielle) doit continuer à faire la différence. Avec le distanciel providentiel et le présentiel essentiel, il ne manquerait plus que l’intelligence au travail finisse par rimer surtout avec « logiciel ».

Au boulot, les féministes

Vous avez un « anti-ragnagnas » dans votre entourage professionnel, les filles ? Et vous ne savez pas comment gérer ça ? Jessica Bennett, gender editor au New York Times, rien que ça, vous passe tous ses bons tuyaux dans son Manuel de Survie à l’usage des working girls, traduit aux Éditions Autrement. Son boulot actuel, c’est de donner une meilleure visibilité aux femmes dans le journal. Une mission qui lui tient particulièrement à cœur après avoir arpenté des rédactions où les évolutions de carrière s’avéraient plus aisées avec une paire de testicules.

Ne vous attendez pas à un petit livre rouge sur l’émasculation ultra-féministe. Ici, on est dans le coaching concret et l’autrice compte aussi avec bienveillance sur tous les hommes de bonne volonté pour faire reculer le mal discriminatoire. Son guide d’autodéfense contre les sexistes en entreprise réunit les stratégies de combat mises au point entre copines pour obtenir son dû. Cet esprit « fight club féministe », elle nous invite à le rendre viral pour que la solidarité féminine soit plus forte en entreprise, malgré l’esprit concurrentiel qui y règne.

En 2021, le diable sexiste se cache plus facilement dans les détails

…et le sexisme ordinaire s’est aussi réfugié dans des comportements anodins ou des ambiances qu’on croyait follement modernes et donc bien au-dessus de ça. En véritable cheffe militaire, Jessica Bennett nous a donc préparé une première partie intitulée : « Identifier l’ennemi ». Elle nous régale d’une sacrée galerie de portraits : l’homo interruptus, l’homo usurpator, le sténophallocrate, le perroquet, l’anti-ragnagnas, le materophobe, le sapeur d’ego, l’organisateur des loisirs macho, le lorgneur ou encore le tire-au-flanc professionnel… Pour chaque profil, elle y va de sa stratégie de combat bien huilée, pleine de bon sens et non dénuée d’humour. Mais bien sûr, l’autre ennemi invisible, c’est le « sabordage féminin » lié à des siècles de réflexes intériorisés. Et c’est sans doute là où Jessica Bennett nous rend un fier service. Oui, nous pouvons toutes être un jour la « maman de service », l’« éternelle redevable » ou le « paillasson ». Et là, il va falloir retravailler notre personnage pour arrêter de tomber dans les mêmes pièges. Avec son ton décontracté et ses fiches pratiques, le Manuel de Survie à l’usages des working girls invite donc tout autant à la lucidité sur nos conditionnements et nos mauvaises réponses comportementales.

L’ultime parade : la technique QFJ

QFJ pour « Que ferait Josh ? ». Ce « Josh virtuel » est le collègue masculin un brin suffisant auquel Jessica a pris l’habitude de penser quand elle sentait qu’elle était encore sur le point de réagir en « dominée ». En effet, le Josh archétypal s’en fiche pas mal de savoir rester à sa place, d’opiner de la tête comme une bonne élève ou de se réveiller le matin avec le syndrome de l’imposteur. Il a une approche tout à fait différente des relations de travail et s’imaginer dans sa peau, c’est un peu comme apprendre une langue étrangère. Sacré Josh. Dans le même ordre d’idée, Jessica Bennett nous fait bien rire en nous apprenant à repérer les différentes espèces de mâles qui racontent n’importe quoi sans en avoir l’air. Une fois de plus, la galerie de portraits ne manque pas de saveur.

Faut-il souhaiter que dans quelques années, ce guide devienne une curiosité sociologique parce que les comportements décrits seraient devenus imputables aussi bien à une femme qu’à un homme ? Sûrement. Comme le disait Françoise Giroud il y a un moment déjà : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » Work in progress…

Manuel de Survie à l’usage des Working Girls – Jessica Bennett – Éditions Autrement – 16,90 €