Je pionce donc je suis

Je pionce donc je suis pièce de Michaël HirschEt si le sommeil était le dernier îlot de résistance face au règne de la performance utile et de la marchandisation galopante ? Et si le mode off, avec ou sans doudou, était la matrice indispensable à tous les rêves humanistes ? Avec l’humour qu’on lui connaît et l’amour des mots qui le caractérise, Michaël Hirsch monte sur la scène entouré de douillets oreillers pour nous en convaincre : c’est la pièce Je pionce donc je suis à l’affiche du Théâtre du Lucernaire (Paris). Pioncer, se mettre en veille, faire de beaux rêves ou « mettre la viande dans le torchon », ça n’a l’air de rien, mais cela peut devenir de la résistance en chambre.

Pour le chef de produit zélé Isidore Beaupieu, personnage principal de ce « seul en scène », tout démarre par une attaque malencontreuse de narcolepsie en pleine réunion de présentation d’un réveil révolutionnaire. Devenu le héros malgré lui des Homo-sapions, mouvement de résistance pro-dodo, il vit alors une révélation : celle de l’importance du sommeil dans un monde qui va trop vite, coincé entre la course à la performance de l’entreprise et l’addiction aux écrans qui dévore nos temps « morts ».

Seul en scène, Michaël Hirsch fait vivre une galerie de personnages impressionnante tout en gérant avec malice sa farandole de jeux lexicaux. De quoi soutenir l’attention des spectateurs les plus fatigués et les embarquer dans une mise en scène inventive, avec des surprises dont il ne faut rien dévoiler.

Si la forme est légère, le propos doit nous interpeler. Après le spectacle, Michaël Hirsch m’a confirmé avoir lu avec attention le livre de Jonathan Crary, 24/7 – Le capitalisme à l’assaut du sommeil. Une analyse sans concession d’un mécanisme dévorant : celui d’un idéal de vie sans pause, connectée à tout moment, où l’on cherche à réduire absolument le temps sans rentabilité du gros dodo. Chez Netflix, on dit même que le concurrent principal de la société n’est autre que le… sommeil, sur lequel il faut grignoter des parts de veille connectée.

Les dernières études de Santé Publique France révèlent que le temps de sommeil moyen en France vient de plonger en dessous des 7 heures, durée pourtant minimale pour une bonne récupération. Le plus grave serait que le sommeil soit remplacé petit à petit par un mode « veille » ou qu’un laboratoire médical découvre comment s’en passer. L’armée américaine étudierait des méthodes pour qu’un soldat puisse rester opérationnel sans dormir pendant 7 jours. La recherche militaire étant à l’avant-garde d’innovations réutilisées dans le domaine civil, on pourrait s’en inquiéter. La pression socio-économique sera-t-elle alors trop forte pour les résistants du sommeil biologique, garants de la saine alternance du jour et de la nuit et du repos naturel ? Un enchainement de conséquences cauchemardesques pourrait se cacher derrière les pas des hackers de la couette. Prenons garde à ne pas nous laisser endormir… pour au final perdre le sommeil.

Après avoir vu Je pionce donc je suis avant le 19 janvier au Théâtre du Lucernaire, il vous restera à savourer en 2020 plus de 300 gros dodos peuplés de doux rêves. C’est en tout cas ce que je vous souhaite. Prenez soin de vous.

REBONDS…

Le quotidien Le Parisien en a pensé ceci

Les Inrocks ont pensé ceci du livre de Jonathan Crary

 

« Que faire des cons ? » Vaste programme…

Que faire des cons ? Maxime Rovere Flammarion« Que faire des cons ? » Un bien joli titre choisi pour son nouveau livre par Maxime Rovere, spécialiste de Spinoza… et très habilement sous-titré « pour ne pas en rester un soi-même. » Point de guide pratique en 10 leçons pour en finir avec le tonneau des Danaïdes de la connerie humaine. Le propos est bien moins démagogue et le voyage intellectuel qui nous attend bien plus vertigineux et déroutant, car manifestement, avec les cons, nous nous trompons souvent de diagnostic et de stratégie…

Emportés par la foule chute ?

