Comment avoir une intelligence de poulpe ?

Le Prince des Profondeurs - Peter Godfrey-Smith - L'intelligence exceptionnelle des poulpesDès que Peter Godfrey-Smith a un moment de libre entre deux cours de philosophie qu’il donne à l’université de Sydney ou de New York, il va nager à la rencontre des poulpes. Ces céphalopodes le fascinent depuis 2007, année de sa rencontre avec une seiche sépia géante dont la peau changeait de couleur en une fraction de seconde. Depuis, il explore pour nous l’intelligence de ces princes des profondeurs dont les tentacules sont pleins de neurones…

Un défenseur de l’indépendance du neurone

Bienvenue en Poulpitude, à la lecture du livre « Le Prince des Profondeurs – L’intelligence exceptionnelle des poulpes » de Peter Godfrey-Smith (Ed. Flammarion). Sans combinaison de plongée, vous allez par exemple imaginer que vos mains et vos jambes sont munies d’un système nerveux avec tous les neurones qu’il faut pour décider d’actions autonomes sans l’aval central de monsieur le cerveau en chef…  C’est le quotidien des poulpes et autres céphalopodes qui possèdent autant de neurones que les chiens (500 millions environ contre 100 milliards pour les humains), mais répartis également dans leurs bras à ventouses ! De quoi rejoindre une idée qui fait son chemin en psychologie y compris pour les vertébrés que nous sommes : notre corps lui-même, plutôt que notre cerveau, serait responsable d’une partie de « l’intelligence » dont nous faisons preuve lorsque nous nous confrontons au monde…

Un remède à l’anthropocentrisme

Avec nos 200 000 ans d’ancienneté, nous faisons figure de novices terrestres face à une espèce qui peuple les profondeurs depuis 500 millions d’années. Il est donc bien possible que notre approche cartésienne ait sous-estimé la diversité des intelligences sur ce globe. À un sens de l’orientation qui défie la science du GPS, le poulpe ajoute une curiosité exploratoire assez développée qui le pousse par exemple à enrouler son tentacule autour de votre main, pour effectuer… un sondage exclusif. Les céphalopodes voient et goûtent avec la peau, comme s’il s’agissait d’une langue. Cette peau est un organe hautement sensible qui sert également à exprimer des sensations par les couleurs, à déclencher un camouflage bluffant ou à signaler son aptitude à combattre face à un prédateur. Une vraie palette impressionniste de signaux et de couleurs.

Un arbre de vie qui prend racine en mer

Peter Godfrey-Smith étudie les poulpes autant en plongeur curieux qu’en philosophe, autant en philosophe qu’en homme féru de sciences naturelles. C’est ce qui rend son livre un peu hybride, entre réflexion sur l’évolution de la vie sur Terre et interrogations sur la conscience, comme une spécificité humaine. Dans Le Prince des Profondeurs, nous explorons donc également les hasards (et nécessités) de l’arbre de la vie dont nous partageons une des branches avec les poulpes… si nous acceptons de remonter suffisamment loin. À chaque bifurcation va correspondre une autre façon d’appréhender l’univers. Le poulpe est donc le compagnon idéal pour sortir de notre anthropocentrisme et imaginer ce que cela fait d’interagir autrement avec le monde. C’est ce qui faire dire à Peter Godfrey-Smith : « J’ai écrit que rencontrer un poulpe était peut-être la façon la plus simple de rencontrer une intelligence extraterrestre. Et pourtant, nous ne sommes pas complétement étrangers l’un à l’autre : c’est la Terre et l’océan qui nous ont tous deux engendrés. »

Cette vision élargie de notre destin commun rend aussi Peter Godfrey-Smith inquiet quant à l’avenir : acidification de l’océan, pollution et surpêche laissent des dégâts difficiles à voir une fois aveuglés par certains enjeux financiers, jusqu’à créer aujourd’hui de plus en plus de zones mortes appauvries en oxygène. Si nous savions regarder notre océan matriciel avec les yeux du poulpe, pourrions-nous mobiliser tous nos tentacules pour réagir ? Tout dépendra de « l’intelligence exceptionnelle » de l’être humain, peut-être bientôt désigné « Roi Éphémère de la Surface Terrestre ».

Par ici : plongée profonde et pêche du livre

Par là : la fameuse vidéo du bocal (c’est bien parce que vous avez été sages).

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