Little Brother et Big Questions

Raphaël Enthoven, Little Brother, Gallimard, Philosophie, chroniques Où se cache Little Brother ? C’est bien la question que votre conscience devra sans cesse se poser après avoir refermé ce livre de Raphaël Enthoven, recueil de textes courts initialement parus dans Philosophie Magazine. Little Brother, donc ? Que cache la référence au 1984 de George Orwell, et au lavage de cerveau totalitaire de son Big Brother ?

C’est bien connu : le diable se cache dans les détails et notre servitude volontaire à peine perceptible est peut-être bien plus d’actualité que le totalitarisme qui avance démasqué. Dans le régime totalitaire imaginé par George Orwell, en référence critique au stalinisme, Big Brother surplombe, épie et modèle les consciences dans le cadre d’une dictature « à l’ancienne ». Le Little Brother de 2017, lui, se la jouerait cool et s’immiscerait en chacun de nous, prêt à désarmer notre esprit critique avec sa novlangue. Qui l’a conçu ? Tout le monde et personne… En « philosophe de service » tel qu’il a déjà accepté de se définir par ironie, Raphaël Enthoven s’interroge sur ce monde connecté, ultra-divertissant et narcissique qui fait émerger un Little Brother bienveillant. Du selfie à la Poupée Barbie, d’Uber au mode avion, du vintage à la sociologie du like, il n’y a pas d’objet indigne pour penser le monde qui est le nôtre…

Le format court de la claque philosophique

Avez-vous déjà pris dans l’oreille la « Morale de l’Info » de 8 h 55 sur Europe 1 ? C’est assez déstabilisant et c’est pour cela que c’est bon pour la tête. Parfois, on savoure le plaisir prétentieux d’être d’accord avec « Rafa », mais c’est un peu facile. Parfois, on se braque, on s’interroge, on se dit qu’il exagère… et c’est là que tout commence. Des portes s’ouvrent, d’autres claquent dans notre boîte crânienne. On sent les os de nos méninges craquer comme si on était chez l’ostéopathe pour une lombalgie récalcitrante. Raphaël Enthoven, professeur de philosophie et empêcheur de réfléchir en rond, déteste les poncifs et raffole des paradoxes : c’est très bien comme ça. Être d’accord ou pas avec lui ? L’important, c’est de tenter de réfléchir et d’apprécier les courbatures.

Faire simpliste, c’est facile…  Trop facile.

Avec Little Brother, l’auteur tire aussi sur nos articulations, dans un style travaillé et avec une logique exigeante. Le verbe est riche et ne cherche pas à simplifier ce qui doit justement être nuancé. Les constructions à tiroirs et le vocabulaire soutenu sont au rendez-vous. Il m’est arrivé de relire un paragraphe plusieurs fois parce que j’avais manqué un embranchement. C’est le prix à payer pour approcher la nuance. Certains pourraient y voir une volonté élitiste de ne pas trop vouloir faire simple. Je vous laisse juge… Le procès des « élites » est trop tendance pour être toujours justifié.

Les nouvelles « Mythologies »… ou la revanche des objets indignes.

Vous voilà prévenus sur la forme. Sur le fond, comme nous le rappelle l’avant-propos en référence aux « Mythologies » de Roland Barthes, nous allons à la rencontre d’objets, d’expressions typiques ou de pratiques sociales qui sont autant de signaux faibles du monde moderne comme il va. Alors, on se félicite de la justesse du chapitre « Le Salaire de l’Humeur » qui nous éclaire sur la suffisance contemporaine de « l’appréciation ». On assiste à l’autopsie lucide du « like ». On s’interroge sur le devenir du « vintage » quand les objets abstraits auront envahi nos vies. On s’aperçoit que « spoiler » n’est pas tout et qu’il y a des histoires parmi les meilleures dont on connaît déjà la chute. Mention spéciale au morceau de bravoure qui clôt Little Brother sur l’expression « Quand le Sage montre la Lune, l’imbécile regarde le doigt »… Généralement, on la balance pour souligner sa hauteur de vue. Raphaël Enthoven rappelle que « Quitter le doigt des yeux, c’est se mettre le doigt dans l’œil ». Le strabisme nous guette. Voilà en tout cas un programme costaud pour agiter vos neurones et échapper au « triste sentiment de savoir. » Il en est fini de votre quiétude. Quoi que… à la liberté de penser, nous sommes plus nombreux qu’il n’y paraît à préférer la tranquillité des certitudes.

REBONDS

Raphaël Enthoven

…chez son éditeur

…à la radio : La Morale de L’Info et Qui vive

…dans Philosophie Magazine : nombreux articles réservés aux abonnés mais quelques-uns en accès libre

…sur Twitter, à fleuret moucheté sans perdre son sang froid avec les « contradicteurs »

… et mon addiction pour ce magazine à redécouvrir ici.

 

 

 

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