L’idée du sujet a été donnée à l’auteur par une colocation difficile… mais nous n’en saurons pas beaucoup plus. N’y tenant plus, cherchant la catharsis, Maxime Rovere a manifestement choisi d’affronter le problème en brave philosophe. Il s’est alors vite aperçu que le sujet avait été très peu traité dans sa discipline. De peur de quitter les hautes sphères de la réflexion conceptuelle ? Peut-être… Un des constats majeurs de Maxime Rovere dans « Que faire des cons ? », c’est que la connerie a le don de nous faire perdre notre capacité à réfléchir. La colère et le mépris qui nous saisissent face à elle rendent impossible toute contre-attaque « efficace ». Les cons et les connes ont un vrai don pour nous entraîner dans leur chute. Chute évidemment, car nous nous sentons toujours supérieurs à eux. Une « supériorité » tout en paradoxes, puisqu’il n’est pas rare que nous soulignions plutôt sans le savoir notre impuissance : en convoquant une morale surplombante (est-elle au moins partagée ?) ou en appelant à une loi protectrice (comme si l’État pouvait se substituer à chaque citoyen face à chaque con fini).

La connerie défie l’intelligence

La grande force de l’approche de Maxime Rovere, c’est de nous faire réaliser qu’il y a Lire la suite « « Que faire des cons ? » Vaste programme… »

Comment notre monde est devenu cheap

Comment notre monde est devenu cheap Raj Patel Jason W MooreUn chanteur français toujours vivant (si, si) nous a déjà mis en garde sur l’impasse qui consiste à croire que le bonheur, c’est d’avoir. Avec Comment notre monde est devenu cheap, l’économiste Raj Patel et l’historien Jason W. Moore nous racontent comment la « fièvre du pas cher » que les auteurs appellent la cheapisation, poursuit sa course depuis des siècles, en touchant la nature, le travail, l’alimentation, l’énergie… et la vie tout court. L’invité d’honneur que l’on découvre sous un nouvel angle n’est autre que Christophe Colomb. Montez à bord qu’on fasse les comptes… Lire la suite « Comment notre monde est devenu cheap »

Comment avoir une intelligence de poulpe ?

Le Prince des Profondeurs - Peter Godfrey-Smith - L'intelligence exceptionnelle des poulpesDès que Peter Godfrey-Smith a un moment de libre entre deux cours de philosophie qu’il donne à l’université de Sydney ou de New York, il va nager à la rencontre des poulpes. Ces céphalopodes le fascinent depuis 2007, année de sa rencontre avec une seiche sépia géante dont la peau changeait de couleur en une fraction de seconde. Depuis, il explore pour nous l’intelligence de ces princes des profondeurs dont les tentacules sont pleins de neurones…

Un défenseur de l’indépendance du neurone

Bienvenue en Poulpitude, à la lecture du livre « Le Prince des Profondeurs – L’intelligence exceptionnelle des poulpes » de Peter Godfrey-Smith (Ed. Flammarion). Sans combinaison de plongée, vous allez par exemple imaginer que vos mains et vos jambes sont munies d’un système nerveux avec tous les neurones qu’il faut pour décider d’actions autonomes sans l’aval central de monsieur le cerveau en chef…  C’est le quotidien des poulpes et autres céphalopodes qui possèdent autant de neurones que les chiens (500 millions environ contre 100 milliards pour les humains), mais répartis également dans leurs bras à ventouses ! De quoi rejoindre une idée qui fait son chemin en psychologie y compris pour les vertébrés que nous sommes : notre corps lui-même, plutôt que notre cerveau, serait responsable d’une partie de « l’intelligence » dont nous faisons preuve lorsque nous nous confrontons au monde… Lire la suite « Comment avoir une intelligence de poulpe ? »

Le Brio, c’est d’avoir raison avec Schopenhauer.

Avoir raison avec Schopenhauer Guillaume Prigent LibrioDans le dernier film d’Yvan Attal intitulé LE BRIO, le professeur d’éloquence campé par Daniel Auteuil fait référence à un « manuel » incontournable de l’art rhétorique : L’art d’avoir toujours raison, de Arthur Schopenhauer. Ce livre de chevet des apprentis en joute oratoire contient 38 stratagèmes pour emberlificoter son monde. Intrigué(e) hein ?

