Quand la parole détruit

Voici une chronique/critique du livre de Monique Atlan, journaliste, et Roger-Pol Droit philosophe, paru aux Éditions de l'Observatoire : Quand la parole détruit.

Blablabla, Retweet et Fermela Jairaison sont sur un sacré paquebot à l’heure où je vous parle. Trois figures mythiques qui se prennent le bec en permanence sans s’apercevoir qu’ils foncent sur un iceberg qui fera sombrer le débat démocratique ?

Le brouhaha prend le pas sur le débat

Avons-nous bien mesuré les bouleversements qui touchent la parole depuis une quinzaine d’années ? Pas la parole qui se donne en tant que promesse, mais la parole qui nous inonde et fait boule de neige sur les réseaux sociaux, les chaînes d’information et les sites internet. On salue une ouverture mondialisée de la parole qui peut informer, souder des communautés, libérer des expressions auparavant inaudibles. On subit aussi une inflation de prises de parole qui condamnent en 30 secondes, qui s’indignent sans creuser, qui relaient des fausses informations pour se croire au-dessus du lot, qui harcèlent anonymement ou appellent à la haine sans limite.

Tu es responsable de ta langue et de ton clavier

Dans leur nouveau livre Quand la parole détruit (Éditions de l’Observatoire), Monique Atlan et Roger-Pol Droit font le point et lancent l’alerte. Après une analyse historique et philosophique de l’usage de la parole qui est le propre de l’humain, ils dissèquent les effets pervers d’une chambre d’écho sans précédent. Si la parole peut être aussi salvatrice que toxique, la caisse de résonance des réseaux pose de plus en plus la question éthique de la responsabilité de l’émetteur. L’impunité de l’anonymat est-elle encore tenable à l’heure des fake news qui fusent ? Le langage « naturel » accordé aux intelligences artificielles nous fera-t-il basculer dans une servitude insidieuse et à peine entrevue ? Comment tenter de reprendre en main l’usage de la parole, le seul super-pouvoir de l’humanité, largement sous-estimé ? Dans Quand la parole détruit, Monique Atlan et Roger-Pol Droit lancent des pistes de réflexion avec un plaidoyer salutaire pour un nouveau « parler humain » qui mesure vraiment le poids des mots. Il est notamment essentiel de remettre en avant la responsabilité individuelle de nos prises de parole, après des décennies de doctrines qui tendent à la relativiser en convoquant les déterminismes sociaux ou psychologiques. Face à l’instantané accéléré, il parait aussi urgent de « tourner sept fois ses doigts au-dessus du clavier », de sortir de notre cocon numérique pour bien se rappeler que cette parole publique est toujours envers, par et pour les autres.

Langage naturel ou parole artificielle ?

À l’heure où je vous parle, un robot conversationnel nommé ChatGPT alimente les débats, en opposant les technobéats sérieusement bluffés et les horrifiés qui voient se concrétiser un peu plus les dérives annoncées. Ce nouvel outil pourrait inonder l’espace public de textes générés automatiquement dans une boîte noire dont on connaît mal les sources. Est-ce une pièce de plus dans le juke-box du chaos ou la goutte d’eau qui remettra à la une la question de la responsabilité de la parole ? Tout comme moi, vous donnez peut-être votre langue au chat.

Alors, avant de vous quitter, j’aimerais laisser la parole aux auteurs :

« Parler l’humain, c’est avant tout avoir le sentiment que les paroles importent, les nôtres comme celles des autres, qu’elles ont toutes un poids et des effets. Quiconque garde cette évidence à l’esprit ne parle plus de la même manière (…) En se souvenant que chaque parole change le monde, même de manière infime, chaque parleur agit autrement. »

REBONDS

👉 Toutes les infos sur le livre sont à retrouver sur le site de Roger-Pol Droit

Comment notre monde est devenu cheap

Comment notre monde est devenu cheap Raj Patel Jason W MooreUn chanteur français toujours vivant (si, si) nous a déjà mis en garde sur l’impasse qui consiste à croire que le bonheur, c’est d’avoir. Avec Comment notre monde est devenu cheap, l’économiste Raj Patel et l’historien Jason W. Moore nous racontent comment la « fièvre du pas cher » que les auteurs appellent la cheapisation, poursuit sa course depuis des siècles, en touchant la nature, le travail, l’alimentation, l’énergie… et la vie tout court. L’invité d’honneur que l’on découvre sous un nouvel angle n’est autre que Christophe Colomb. Montez à bord qu’on fasse les comptes… Lire la suite « Comment notre monde est devenu cheap »

Et si Platon revenait…

Et si Platon revenait Roger-Pol Droit

Après l’avoir croisé en classe de Terminale, nous avons à nouveau rendez-vous avec ce cher Platon dans une galerie d’art contemporain, au Mc Do ou au mémorial de la Shoah. C’est le philosophe Roger-Pol Droit qui nous le présente : ils se sont recroisés à la COP21 après avoir échangé sur Facebook. Avec « Et si Platon revenait… », l’auteur habitué des expériences de pensée philosophiques nous embarque dans un télescopage des plus stimulants à la redécouverte de ce Platon que tout le monde croit connaître. De scènes décalées en rebondissements intellectuels, nous n’avons pas fini de sortir de notre caverne…

Platon, candide au XXIe S. ?

