Un Épicure de rappel ?

Vignerons de Champagne, luxe, fête, quotidien, EpicureLe saviez-vous ? Le bling bling, c’est vraiment très has been. La preuve avec la nouvelle campagne de communication des Vignerons de Champagne : place au luxe quotidien dans toute sa sobriété. Personnellement, comme j’adore me régaler de bonnes sardines à l’huile sur une tranche de pain au levain légèrement tartinée de beurre, je ne pouvais que tomber en arrêt devant l’une des affiches où le vin pétillant accompagne mon festin marin. Trinquons ensemble à la santé des oxymores…

Nature morte pour célébrer la vie

Nous voici donc en pleine nature morte, un peu hors du temps. S’il n’y avait pas cette boîte en métal entrouverte et fort industrielle, un peintre hollandais du XVIIe S. pourrait se trouver dans la pièce. On a commencé à croquer dans la tartine en fermant les yeux. La table a l’aspect du béton ciré : un luxe qui ne dit pas son nom, tout en rudesse et sans apparat. Elle trône fièrement cette flûte, élancée vers le ciel dans le sens des bulles qui s’échappent aussi vite que les secondes de délectation. Au lieu de savourer distraitement le breuvage royal dans une assemblée festive et bruyante, nous voilà semble-t-il en solo, en douce et sans confettis.  Le champagne tente de se désolidariser de ce qui fait son univers de prédilection : la fête, l’anniversaire, la célébration, l’exception. Dans un oxymore imparable, le voici « réservé à toutes les occasions ». Le prix moyen d’une bouteille de champagne permet-il au breuvage de remplacer votre eau pétillante ? Attention, il faudrait que vous demandiez à votre banquier et à votre médecin généraliste. Je le rappelle : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé et votre porte-monnaie. À consommer donc avec modération. »

Le champagne : autant de bulles que de questions.

Avec un tel bouleversement de notre échelle des valeurs entre la sardine et le caviar, un flot de questions ne tarde pas à nous assaillir dans l’abribus… Le luxe est-il par essence exceptionnel ou peut-il devenir un art de vivre au quotidien ? Un produit de luxe peut-il se désacraliser sans perdre son âme ? Le champagne a-t-il intérêt à se frayer un chemin sur les terres du quotidien alors que sa raison d’achat principale pour le grand public tient parfois plus à la fameuse « occasion » qu’à ses qualités gustatives ? Si le champagne déserte le territoire de la fête, pourrait-il s’en mordre le bouchon et y perdre son âme ? À quel point un produit est-il tributaire d’une « étiquette » liée à son univers d’utilisation ? Sans oublier une question essentielle, mon cher Marcel : la sardine a-t-elle besoin du champagne ?

Détournement philosophique : le cas Épicure 

En tout cas, si vous vivez en hédoniste, vous n’attendez sûrement pas de tomber sur une fête pour vous faire plaisir… et cette campagne va donc vous remplir d’aise. Mais saviez-vous que le terme  « épicurien », souvent employé comme synonyme d’hédoniste pour dire « qui ne songe qu’au plaisir, qui s’adonne aux plaisirs matériels ; sensuel » s’avérait être une trahison totale de la philosophie d’Épicure, né en Grèce en 341 av J.-C. ? Un complot orchestré par ses adversaires ultérieurs, notamment par les Pères de l’Église, qui luttaient contre toutes les formes de matérialisme et qui ont voulu lui attribuer une « morale de recherche exclusive du plaisir » alors qu’Épicure était le défenseur d’un mode de vie simple et frugal. C’est quand même le comble de la malchance en termes de postérité. Au programme du maître Épicure, c’était plutôt renoncement aux désirs vains de richesse et de gloire et simple satisfaction des désirs naturels et nécessaires (boire, manger, s’abriter, se vêtir). Pas de surenchère dans la quantité ou le raffinement. On mange simplement pour assouvir la faim (sans goûter de plats recherchés pour varier les plaisirs). On boit de l’eau pour calmer la soif (et non toute une quantité de boissons diverses, sucrées ou alcoolisées). On peut dire sans crainte de se tromper : chez Épicure, c’est pas réveillon tous les soirs. Mais on n’atteint pas l’aponie (absence de douleur du corps, à ne pas confondre avec la Laponie, évidemment) et l’ataraxie (absence de trouble de l’âme)… sans un minimum de discipline, Léontine. Vivre en épicurien, c’est aussi philosopher sans modération cette fois, pour notre plus grand bonheur, et accorder une importance décisive à l’amitié, le plus grand de tous les biens. On rapporte qu’il y avait, dans l’école fondée par Épicure (le Jardin), une fête pour son anniversaire tous les 20 du mois. Aurait-il quand même accepté du champagne ? Tous les doutes sont permis. En tout cas, il aurait vu d’un mauvais œil qu’il n’y ait pas plusieurs verres sur la table à côté de la tranche de pain, pour trinquer avec ses ami.e.s. Tchin quand même, la sardine.

REBONDS

Vous voulez réviser votre Épicure ?

Vous voulez décidément du champagne pour accompagner tous vos plats ? Par ici les recettes

 

 

4 réflexions sur “Un Épicure de rappel ?

  1. J’adore cette philosophie. plus proche de celle d’un stoïcien ou d’un cynique de la même Antiquité : jouir du plaisir raffiné qui s’offre à nous, ne pas souffrir de son absence. Ouvrir une grande bouteille de Gevrey-Chambertin, en solo et avec une boîte de pâté. Oui, je l’ai déjà fait mon Père. et ce fut bon. très bon. Merci pour cet excellent article sur un vrai sujet : et si le luxe c’était la qualité sans contexte obligé ?

  2. Et vive Epicure !
    Et la sardine et le champagne !
    Et surtout l’amitié, le plus grand de tous nos biens !!!
    Merci Anne ❤

  3. Perso, je préfère le caviar avec le coca. Chacun son luxe. Ou sa luxure ! Merci pour ce bel article. : )

  4.  » Le champagne, c’est de la limonade pour grande personnes  » – dit par Bernadette Lafont dans son rôle magnifique  » Une belle fille comme moi  » film de François Truffaut, revue hier soir
    amitiés 🙂

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