Pour les divas du prétoire, mais pas que…

Dans le film LE BRIO que je vous conseille d’aller visionner dans une salle obscure, Daniel Auteuil est professeur d’art oratoire à l’université Panthéon II Assas. Il règne sur un amphi rempli d’étudiants et d’étudiantes en droit qui pourraient finir au barreau. Parmi eux, Camélia Jordana interprète une étudiante qui se distingue dès le premier cours… en arrivant en retard. En toile de fond, les difficultés d’une jeune fille qui vient de la cité comme on dit et qui porte un nom d’origine maghrébine, face à un professeur brillant mais qui s’attire la disgrâce de toute la fac par un comportement en rien « bien-pensant ». Il devient le coach de la retardataire, l’improbable future championne d’éloquence qui représentera Assas, et la met en garde d’emblée : rien à voir avec la quête de la vérité, il s’agit simplement de convaincre… L’art d’avoir toujours raison, c’est de la rhétorique, pas de la morale scientifique au service du vrai.  Son bréviaire absolu : le livre des 38 stratagèmes de Schopenhauer, philosophe allemand du XIXe S, reconnu aussi pour sa vision un brin pessimiste de la condition humaine.

Merci qui ? Merci Guillaume Prigent.

Là où nous avons de la chance, c’est que Guillaume Prigent, professeur d’art oratoire à l’université Paris-Nanterre et juré de concours d’éloquence, nous rend le bréviaire du maître plus accessible avec son livre publié début novembre : « Avoir raison avec Schopenhauer » (Librio). Il y commente chacun de ces stratagèmes accompagnés de leur parade et les illustre avec des exemples très récents, aussi bien tirés d’émissions de télévision polémiques que de débats politiques. C’est tout simplement passionnant, chers amis du verbe. Connaissez-vous la rétorsion, qui consiste à retourner l’argument de l’adversaire contre lui ? L’extension, pour interpréter l’affirmation adverse le plus largement possible pour la discréditer ? L’exception de derrière les fagots pour prouver aux oreilles crédules que l’ensemble de la théorie de l’adversaire est caduque ? Plonger dans le manuel d’éloquence de Guillaume Prigent donne l’impression de voir un peu mieux la trame de certains débats survoltés. Certains ont appris à manier ces effets. D’autres sont peut-être des Monsieur Jourdain de la conviction. En tout cas, nous cernons plus précisément notre fragilité intellectuelle face aux plus talentueux des tribuns. Ce n’est pas pour nous rassurer, mais il faut avoir le courage de soulever le voile et de saisir une chance d’être un peu moins naïfs… C’est en cela que Guillaume Prigent qualifie lui-même son livre de « manuel d’auto-défense intellectuel ». Un nouveau moyen de décrypter le débat pour gagner en esprit critique. N’hésitez pas : il ne vous en coûtera que 3 €. Cela peut être très vite amorti à la première engueulade.

Algorithm’n’blues

TSF Jazz, publicité, robot, algorithme, It's a human thing

Quand vous êtes d’humeur chagrine le lundi matin, il vous arrive de vous demander entre collègues et entre deux cafés si vous serez bientôt remplacés par des robots ? Voilà une inquiétude bien légitime face à la surenchère technologique des prodiges de l’intelligence artificielle. Notre monde pourrait basculer dans un cauchemar de science-fiction ou au contraire inventer un nouvel âge d’or du farniente.

Algorithme ? Est-ce que j’ai une gueule d’algorithme ?

Heureusement, même les plus pessimistes s’accordent pour dire que la créativité pure et les métiers du soin seront encore pendant quelque temps l’apanage de l’être humain. Comme pour nous rassurer en musique, TSF Jazz a choisi de souligner que le jazz en est l’illustration : une échappée constamment réinventée, entre improvisation et standards, qui ne répond à aucun programme et préfère toute la gamme des émotions à l’alignement des 0 et des 1. Nous voilà donc ravi.e.s de voir notre apprenti cyber-trompettiste totalement dépité. C’est bien joué tout ça, mais vos doutes sur ce qui nous rend irremplaçables ne s’en vont pas ?

Descartes avait tiré les choses au clair…

Néanmoins, si des intelligences artificielles peuvent désormais composer de la musique (oui, oui), il n’est pas inutile de revenir avec Descartes sur ce qui nous distingue au final de la machine et de l’animal. Être humain, c’est ne pas pouvoir compter sur les schémas très encadrés de l’instinct animal. Être humain, c’est ne pas pouvoir fonctionner selon un programme préétabli comme un machine. Être humain, c’est donc se confronter au tâtonnement, à l’échec et… à la terrible liberté de choix. Aujourd’hui, face à tous les assistants numériques et prédictifs qui colonisent notre quotidien en nous profilant, la résistance va peut-être consister à rester encore plus imprévisibles qu’un solo de jazz.

Et puis, avec notre connaissance intime et millénaire de l’échec, qui sait si un jour nous ne serons pas les mieux placés pour venir en aide à des robots déprimés… car incapables d’improviser aussi bien que nous ?