Parachuté en 2018, Platon réaliserait par exemple que nos écrans sont nos cavernes mobiles où se projettent en permanence des reflets de la réalité qu’il nous faut sans cesse interroger. Il reconnaîtrait chez les dir’com les nouveaux sophistes, qu’il a bien connu dans sa Grèce antique. Il s’étonnerait que la dissidence et la rébellion soit constamment célébrée (pour mieux la neutraliser ?) au point d’offrir à un de ses représentants le Prix Nobel de Littérature. Il prendrait Google avec des pincettes : ce n’est pas parce que tout le savoir du monde est à notre portée que cela suffit à notre intelligence. Il faut avoir préalablement trouvé ailleurs des principes organisateurs pour faire le tri, comme pour la nourriture, entre savoirs indigestes, avariés, toxiques ou pathogènes. Platon se rend aussi à Pôle Emploi, visionne House of Cards, se balade sur Meetic, va chez le psy ou croise Thomas Pesquet. Roger-Pol Droit nous régale intellectuellement en confrontant le penseur des dialogues athéniens à une quarantaine de sujets contemporains. Mais il va beaucoup plus loin. Lire la suite « Et si Platon revenait… »

Le Journal Impubliable est une perle.

Eliane Saliba Garillon Journal Impubliable de George Pearl arléaVoilà une lecture estivale que je voudrais vous faire partager… mais je vous arrête tout de suite : je n’ai pas lu ce livre au bord de la piscine avec un mojito et un paréo, pas plus que cachée dans un bosquet de buis… c’est donc un vrai fiasco pour le cliché aoutien. Tant mieux.

On parle beaucoup en ces temps obscurs des livres « feel good » qui auraient un effet plus certain que bien des anxiolytiques . Je n’arrive pas à le placer dans cette catégorie opportuniste, mais c’est un livre qui fait paradoxalement du bien… grâce à un personnage qui n’a justement rien d’un optimiste ! Il nous évite en tout cas le côté « sucrette positive » que je supporte de moins en moins.

Sur la couverture du deuxième roman de Eliane Saliba Garillon, je suis d’emblée bien accueillie par un de mes illustrateurs préférés. Voutch a en effet croqué, sans légende cette fois-ci, ce qui pourrait résumer le personnage principal : un sacré chardon à approcher avec prudence. Mais au-delà de la couverture de ce « Journal Impubliable de George Pearl » ? Lire la suite « Le Journal Impubliable est une perle. »

Pas son genre

Pas-son-genre-emilie-dequenne - Loïc CorberyOn peut le dire : ce n’est pas trop mon genre de me jeter systématiquement sur le livre qui a servi de base au film que je viens de voir… car vu le nombre d’adaptations au cinéma, toutes mes heures de lecture y passeraient. Mais en sortant de la salle où je venais de rencontrer les personnages de PAS SON GENRE, film de Lucas Belvaux, je me souviens avoir déjà eu envie d’en savoir plus sur eux. La rencontre en dédicace avec l’auteur du livre, Philippe Vilain, m’a pour ainsi dire donné le signe du destin pour cette lecture nécessaire. Si vous ne l’avez pas encore vu/lu, je vous résume la problématique comme on dit… François, un jeune professeur de philosophie très parisiano-mondain, se voit muter à Arras, par manque cruel de points. Le voilà donc projeté dans l’ennui consternant de la province septentrionale (point de vue du personnage, on est d’accord…). Ouf, il réussit à grouper ses cours sur deux jours d’apnée et revient vite fait respirer l’air de la capitale intellectuelle. C’est peut-être l’affaire d’une année, ma foi. Ayant quitté une parisienne parce qu’il ne souhaitait décidément pas s’engager, le voici qui erre le cœur vide dans des rues « arrassantes » (mille excuses, c’était trop tentant). Mais son rendez-vous chez le coiffeur va lui donner l’occasion de remplir ce vide par une nouvelle relation amoureuse, avec Jennifer, coiffeuse de profession. Est-ce fait pour durer ? L’aime-t-il vraiment ? Est-ce comme dans les contes de fées où l’amour triomphe de la distance sociale, culturelle et intellectuelle… parce que les bergères qui épousent les princes, c’est vraiment le top du cool ?

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