Voltaire contre Rousseau… et vice versa

Roger-Pol Droit Monsieur, je ne vous aime point Voltaire RousseauSi vous avez adoré les Lumières, c’est peut-être la faute à Voltaire. Si vous avez pensé que la nature, c’est vraiment trop beau, c’est sans doute la faute à Rousseau. Quoi qu’il en soit, ces deux-là ont marqué à jamais les lettres et la pensée politique, votre bac de français et votre découverte de la philo en terminale. Irréconciliables en leur temps, mais rapprochés pour toujours au Panthéon, ces deux-là méritaient-ils d’être amis ? C’est l’histoire de cette rencontre manquée que nous raconte avec brio le philosophe Roger-Pol Droit dans Monsieur, je ne vous aime point (Ed. Albin Michel). Mettez votre perruque poudrée, on selle les chevaux…

Un roman philosophique, s’il vous plaît

Après nombre d’essais philosophiques aussi accessibles que passionnants, Roger-Pol Droit teste la double-biographie romancée à perspectives philosophiques. Un coup d’essai ? Non, un coup de roman et un coup de maître. Nous voilà embarqués dans l’intimité d’un XVIIIe siècle qui hésite entre un Dieu roi et la Raison reine. Roger-Pol Droit alterne les chapitres « Voltaire » et « Rousseau » pour nous expliquer comment le Jean-Jacques qui admirait Voltaire va devenir son pire ennemi. Au fil de l’aventure politique et intellectuelle de Voltaire et Rousseau, nous découvrons leurs tempéraments opposés et les écarts moraux que ces deux monstres sacrés peuvent faire entre ce qu’ils écrivent et ce qu’ils vivent. Dans Monsieur, je ne vous aime point, nous voici ballotés de moments de gloire en exils forcés (vers Genève, vers la Prusse) et de protecteurs (Frédéric II de Prusse pour Voltaire, David Hume pour Rousseau) en protectrices (Madame de Varens, dite « Maman » pour Rousseau, Madame du Châtelet pour Voltaire, et d’autres encore). Nous sommes également éclairés sur les péripéties personnelles qui ont pu interagir avec leur philosophie, aux côtés des encyclopédistes Diderot et d’Alembert.

Nous voici mis dans la confidence des failles et faiblesses de Rousseau et de Voltaire, de leurs maladies intimes comme de leur sexualité, de leurs compromissions comme de leurs élans de bravoure… et l’admiration côtoie vite l’inquiétude apitoyée : c’est la force de l’exercice romanesque. Même s’il m’est arrivé de me demander ce qu’il fallait considérer comme « romanesque » et ce qui restait très fidèlement historique, on peut faire confiance à la probité de Roger-Pol Droit pour ne jamais trahir ses « personnages ».

Toujours infiltrés dans le moment présent, ces deux-là

L’autre intérêt du livre est de nous montrer à quel point la confrontation intellectuelle des deux philosophes résonne encore dans nos divisions actuelles. Le libéral Voltaire croit aux effets bénéfiques de la prospérité… et beaucoup moins à la bonté moral originelle de l’Homme. L’idéaliste Rousseau préfigure le combat pour l’égalité au point de contester le principe même de propriété. Aujourd’hui, leurs conceptions de la vie en société s’affrontent chaque jour sur quantité de sujets, entre libéralisme parfois dévoyé et égalitarisme aux effets pervers. En chacun de nous, sur de nombreux débats, il y a peut-être un Voltaire et un Rousseau qui s’invectivent en coulisses et nous ne le réalisons même pas ! Vingt-cinq mètres trente séparent leurs tombeaux au Panthéon… et nous sommes toujours à la recherche depuis tout ce temps d’une formule magique pour réconcilier leur pensée au profit de l’intérêt général. S’ils s’étaient vraiment rapprochés pour favoriser une nouvelle alchimie politique et philosophique, aurions-nous déjà la solution ? Mesdames, Messieurs, je ne vous le dirai point.

Roger-Pol Droit Monsieur, je ne vous aime point Voltaire Rousseau p.400 401
D’Alembert expliquant à Madame Necker en quoi tout sépare Voltaire et Rousseau…

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