Rebond bonus avec philosophie magazine

La série scandinave Real Humans qui brouille les cartes et nous affole les circuits imprimés.

Vouloir, c’est pouvoir ou… « Ma Vie en Mieux » !

Gretchen Rubin Ma Vie en Mieux Flammarion changer
Avec Gretchen Rubin, on cherche le muscle qui agit sur nos bonnes habitudes…

Même si rien n’a fondamentalement changé entre le 31 décembre et le 1er janvier, vous vous êtes peut-être acheté deux ou trois bonnes résolutions pour 2016. Vous êtes comme ça vous : en décembre, ça sent le sapin ; en janvier, on repart du bon pied. « Reloading », comme on dit dans les milieux connectés. Là où vous ne comptiez plus sur personne pour relever le défi comme Hercule, une femme d’exception peut vous aider : Gretchen Rubin, cette ancienne juriste à la Cour Suprême des États-Unis est partie à la recherche des lois qui régissent la façon dont nous adoptons les habitudes qui jalonnent notre vie quotidienne. Je l’avoue : elle m’a beaucoup impressionnée par sa détermination de scout à débusquer les secrets de notre volonté sur nous-mêmes. Alors, êtes-vous « Petit Soldat », « Pinailleur », « Oblatif », ou « Rebelle » ? Lire la suite « Vouloir, c’est pouvoir ou… « Ma Vie en Mieux » ! »

Et si vous écriviez des papillotes de Noël ?

Vous avez un message...
Vous avez un message…

Un micro-trottoir dont le Petit Journal de Canal + a le secret nous a montré des emmitouflés consternants qui ne savaient pas répondre à la question « En quelle année est né Jésus ? ». Ceux-là n’iront sans doute pas à la messe de minuit. Peut-être chercheront-ils encore le 24 au matin, non pas la réponse à cette question, mais le camion de combat des Tortues Ninja ou un collier pour la Tante Sidonie qui n’était pas prévue. On a tout dit sur l’orgie commerciale de décembre, l’éternel retour du kitsch, l’œil pétillant des enfants gâtés, le problème éthique du mensonge autour du monsieur rouge, les élans de solidarité qui réchauffent, la consécration de la famille avec sa trêve des engueulades au nom de l’esprit de Noël, nom d’une bûche… Plaisir d’offrir et joie de recevoir sont à leur apogée rutilante. J’en vois qui font du shopping pendant trois semaines en se régalant de leurs choix, en élevant le paquet-cadeau au rang d’art, en confondant le réveillon avec les jeux olympiques de la gastronomie. J’en vois en revanche qui font semblant de rien dans le style « vivement janvier qu’on n’en parle plus », qui s’indignent de ce délire mercantile auquel on échappe difficilement et qui, décidément, ne digèrent pas la torture institutionnalisé du foie gras.

Je propose un petit geste en marge de la société marchande qui peut les réconcilier : la papillote à message. Du chocolat comme il se doit, mais pas que. Une fantaisie qui accompagnera le grand déballage des cadeaux, aux enjeux affectifs et financiers bien trop gigantesques parfois. On la pose sur la table du réveillon en guise de marque-place…et on trouve un complice qui lancera l’ouverture en disant : « Tiens, tiens, il y a un message très personnel à l’intérieur. » Je vous en conte le principe.

Autour d’un chocolat, j’enroule une bandelette de papier sur laquelle j’aurais écrit une phrase à offrir, un clin d’œil tendre, en hommage à notre lien de famille indéfectible ou à la contingence magique de l’amitié. Je pose les deux sur un rectangle de papier cadeau, sobre, excentrique ou rutilant, c’est selon l’envie les amis. Je referme et je tortille de chaque côté pour former la papillote. J’ajoute une étiquette qui portera le nom de l’intéressé : détail très important car, vous l’aurez compris, les messages ne sont pas interchangeables mais terriblement personnalisés. Inutile d’en faire des tonnes : on peut rappeler un fou rire, faire une blague ou donner dans le compliment sincère…. Les mots aussi sont des cadeaux.

Apple avance d’un pouce.

Apple iPhone 5c   5SLa marque à la pomme est une icône qui a réinventé la façon d’écouter de la musique (avec l’iPod), qui nous a donné l’envie de rester partout connecté et pas seulement par la voix (avec l’iPhone), qui a rendu l’ordinateur portable « very has been »  avec la tablette numérique à tout faire. Ce n’est pas rien pour l’homo-numericus, devenu depuis totalement dépendant de ses multiples écrans mobiles. Pendant combien de décennies, une marque de légende peut-elle prendre systématiquement une longueur d’avance, déclencher un culte hystérique chez ses fans, inventer et réinventer pour être sûre d’être mal copiée, être toujours là où on ne l’attend pas ? Bonne question…Pour l’automne qui est, rappelons-le, la saison des pommes, Apple a sorti deux trucs fantastiques.  Lire la suite « Apple avance d’un pouce. »

Chronicide (n.masc. ou adj.)

montresAvez-vous réalisé que notre civilisation était en train de tuer le temps mort ? Regardez le moindre humain attendant le bus ou prenant la pause à la terrasse d’un café… et vous constaterez que la proportion de personnes qui baguenaudent et rêvassent se réduit comme la surface cultivable. Bras armé du chronicide généralisé, le mobile intelligent, communément appelé smartphone, a porté l’estocade au temps mort résiduel. Lire la suite « Chronicide (n.masc. ou adj.) »

Walter branche sa watture…

Le verdict est tombé et les dictionnaires peuvent aller se faire lifter ! Le Festival XYZ du mot nouveau a choisi « watture » pour être le néologisme de l’année 2012. Le terme « célébruité » le suivait de près aux sorties d’urnes… mais la « watture », autrement dit la voiture électrique, l’a pris de vitesse… Lire la suite « Walter branche sa watture… »

Posthumation (n.fém.)

Un assemblage hasardeux de gamètes, voilà ce que nous sommes. Ce n’était déjà pas très glorieux… alors les plus fatalistes aiment rajouter que nous ne sommes que poussières qui redeviendront poussières. Mais c’est sans compter sur votre envie d’en découdre avec la postérité. Vous êtes venu. Vous avez vécu. Il faut que cela soit su. L’individualisme un brin narcissique et la mise en scène de l’identité qui caractérisent le tournant actuel de notre civilisation a fait surgir la posthumation... Lire la suite « Posthumation (n.fém.) »

Rachroniser (v.tr.)

Le lundi, vous avez hâte d’être samedi, mais à chacun de vos anniversaires, vous freinez des quatre fers et vous avez la chair de poule en pensant qu’une année encore vous a échappé : vous n’êtes pas à un paradoxe près. Si vous essayez vainement de retenir le temps qui passe, vous rachronisez. Lire la suite « Rachroniser (v.tr.) »

Votez pour mon néologisme préféré…

Néologisme n’est pas un mot nouveau…

Je me baladais sur la toile à la recherche de je ne sais quelle araignée. Moment classique d’errance numérique… et là je découvre au détour d’un clic un festival qui existe depuis 2002 : le Festival XYZ du Mot et du Son Nouveau, organisé par Éric Donfu, sociologue et écrivain français qui étudie les transformations de la société contemporaine.

Figurez-vous qu’en novembre 2011, le jury a rendu son verdict en désignant comme néologisme de l’année le mot « attachiante ». Ce mot-valise, vous l’aurez peut-être deviné, désigne une personne difficile à vivre mais dont on ne peut pas se passer pour autant. En 2010, c’est le malicieux « phonard » qui l’avait emporté, en désignant la personne qui utilise son téléphone à outrance.

Alors là, vous me voyez venir avec mes gros doigts sur la clavier… J’aimerais bien proposer une de mes créations aux suffrages de ce digne festival. Vous en avez un échantillon dans la rubrique de ce blog appelée « Les néologismes d’@Hemmapil ». Dites-moi celui que vous préférez (en commentaire, sur Twitter ou par mail), dites-moi celui qui a l’étoffe d’un lauréat ou celui qui a fait tilt à vos yeux… Allez, ne soyez pas timides et je tiendrai compte de vos avis pour sélectionner la bête de concours.

Merci à vous, chers voustombezpilistes.

Résultat du 23 novembre 2012… Le lauréat est « watture » pour désigner comme il se doit la voiture électrique >> voir l’article du blog. Je me suis également aperçue que je n’avais pas la bonne adresse email pour y participer… arghhh ce sera pour l’année prochaine.

DOUQUIN (n.masc.)

Non, le douquin n’est pas un homme roux tout doux. Un douquin, c’est en fait un bouquin qui nous sert de doudou. Un bon douquin vous a consolé dans la tourmente ou vous a sorti la tête du fossé dans un moment de rude déprime. Un roman ou un petit bréviaire qui vous a fait du bien comme une tartine de beurre avec du chocolat dessus près du feu. Un Livre qu’on garde précieusement, car on aime le relire en cachette sous la couette ou bien au contraire le conseiller à tout le monde sur Face de Bouquetin. Bien sûr, il peut maintenant être en format numérique… mais avouons qu’un bon vieux codex en feuilles de pâte à bois, ça prend mieux la patine du temps et les odeurs de bibliothèque. C’est un peu corné comme il faut, avec des passages soulignés, des traces de larme et des éclaboussures de thé Earl Grey. Ça peut même se déplumer comme un doudou trop passé à la machine, trop tortillé entre la joue et la menotte. Un vrai douquin quoi.

Interrogez-vous sur vos douquins (oui on peut pousser la gourmandise jusqu’à en avoir plusieurs). Interrogez aussi vos amis sur leurs douquins rien qu’à eux.  On en apprend énormément sur la personne à travers ses doudous livresques : cela devrait être une question supplémentaire du portrait chinois. Petite précision indispensable : le douquin ne s’apparente pas nécessairement au livre « préféré », car il est plus intime que cela et ne sert pas à étaler votre éclatante culture littéraire comme de la bonne gelée de groseille.

Alors, petites souris de bibliothèques, douquinez un peu en paix, avant de repartir au dehors dans un monde qui fait souffler le blizzard sur nos anciennes certitudes.

CADEAUTER, v.intr.

A Noël ou pour les anniversaires, vous radotez… sur le fait qu’il faut absolument trouver des cadeaux en toute hâte pour Pierre, Paul et surtout pour Jacques ! Jacques est vraiment trop difficile. Vous voudriez offrir avec le cœur, poésie et élégance dans un grand élan mystique qui vous fait tomber juste, tel un coup de foudre… mais vous voilà obligé de cadeauter tant bien que mal. Cadeauter, c’est faire un cadeau comme on peut, parce qu’il le faut bien. Si vous vous rabattez sur le dernier Prix Goncourt juste avant la fermeture de la Fnac, vous cadeautez. Si vous arrivez avec un vase en soldes, vous cadeautez… sauf si la personne collectionne les réceptacles à fleurs coupées depuis l’âge de 23 ans. Si vous avez gentiment cédé au chèque dans une enveloppe pour le neveu boutonneux de 14 ans, vous cadeautez pour la bonne cause. Rassurez-vous : c’est le lot de bien des humains pris dans la tourmente du « plaisir d’offrir, joie de recevoir. » Nous tenons là un pilier majeur de l’économie de marché… parce qu’il faut bien l’avouer : si on attendait d’avoir des idées totalement géniales pour offrir « THE » cadeau à la Tante Hortense, elle attendrait peut-être encore longtemps, la Tante Hortense. Vous l’aurez donc compris : c’est l’occasion forcée qui fait vivre le cadeautage. Ne crachons pas pour autant sur cette générosité toute civilisée qui peut passer pour vaguement hypocrite et carrément forcée. La sincérité brute de fonderie a des rudesses que la vie en société ne saurait assumer longtemps. Pour redonner ses lettres de noblesse à l’ « offrande» , je vous propose tout simplement d’offrir aussi autre chose que des cadeaux. Et si on essayait de faire des zeureux sans sortir forcément les zeuros ?

Poêliter (v.intr.)

Sur le côté droit, vous vous êtes senti mieux mais ça n’a pas duré longtemps. Sur le côté gauche, vous avez cru aux promesses de la nouveauté… mais vous avez vite déchanté. Il n’est pas ici question de la manie électorale de l’alternance, même si cela se passe dans l’isoloir de votre lit. Non, le poêlitage affectionne les heures creuses entre 2 h et 4 h du matin, en pleine insomnie. Le p’tit vélo dans la tête commence à partir en roue libre et votre corps n’est plus qu’un sac de sable bien encombrant qui ne trouve pas la paix. Vous rêvez de cette impression de lourdeur vertigineuse qui annonce l’abandon total dans les bras de Morphée… mais rien à faire. Votre nuit est gâchée par ce réveil incompréhensible et vous voilà parti pour poêliter un bon moment. Poêliter consiste en une hallucination nocturne à répétition : croire qu’en changeant de côté, le sommeil sera de retour. Vous venez de changer de côté, plein d’espoir, mais la déception se pointe au rendez-vous au bout de quelques minutes : des minutes qui ressemblent à des heures de faction inutile devant un abri de jardin où il n’y a rien à voler. Poêlé avec précaution comme des pommes de terre sarladaises, votre corps se languit d’être dévoré par l’ogre du sommeil. Vous pouvez poêliter ainsi longtemps, avant que  l’ultime lâcher prise ne vienne vous cueillir au moment où vous vous y attendez le moins. C’est la grande leçon du sommeil : sans cet abandon total au grand rien qui vous engloutit, rien ne sert de s’efforcer. L’ironie de l’histoire, c’est qu’au réveil, vous ne vous souviendrez même plus du gagnant : côté gauche ou côté droit ? Le sommeil est décidément une grande leçon d’humilité.

OUFFRANCE, n. fém.

Personne n’est censé ignorer l’expression « Le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Pleine de cynisme, cette phrase peut avoir au moins deux acceptions. La plus vile interprétation nous laisserait penser que nous nous  réjouissons systématiquement du tracas de nos semblables, connus de près ou de loin. La deuxième version pointerait plutôt du doigt un état de fait beaucoup plus fréquent : le malheur suffisamment « lointain » a aussi le pouvoir de nous faire voir notre propre situation sous un meilleur jour.
Par exemple, lorsque vous regardez le dernier reportage sur un tsunami, vous êtes susceptible d’avoir trois attitudes simultanées : la compassion (un des sentiments humains les plus nobles), l’envie de secourir d’une façon ou d’une autre (non moins vitale à notre petite vie en société), et l’ouffrance. Vous ne la connaissiez pas sous ce nom-là, mais elle vous aide à vivre tous les jours. D’être là, sain et sauf, vous ressentez une grande ouffrance. Sans le dire à personne, au tréfonds de votre ego, vous poussez quand même un grand ouf de soulagement devant tant de souffrance. Un zéphyr de satisfaction inavouable de ne pas être à la place de ceux qui sont dans la mouise. Un vent de réconfort qui balaie vos petits soucis de rien qui traînent au coin de l’agenda. Une tornade de relativisation puissance 4 pour les grincheux du matin nourris au croissant beurre. Vous l’avez encore échappé belle. Le destin n’était pas au rendez-vous.

L’ouffrance est même un sport national et vous ne le saviez pas ! La grand messe du 20 h est une grande ouffrance-party. Toutes ces mauvaises nouvelles qui ne sont pas toutes pour nous. Toutes ces catastrophes qui nous touchent de loin. Tous ces drames humains que nous avons encore mis à distance. Et si l’ouffrance était indispensable à notre équilibre ?

L’ouffrance dans sa petitesse peut aussi nous rendre un fier service : si nous ne pouvons pas atténuer toutes les souffrances du monde, il faudrait au moins arrêter d’être bêtement négatif pour rien. Oui, mes très chers frères et sœurs, il est toujours temps de rebondir sur cette chance qui est la nôtre, ici et maintenant.

MÉSIR, n. masc.

Demandez à un enfant de 5 ans ce que le Père Noël pourrait lui apporter pour lui faire vraiment plaisir… Lorsqu’il vous répond, ses yeux brillent de désir vrai, de rêves faramineux portés par l’allégresse sans nuage de l’enfance. C’est beau. C’est l’âge du désir simple. C’est plutôt chez l’adulte que nous rencontrons le mésir. Le mésir, c’est un peu la mésaventure du désir.

Un type de mésir parmi d’autres : le désir qui rend malheureux. Vous croyez que votre vœu le plus cher, c’est de sauter en parachute. Vous prenez des cours, vous sautez, vous vous ratez, vous êtes malade à chaque fois. Vous en faites de cauchemars.

Autre type de mésir : le désir-prétexte en latence permanente. La personne répète depuis 23 ans que son vœu le plus cher, c’est de jouer du piano… tout en trouvant toujours une bonne raison de ne pas s’inscrire aux cours !

Quel que soit le type de mésir dont on est atteint, il faut se poser la bonne question : « est-ce que mon désir ne serait pas plutôt un mésir, c’est-à-dire un faux désir que je me suis inventé et que mon inconscient rejette de façon insidieuse ? ». N’oublions pas que d’infernales pressions sociales, amicales, familiales et mercatiques s’exercent sur nous en permanence. Comment être sûr que nos désirs sont bien les nôtres ?

Demandez à un adulte écrasé d’orgueilleuses responsabilités, de contraintes assumées et de désillusions à peine digérées… demandez-lui quel  est son vœu le plus cher. Ses yeux partent à la dérive, à la recherche de de brillant à dire, quelque chose d’original, de valorisant, d’intelligent ! Mais heureusement, il est toujours temps de refaire sa lettre au Père Noël : mettez le temps qu’il faudra pour l’écrire et consacrez le reste du temps à obtenir ce que vous désirez vraiment. On ne va tout de même pas perdre un temps précieux avec tous ces mésirs, ces faux désirs à qui il ne manque qu’un « non » !

Candidographe (n.masc. ou fém.)

Plus le monde est complexe, plus on veut nous faire croire qu’il est simple… Pourtant, il vous suffit d’ouvrir avec une impatience enfantine le mode d’emploi de votre dernière tondeuse qui fait aussi grille-pain pour vous apercevoir que la recherche de la bonne pratique peut vite devenir une quête du Graal… et que le manque de simplicité fait encore quotidiennement des ravages. Le problème avec les modes d’emploi incompréhensibles (restons polis je vous prie, et ce en toutes circonstances…), c’est qu’ils sont sûrement conçus ou remaniés par des ingénieurs, aveuglés par l’amour qu’ils portent à leur dernière création. A moins qu’il s’agisse d’une procédure d’intimidation pour nous en mettre plein les neurones et nous prouver à quel point la chose fraîchement acquise a été conçue par des gens vachement plus intelligents que nous.

Face à autant d’incompréhension mutuelle, comment donc prendre le recul nécessaire à la mise au point d’un opus clair et limpide, sorte de bréviaire accessible au premier idiot moyen ? Il est temps de développer un nouveau métier : celui de candidographe. Ce travailleur du texte est en effet amené à « traduire », en candide total, les guides d’utilisation rendus incompréhensibles par je ne sais quel zèle technico-pédant. Au début de son travail, le candidographe reçoit le mode d’emploi des mains de l’ingénieur et s’entretient avec lui quelque temps. Il pose aussitôt les bonnes questions que se posera le consommateur lambda et va ainsi pouvoir partir des besoins de l’utilisateur final. Pour entretenir innocence et  humilité, les candidographes travaillent obligatoirement en binôme : l’un relit toujours en candide le mode d’emploi rédigé par l’autre…. et c’est le test ultime ! Décidément, notre candidographe est le passeur technique des temps modernes. Merci à Voltaire et vive le progrès mieux compris par tous.

INFORMITOSE (n.fém.)

C’est bien connu : savoir, c’est pouvoir. Si vous n’avez pas les bonnes informations au bon moment, vous serez à côté de la plaque, vous agirez à côté, vous perdrez bien des longueurs sur vos concurrents potentiels, c’est-à-dire tous les êtres humains ici-bas. Savoir avant, savoir comment, savoir mieux. La bataille fait rage dans tous les réseaux de toutes sortes pour dénicher la donnée qui fera toute la différence. Vous avez bien sûr rangé les arbalètes et la poix, car il vous suffit d’un ordi, d’une tablette ou d’un smartphone pour rester hyperconnecté et tout savoir tout le temps. Blogs, quotidiens, mails, rapports de 57 pages en PDF, flux RSS, tweets 24 h sur 24… : vous êtes rongé par l’informitose, une maladie sans antidote connue. La surabondance des données que vous devez traiter chaque jour pour en sortir du sens engorge vos circuits relationnels et neuronaux. Vous devez vous informer en flux continu certes, mais vous devez aussi assurer dans la vie non-numérique, pleine de lenteurs et de lourdeurs (aller chercher le pain et entre 2 mails dire à votre femme que vous l’aimez). Vous devez lire, répondre, transmettre, trier, faire le lien et en plus vous devez aussi penser par vous-même. Vous avez décidé de militer pour la journée bi-bande de 48 heures : votre double numérique pourrait ainsi faire le tri à votre place et vous laisser buller dans le jacuzzi sans fil à la patte. Face à la diarrhée de données, à la coulée d’infos permanentes venant de sources plus ou moins contrôlées, face à la logorrhée mondiale absolue et entretenue, vous êtes sans cesse au bord du vomissement. Pourtant, cette informitose mal soignée peut nous conduire à une telle paralysie, qu’on finirait par être tenté de laisser les Autres décider à notre place.

Cela ne va guère vous rassurer, mais la seule chose qui vaille face à l’informitose, c’est une grosse dose d’esprit critique pour effectuer un tri drastique en amont… Et puis, vous serez peut-être plus heureux sans tout savoir, car de toute façon, on nous cache l’essentiel, c’est bien connu.